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07/11/2018

KR'TNT ! 392 : BITERS / RADIO BIRDMAN / HOT CHICKENS / BRIAN JONES / ROMAIN SLOCOMBE ROCKAMBOLESQUES 6

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 392

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

08 / 11 / 2018

BITERS / RADIO BIRDMAN / HOT CHICKENS

BRIAN JONES / ROMAIN SLOCOMBE

ROCKAMBOLESQUES ( 6 )

TEXTES + PHOTOS SUR :

http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

Biters, please

Les Biters d’Atlanta posent un petit problème : ils sont trop beaux pour être vrais. Comme lorsqu’on dit ‘trop polis pour être honnêtes’. Sortez le poster inséré dans la pochette de leur premier album, Electric Blood : vous y verrez quatre créatures de rêve, tatouées, avec des bracelets, des perfectos, de vraies tignasses et même des croix de fer. Ils reprennent le flambeau du look rock’n’roll là où des groupes comme les Hellacopters et les Wildhearts l’avaient laissé. Les Biters semblent remplis de cette arrogance que peut générer le sentiment d’avoir un look parfait. Alors, on écoute l’album, et c’est le commencement de la déconfiture. Dès «Low Lives In Hi-Definition», on sent le vieux cousu amidonné, le mille fois déjà entendu, le coup de Biter dans l’eau. Même s’ils amènent «Heart Fulla Rock ‘N’ Roll» au gros stomp, ils se ridiculisent avec le solo. Ils auraient une fâcheuse tendance à vouloir sonner comme Queen. On sent nettement des influences suspectes, un brin symphoniques, un peu troubles. Pour ne pas dire putassières. On s’apprête à glisser l’album dans sa pochette et à chercher qui va bien être assez con pour vouloir le racheter, mais par acquis de conscience, on écoute le début de la B, car le cut s’appelle «The Kids Ain’t Alright», ce qui vaut pour un clin d’œil aux Who. Et pouf ! Voilà que ça se met à sonner comme un hit ! Ces mecs sont tout de même incroyables : ils démarrent avec une A imbuvable et se réveillent en B avec un hit, alors qu’on venait de sceller le destin de l’album. Du coup, regain d’intérêt ! S’ensuit «Space Age Wasteland» qui sonne carrément glam. Pour un peu, on croirait entendre Bowie chanter - So c’mon - Ils y vont franco de port ! Et ça continue de monter en puissance avec «Loose From The Noose», amené au vieux riff de type Bad Co. Ils recyclent toutes les vieilles ficelles de caleçon, mais voilà un excellent coup de glam-rock arrogant, ça sonne, c’est malaxé et bien ponctué d’oh yeah. Tuk Smith pose bien le Loose et le Noose, des consonances auxquelles on est resté sensible depuis «Born To Lose». Encore une pièce remarquable avec «Time To Bleed», emmené par un riffing infernal qui est bien sûr celui de «Biff Bang Pow». Incroyable ! Quelle séquence ! L’ensemble vire un peu melodic rock mais les retours du rush des Creation sont spectaculaires. Tasty move, Tuk !

Dans son numéro 236 de juin 2017, Classic Rock consacre une belle double aux Biters dans sa rubrique Live ! Les Biters sont présentés comme les bastard offspring de Cheap Trick and Joan Jett. Ils boivent du Cloven Hoof spiced rum. Mais pour Tuk Smith la vie est dure : «Rock’n’roll is harder than it’s ever been. I’m making zero money on this tour. I’m on five bucks per diem. And I’ve never splept less in my life than on this tour.» Il ajoute que le manque de sommeil le rend irritable. Il raconte aussi qu’il a arrêté les narcotics voici dix ans, le matin où il s’est réveillé à côté du cadavre de Travis Criscola, guitariste des Cute Lepers, qui venait de faire une petite overdose - I don’t think that whole lifestyle is glamourous now - Tuk Smith ne supporte plus les clichés rock’n’roll. Par contre, il avoue adorer le glam des seventies et pouf, il cite Sweet, Slade, T. Rex. Il porte un badge d’Hector, un obscur dutchband qu’on trouve sur les très bonnes compiles glam - I want to bring the old grooves back - L’intention est louable - Having an image is fine, but I want to be known for killer tunes - Dave Everley qui les voit jouer sur scène au London Roundhouse dit qu’ils sound terrific et qu’ils look great. Et avec Smith, they have the most charismatic frontman out there right now. Mais il a beau être charismatique, Tuk a du mal à groover le public anglais. C’est sans doute pour ça qu’il pense que ça devient très dur de vouloir faire du rock’n’roll.

Oh, alors un petit conseil en passant : si vous aimez la bonne power-pop musculeuse et sensée, chopez donc le 5 titres sorti sur Pop The Balloon : on y voit nos quatre Biters en noir sur un fond blanc. Les cinq titres sont spectaculairement bons. Dès «Ain’t No Dreamer», on décolle comme si on se trouvait à bord d’un avion supersonique : extraordinaire pulsation d’exaction partisane. Ces quatre Atlantais développent l’un des plus puissants couples moteurs d’Amérique. Et si ne n’est pas un hit, alors qu’est-ce donc ? Et ça continue avec «So Cheap So Deadly», plus glam encore. Ils disposent d’une fantastique hauteur de vue - You got a hold on me - Et voilà «Anymore», l’absalon du power-poppisme, ces mecs sont les teenages operators d’envolée maximaliste, ils ne vivent que pour lâcher des bombes. C’est tellement bien foutu qu’on se retrouve le bec dans l’eau, comme s’il n’y avait rien à dire. Les Biters se débrouillent très bien tout seuls, ils n’ont besoin de personne en Harley Davidson. Et jusqu’au bout du bout.

Pop the Balloon fit paraître en 2010 un autre single des Atlantais, le fameux «Hang Around». Pourquoi fameux, direz-vous. Parce qu’il est chouette, Owl. On a là une heavy pop de belle teneur et joliment enlevée. De l’autre côté, «Beat Me Up» sonne comme du grand Cheap Trick - Kiss me bailleby - C’est admirablement balancé dans le mille et frais comme un gardon d’Atlanta. Si tant est que.

Leur dernier album vient de paraître. Tout amateur de glam se doit de sauter sur The Future Ain’t What It Used To Be. On n’y compte pas moins de quatre classiques glam, à commencer par l’implacable «Stone Cold Love». Pur jus T. Rexien. Ils sont en plein dedans, ils pompent, c’est sûr, mais ils ont raison. Les Biters se montrent terrifiants d’ubiquité. On reste dans l’excellence glammy avec «Callin’ You Home», joué à la petite pétaudière de sinécure. C’est fou comme les Atlantais savent river le clou du glam. Ils jouent ça au beat de la sature saturnienne et balancent des why did you go qui résonnent autant que l’antique Hellraiser. Voilà du glam d’or pur. Ça continue avec «Gypsy Rose», monté sur un drumbeat de glam définitif. Les Biters effarent. Les voilà hantés par Marc Bolan. Le son ! Le satin ! Les platform boots ! Et un solo d’une énergie fondamentale les élève largement au dessus de la moyenne. «No Stranger To Heartache» reste dans la même veine inespérée. Cette fois ils tapent dans le stomp et vont même jusqu’à l’exploser aux accords de gras de glam double, comme s’ils tapaient dans une réserve de ressources inexplorées et qu’ils redoublaient d’audace. Tout est joué dans une absolue frénésie. On trouve sur cet excellent album des choses plus classiques comme «Hollywood». Ils vont musarder sur l’Hollywood Boulevard de Ray Davies et y développent leur business. Si bien que leur Hollywood prend une tournure grandiose. Leur album regorge de son et de good moves. Le «Let It Roll» d’ouverture de bal vaut aussi le détour. Il est tellement chargé de son que tout vibre. Ils tapent là dans la démesure du m’as-tu-vu de la cisaille de power-pop explosive. La confiture dégouline de partout. Ils s’énervent tellement qu’ils démultiplient les c’mon. «Don’t Turn This Good Heart Bad» sonne comme un cut d’action directe des seventies, un hit de juke saturé de power-pop. Les Biters sonnent comme de puissants seigneurs. Ils incendient «Vulture City» d’entrée de jeu. Le cut tourbillonne dans de violentes envolées de son. Les Biters ne plaisantent pas avec la marchandise. Qu’on se le dise.

Signé : Cazengler, Biter San Pellegringo

Biters. Hang Around With. Pop The Balloon 2010

Biter. Biters. Pop The Balloon 2012

Biters. Electric Blood. Earache Records 2015

Biters. The Future Ain’t What It Used To Be. Earache Records 2017

Classic Rock # 236 - Rubrique Live. June 2017

 

Ça chauffe sur Radio Birdman - Part Two

 

Retour en force des Australiens en Normandie, yes the Birdmen flew au grand complet, pareils à une équipe de vétérans de toutes les guerres, jeu serré, big aussie beat, over under sideways down, mâchoires carrées, mines sombres, big drops de sueur, auss and boots, le rock en découd, ça lamine et ça harponne, enfin bref, les Birdmen ne sont pas là pour rigoler. Ils n’en finissent plus de jouer leur carte du mieux disant, il rockent la rockalama comme au temps de leur jeunesse aussi enfuie que Mesrine d’un QHS, ils tarpouinent le mur du son à coups redoublés, blow sur blow, ils enfilent leurs no-hits comme des perles, à défaut d’enfiler la voisine, mais c’est vrai qu’à cinq, ce n’est pas facile. Rock de vieux ? Ha ha ha, comme dit l’apôtre de Clochemerle. Non rock de Birdmen, tout bêtement, sans concession, bien rentre-dedans, bien plaqué d’accords crispés, bien rond sur la crête de sa bassline, ça joue à l’amputée et au moignon, ça bombaste à l’aussie whapalaboom et les kids adorent ça, il faut voir comme ils adorent ça, ils ont toujours adoré ça, et tant que les Birdmen voleront, les kids et les vieux adoreront les voir voler. Ça remonte le moral de les voir adorer ça. Du coup on adore ça encore plus. Jusqu’à l’ivresse. Birdman sur scène, ça veut dire concert idéal. Pas le Graal, comme Jason Pierce ou les Pretties, mais shoot assuré, ‘ah oui monsieur, shoot garanti 100%’ comme dirait le vendeur badgé à l’œil torve, pas de problème, ces vieux renards du bush australien tiennent l’heure de set comme on tient un bastion, ils blasticotent leur blast en caoutchouc, ils kickent leur cake à la crème, ils tournicotent leur tournicoton avec la force qu’enseigne l’expérience, et what an Experience, Jimi, puisqu’elle s’étend sur presque cinquante ans. Si les grognards rescapés de la retraite de Russie avaient monté un groupe à leur retour en ville, ils auraient sonné exactement comme les Birdmen. Quand ils arrivent sur scène, les Birdmen semblent sortir ratacuits du four du Darfour, comme s’ils venaient d’échapper de justesse aux féroces guerriers du Mahdi. Ils pourraient aussi sortir épuisés des marais de Floride, comme le fameux Captain Wyatt que traquaient les Séminoles. Rob Younger et ses amis incarnent l’héroïsme d’un rock qui survit à toutes les avanies et framboises, c’est-à-dire les mamelles du destin : les traversées du désert, les stratégies de marketing et leurs fruits bâtardisés qu’on appelle poliment les changements de modes, les pannes d’inspiration qui sont encore plus détestables que les pannes d’essence, ils ont survécu à tout ça miraculeusement, qui aurait dit en 1974 que ce groupe allait jouer en Normandie en 2018, plus de quarante ans après ? Personne, excepté les gens doués de voyance extra-lucide. Et pourtant, si on réfléchit une seconde, une seule seconde, on voit apparaître le commencement d’un début de logique : si les Birdmen existent encore, sans doute est-ce parce qu’ils plongent leurs racines dans les Stooges et c’est d’ailleurs avec «TV Eye» qu’ils tirent leur révérence avant de souhaiter bonne nuit à la compagnie. Et quelle version, my God ! Tek qui n’est pas du toc joue le riff avec une niaque de pilote qui ne craint pas la mort, il joue au plus près de la niaque ashetonienne, l’une des plus révolutionnaires de l’histoire du rock électrique, celle que dont jadis Eve Sweet Punk Adrien chantait les louanges, on ne refait pas un monde qui est déjà fait, la légende retourne à la légende comme le serpent se mord la queue, tant il est vrai que le grand tourbillon d’énergie cosmique qui tourne autour de la terre s’appelle les Stooges, et tant qu’il y aura les Stooges, il y aura de la vie, ainsi vont les fleuves et les temps, ainsi coule la lave dans les Lys de la vallée et Felix Tek ashetonne de l’une à l’autre, d’Henriette de Mortsauve-qui-peut à Lady Dudley Moore and Moore, Rob râle du see that cat comme s’il en pleuvait, Rob rote du Down on her back à la glotte insalubre, Rob ramène du rab, Rob rame dans l’enfer rouge de nos nuits blanches, Rob rolls down the line, Rob rocks it hard, Rob rôde dans la stoogerie comme un requin en maraude, Rob roule le raw dans la farine, Rob rides it easy, pendant trois minutes, il shake le meilleur shook de tous les temps, Rob rime avec zob, Rob risque ses périls, Rob règne au ras des pâquerettes, Rob rend l’âme, Rob rue dans les rencards, Rob rit jaune caus’ she got a TV Eye on me, on en finirait plus avec Rob et les Stooges, il faut faire gaffe, pendant trois minutes, ils nous font croire que tout peut recommencer, que rien n’a changé depuis 1970, attention, méfiance, ne cédez pas au chant des sirènes, attachez-vous au mât. Quand retombent les cendres sur la morne plaine, on constate que les Birdmen ont redoré le blason de la crédibilité, et cette flèche tirée dans l’œil du cyclone TV leur vaut en plus de l’adoration une sorte d’admiration de bouche bée, médaille beaucoup plus difficile à décerner.

Plus en amont, on les vit taper dans les Doors, et ça, c’est réservé à une élite qui n’existe pas. À part les Doors, personne ne peut jouer les hits des Doors. Personne sauf les Birdmen, run with me, toute la tension magique de «Not To Touch The Earth» renaît elle aussi de ses cendres, les Birdmen plongent dans le maelstrom kurt-weillien d’incantation du wake up girl, c’est vrai que de Jim Morrison aux Stooges, il n’y a qu’un pas qui se franchit avec une allégresse qu’on tient pour païenne. Comme celles des Stooges, les chansons des Doors se consument, elles brûlent vives, léchées par les mêmes flammes infamantes et se caramélisent jusqu’à la dernière goutte de son, oui, l’évidence crève les yeux, les mêmes démons hantent Jim Morrison et les Stooges, ils cultivent tous le même jusqu’au-boutisme, celui qui traverse les siècles en laissant des traces vives dans la mémoire des hommes. Rien qu’avec cette paire d’hommages, Radio Birdman décroche son ticket to ride, mais comme Rob reste d’une modestie à faire pâlir d’envie George Brummell, le groupe retournera down under retrouver son nid en Australie, dans le confort un peu humide de l’underground.

Autour des Stooges et des Doors, les Birdmen tartinent les contreforts avec des vieux no-hits à eux de type «Hand Of Law», «Zeno Beach» ou encore ce brand «New Race». Ils créent encore la sensation avec une cover du grand et beau «Shot By Both Sides». Mais dans tous les cas, Rob Younger se veut plus Younger que jamais, il nie sa réalité de vieux pépère et passe directement à l’action, avec une énergie qui en impose, au moins à tous ceux qui se confrontent au même problème : rock et limite d’âge. Quand faut-il sauter du train ? Pas question pour Rob de sauter du train. Il avoisine les 70 mais il avoine la gueule du rock, pas comme un bas du front, mais comme un gentil mec profondément convaincu de la faisabilité des choses. On appelle ça l’intelligence du rock. Tu tiens debout, tu aimes ça, alors chante le rock électrique, mon gars. Rien n’est plus vital aujourd’hui que de voir Rob Younger danser sur scène.

Jonathan Sequeira vient de réaliser Descent Into The Maelstrom, un brillant docu sur l’histoire des Birdmen. Et là tout s’éclaire. Le maelström n’est pas ce qu’on imagine, une spirale de sex, drugs and rock’n’roll, non ce qui a détruit le groupe, c’est l’ego de Deniz Tek. Voilà ce que révèle ce docu extrêmement poignant, d’une honnêteté qui fait honneur à tous les témoins de cette pénible histoire. Dommage, car ils partaient du bon pied, Rob Younger se maquillait et travaillait un look à la Neal Smith (le batteur d’Alice Cooper), Pip Hoyle portait un béret comme Eno, Warwick Gilbert dessinait le logo et de très belles affiches, et Ron Keeley battait admirablement le beurre. Quant à Deniz Tek, Michigan boy fraîchement débarqué en Australie pour finir ses études de médecine, il composait des no-hits. Premier faux pas des Birdmen : une petite médisance sur les Saints, qui eux composaient des hits. Tek ne les apprécie pas «sur le plan personnel», et le malheureux Pip ose dire : «Nos capacités et aspirations musicales étaient au dessus de ce que faisaient les Saints», et là, on sent que se pose un gros problème, car s’il est bien un groupe auquel personne n’oserait se comparer, c’est précisément les Saints. Le malaise s’accroît encore lorsqu’apparaît la track-list du premier album des Birdmen : on lit ‘D. Tek’ à toutes les lignes, comme on lisait le nom de Don Nix partout sur l’album de Moloch, ce qui faisait bien rigoler les gens de Memphis. Craaak... Une première crevasse apparaît dans ce groupe qui se prenait pour une famille : d’un côté Rob et Tek, de l’autre, the brotherhood : Ron Keeley, Warwick Gilbert et Chris Masuak. Ces trois-là ne sont jamais consultés, on ne leur demande pas leur avis. Comme dans Blondie, quand Stein et Debbie Harry mettaient les autres devant le fait accompli. Puis un autre Stein, le Seymour de Sire, vient en Australie signer les Saints, mais il flashe sur Birdman et les envoie tourner en Angleterre. Se croyant malin, le manager du groupe détériore encore l’ambiance en tentant de pousser Rob et Tek devant, laissant les autres dans l’ombre. Il fait exactement ce que fit qu’Andrew Loog Oldham avec les Stones, en poussant Jagger & Richards en avant. Du coup l’ambiance se délite. Bon prince, Ron Keeley déclare : «That wasn’t a clever management.» Conditions de tournée habituelles : le van, pas un rond, la fatigue et l’impossibilité de se parler - It just kind of fell apart - Ça tourne en eau de boudin. Ils vont à Monmouth chez Dave Edmunds enregistrer leur deuxième album, Living Eyes, que Chris Masuak appelle Living Ass. Ron, Warwick et lui se plaignent d’être exclus du process créatif. Tek écrit tout, Tek produit tout, Tek gère tout, Tek par ci, Tek par là. On imagine aisément ce que ces pauvres gens ont dû endurer. Warwick : «I think Living Eyes is all shit. C’est le truc de Tek.» C’est vrai que l’album paru beaucoup plus tard est d’une spectaculaire médiocrité. Le groupe se sépare. Personne ne se dit au revoir.

Et pouf, vingt ans plus tard, en 1996, on leur fait un pont d’or pour se reformer, and all the shit starts again, nous dit Warwick en rigolant, Tek veut tout diriger, tout composer, tout produire. Warwick n’en peut plus, il dit à Ron qu’il arrête les frais, Ron I’m out of it ! C’est là que Jim Dickson, le bassman des New Christs, entre dans Birdman. Puis après un mauvais show, Ron Keeley est viré comme un chien. Devant la caméra, Rob déclare : «Non, c’est pas moi qui l’ai viré...» et il ajoute, très embarrassé : «But I was part of the decision.» Big, very big malaise. Comment ose-t-on se comporter ainsi avec un vieil ami ? Alors Ron reprend la parole : «Je me tenais au bord de la falaise et on m’a poussé dans le dos.» Il ajoute que cet épisode atroce continue de le hanter. Sur sa lancée, Tek continue d’épurer les rangs en éradiquant le brotherhood : il envoie un mail à Chris Masuak pour lui indiquer qu’il est viré. UN MAIL ! Oui, de nos jours, on vire les gens par mail. Chris prend ça avec une certaine forme de philosophie : «Je suis plutôt content de ne plus jouer dans ce groupe avec ces gens. They just don’t play good enough for me.» C’est à Ron Keeley que revient le mot de la fin. Il indique que Tek a battu tous les records, dans le domaine. Puis, avec sa touchante bonhomie, Ron précise qu’il ne lui adressera plus jamais la parole.

Signé : Cazengler, rabiot beurre-man

Radio Birdman. Le 106. Rouen (76). 20 octobre 2018

Jonathan Sequeira. Descent Into The Maelstrom. DVD 2018

TROYES – 02 / 11 / 2018

LE 3 B

HOT CHICKENS

L'on se retrouve à une dizaine pour pousser la porte du 3 B. Ça n'en finira pas d'arriver, un flot ininterrompu, le carré des habitués et une flopée de nouveaux. Quelques uns un peu par hasard mais la majorité poussée par le qu'en dira-t-on, la rumeur d'un certain Jake Calypso le mois dernier à la Chapelle Argence, qui aurait averti qu'il serait au 3 B le premier vendredi de novembre. Ce soir c'est la patronne Béatrice Berlot qui offre une fricassée de poulets brûlants, ne poussez pas il y en aura pour tout le monde. Trois services, trois sévices rock'n'roll, propagés dans de la porcelaine de prix. Cassée. Pour ceux qui ne le sauraient pas Jake Calypso et Hot Chickens, ne sont que deux fragments identiques, et donc différents, d'un même miroir magique. Une fois que vous vous êtes miré dans l'un vous n'avez plus qu'une envie vous admirer dans l'autre.

HOT CHICKENS

Hervé Loison tire sa Paint it Black sur le plancher. La grosse dondon toute noire, se laisse faire. Résignée, encore une promise à une glorieuse mort sur le champ d'honneur du rock'n'roll... Christophe Gillet s'installe sur un des tabourets du bar, un arbre qui a traversé la route lui a fragilisé la cheville, n'ayez crainte les doigts sont indemnes... Thierry Sellier compte du regard les éléments de sa batterie, cinq pas un de plus, amplement suffisants pour déclencher les orages. L'est un peu sorcier indien Thierry, avec trois fois rien il vous emmène au cœur de l'apocalypse. Le gars qui vous arrête une division blindée avec un fusil à fléchettes. Devrait être nommé ministre de l'économie. Vous lui refileriez le déficit, il vous enrichirait le peuple à alimenter la chaudière du chauffage central avec des billets de cinq cent euros. Sans effet de manche, sans aucune forfanterie, sans une once de stress, sans la moindre théâtrale grandiloquence – méfions-nous toutefois ce petit sourire mi-goguenard, mi-méphistophélique qui erre sur ces lèvres – il abat une ou deux baguettes sur un ou deux de ces fûts, du genre puisque c'est à mon tour de jouer, faisons-le à la cool sans me prendre la tête. Le problème c'est qu'il explose la vôtre. Un vicieux, pas un adepte du coup qui assomme le bœuf, il sait le faire, mais c'est un pervers, l'a une prédilection pour le dérapage infini, à la grêle il préfère le grésil, à la franchise nette la glissade fracturale. L'a l'art du bop. Vous ne savez jamais par quel trou le renard sortira de son terrier, vous matez désespérément les orifices, par un malheureux contretemps incongru et incompréhensible l'est déjà en train de saigner la volaille dans le poulailler. Evidemment vous vous en doutez il y a un autre larron dans la foire. Le profil du sage. L'air attentif. Y a de quoi. Devant lui le Loison piaille sans vergogne, et derrière lui le Thierry ondule le carton, alors par la force des choses le Christophe se charge du grand écart, vous réunit les flots divergents du même courant, l'est le maître des eaux du déluge. Ne se contente pas de construire un pont entre les deux rives. Ce serait-là du boulot de mauvais ouvrier qui colmate les voies d'eau à l'aide de planches trouées agencées avec du chewing-gum usagé. Use d'une autre méthode. Personnelle. Sur le qui-vive perpétuel. Prend la barre et ne la lâche pas d'une seconde. Navigue au plus près de la tempête loisonesque, un truc à y perdre ses plumes et ses voiles, mais non, vire lof sur lof, prêt à toutes les éventualités, veille au grain qui va éclater et quand le voilier est prêt du mou il déclenche de nouvelles ardences. A tribord surveille de près Hervé, mais à bâbord il lui faut veiller sur Thierry qui est comme le lait sur le feu. Prêt à déborder au moment où l'on s'y attend le moins. Dans ce cas-là le Gillet de sauvetage vous largue de ses tonitruances à vous en fendre les tympans, tire au canon, des deux bordées, de la proue à la poupe, mais quand les deux autres bretteurs filent tout droit, il laisse aller le navire sur son aire, à toute vitesse, dans les cas extrêmes, avant les grandes dérives et déchirures éruptives, pour ahaner le suspense et le rythme Christophe fouette de ses cordes le dos de la chiourme, tout le monde comprend que l'on s'approche des récifs rugissants, et à l'instant fatidique où la coque va se briser sur les dents de pierre de l'océan, il vous abat un ouragan à vous démâter les cerveaux en perdition.

Pour ceux qui ne supporteraient pas le mal de mer, nous emploierons une métaphore d'un autre genre culinaire. Imaginez l'eau bouillonnante portée à cent degrés dans la marmite de Tante Agathe. Cette espèce de chaos liquide tumultueux, qui obéit à de subtiles architectures secrètes, correspond au tohu-bohu ordonné de Thierry Sellier et Christophe Gillet, contrairement à ce que prescrivent les recettes traditionnelles, ce n'est pas l'instant idéal d'y faire fondre avec douceur, patience et consomption un bouillon cube déshydraté. Tout le contraire, plongez-y un animal vivant, style cachalot colérique, on n'en a pas toujours un sous la main, donc n'importe quel volatile fera l'affaire, de préférence toutefois nous vous encourageons à prendre un Loison sauvage survitaminé, de l'ordre des Hervédés énervés. Les filles, je vous en prie, cessez vos jérémiades hypocrites, et évitez de traiter les rockers de brutes au cœur d'assassin. Je peux témoigner, vous n'avez pas cessé une seconde de toute la soirée de vous trémousser comme des dératées, et je me refuse à évoquer vos yeux de merlans frits énamourés braqués sur le trio convulsif. Je me permets de vous rappeler qu'il ne faut pas moins de trois cuissons – en terme idoine on emploie le mot set – pour venir à bout d'une telle bestiole, et surtout que le Loisonus Hervibus – ainsi disent les savants – est réputé pour être increvable. A la fin de la préparation, certes il n'est pas frais comme gardon, mais chaud comme la poule qui sort du pot. Vous comprenez ainsi pourquoi les américains nomment ce plat Hot Chikens.

Bref le Loison plongé dans l'eau à ébullition est aussi à l'aise dans cette atmosphère incandescente qu'un rocker devant une chope de bière fraîche un jour de canicule, même qu'au début Thierry et Christophe la mettent en sourdine pour l'écouter chanter, car il module, il roucoule doucement telle une palombe sur la plus haute branche de l'arbre, puis il minaude, joue la diva, vous trille les notes en vocalise, et patatras, d'un seul coup le monde s'écroule, l'est pris d'un délirium tremens prononcé, se roule sur sa big mama, lui tire une corde, cruellement à croire qu'il veut arracher les cheveux de sa copine dans la cour de récréation. Un grand partageur, pas un égoïste, nous invite à l'imiter, et c'est le jeu question réponse du holler-blues revisité en version joyeusement participative. Le numéro du perroquet, le maître se met devant vous et vous répétez après lui, un vieux réflexe qui marche à tous les coups, derrière Christophe fait semblant de marcher à pas de loup sur des élastiques et Thierry passe du coton hydrophile sur sa caisse claire, genre tireur d'élite qui graisse soigneusement son fusil à lunette avant de l'épauler et de vous mettre en joue, vous connaissez la fin, sans préavis ils se jettent sur vous et vous croquent comme le petit Chaperon Rouge.

Z'ont aussi des produits de plus haut standing. Hervé s'amuse à l'écrivain qui se cite lui-même, interprète du Jake Calypso, nous aurons droit à un Memphis Downtown épique, Gillet aux choeurs spasmodiques, le downtown frappé à la manière de ces pièces de monnaie qui sonnent lugubrement dans les entrailles sans âme des machines à sous. Les pionniers seront particulièrement mis à l'honneur, un Rave On ravageur une véritable bataille d'oreillers au lit, du Little Richard dégoisé à l'infini, le combo rock dans toute sa splendeur, un Keep-A-Knockin' brillant de mille feux tel l'embrasement du temple d'Ephèse pour annoncer au monde antique effrayé la naissance d'Alexandre le Grand, et puis surtout ils ont boppé like they play Gene. Une espèce de descente d'organes irrémédiable sur la batterie de Thierry, une succession de pontages coronariens sur la guitare de Christophe, tous deux chirurgiens diaboliques, et Loison glissant le bistouri de sa voix dans les tripes congestionnées du rock'n'roll. Des fulgurances de tremblés de guitare sur l'anatole étoilée de Baby Blue, et une rapidité de frappe d'une exactitude extraordinaire sur Say Mama que tout le monde reprend à tue-tête. Une espèce de transe chamanique avec Hervé qui relance du charbon dans la locomotive folle. L'on ne change pas une équipe qui change. La dream team de notre trio rock'n'roll passe aussitôt au Rock'n'roll Trio de Johnny Burnette dont elle interprète sans faillir trois – n'oubliez pas que nous sommes à Troyes - tempêtes souveraines, notamment un All By Myself digne de l'Anthologie Palatine. Remarquez que Fabien à la sono leur a concocté une réverbe digne du studio Sun, pour le rockabilly sauvages de nos poulets frits, c'est une aubaine qui ne se rate pas.

A ce moment-là, le délire règne en maître depuis longtemps dans la salle, Hervé à remisé sa big mama dans un coin, trop de monde autour des musiciens, l'a échangé contre sa basse électrique, n'empêche que l'espace que l'assistance lui concède est bien trop étroit pour se livrer à sa gymnastique habituelle, puisque l'horizontalité terrestre lui est interdite, il s'élèvera selon l'altitude ouranienne. Pour le troisième set Christophe survolté joue debout, Hervé s'empare du tabouret, se juge dessus en équilibre précaire, micro et basse en main, il aimerait aller encore plus haut, mais ses cheveux touchent au plafond, alors il cogne sa tête sur les lattes plastiques transversales, les déforme quelque peu, pris d'une rage de berserker il saute à terre se roule sur le plancher et cogne à plusieurs reprises sa tête sur le sol, s'écroule sur la batterie, imperturbable Thierry continue à battre l'infatigable tic-tac de la fin du monde...

Sont trempés, mouillés, éreintés, cassés comme des Héros revenant de la guerre de Troye, embrassés, caressés, palpés, papouillés, remerciés, comme des Dieux qui ont permis la victoire. Dehors l'on n'en finit pas d'épiloguer... Une soirée dont on reparlera longtemps dans les chaumières. Merci à Béatrice la patronne !

Damie Chad.

 

BRIAN JONES

TRAGEDIE DU FONDATEUR DES ROLLING STONES

JEREMY REED

( Talents Publishing / 2008 )

Brian Jones. Le brillant jaune. L'on ne voyait que lui sur les pochettes des Stones. Arborait une moue dédaigneuse, une mine mystérieuse, du genre, circulez il n'y a rien à voir, vous ne m'intéressez nullement. Oui mais les Stones, alors les EP's on se les passait et se les repassait, les boys on les reluquait un par un, et il faut le dire, je ne citerai pas de noms, il y en avait deux qui étaient franchement laids, les deux autres normaux, même que Jagger avait ce sourire idiot qui plaît aux filles – oui, on était jaloux – mais les quatre mousquetaires pouvaient se rhabiller dès que l'on dévisageait les photos, avec ses cheveux blonds, Brian était le mouton noir du lot, celui que l'on zieute en premier, les autre zigotos éclipsés, lui la face illuminante de la lune, les autres le côté même pas sombre, dont on ignore jusqu'à l'existence. On se demandait même ce qu'il faisait dans le groupe. Le gars inclassable, on sentait que l'on ne pouvait pas le reléguer au poste ridicule de guitariste rythmique derrière ce grand riffeur de Keith, d'instinct on comprenait que le rôle de second couteau n'était pas pour lui. C'est au fur et à mesure que les disques se succédaient que l'on a compris qu'il était comme ces troupes d'élite trop précieuses pour être stupidement exposées, que l'on n'engage au combat que lorsque leur présence est indispensable pour créer la victoire. Le spécialiste, celui que l'on appelait en dernier ressort ou plutôt qui se pointait sans préavis pour vous déballer la dernière invention dont personne n'avait jamais encore entendu parler. C'est quoi ce son ? C'est rien, c'est le dulcimer de Brian Jones, et celui-là qui fait mal aux oreilles ? Mais tu n'y connais rien, c'est le sitar de Brian Jones.

On en avait conclu que le Brian Jones c'était le couteau suisse des Rolling. Le voisin du dessus à qui vous téléphonez quand vous avez le robinet qui fuit. Au début, on ne savait même pas que c'était lui qui avait créé les Stones. D'emblée on avait décidé que c'était le Jagg, avec sa large bouche, c'était lui le patron. Devait savoir ouvrir sa grande gueule. Le Brian, même pas l'éminence grise, la jaune si vous voulez. Manque de chance, quand on a commencé à tout piger, d'étranges bruits ne cessaient de circuler, le Brian assommé par les drogues, un zombie qui n'arrivait même plus à se saper. Le dernier des journalistes rock qui se pointait à Londres ne manquait pas de raconter qu'il avait croisé Brian Jones complètement stoned, dans un état comateux, guirlandé comme un arbre de Noël... en plus le mec pas malin, Keith et Mick arrêtés par surprise par les flics, un scandale, l'on avait envie de prendre un fusil et de descendre dans la rue, mais quand deux jours plus tard, les pigs sont allés chez Brian, l'abruti, l'aurait pu s'en douter, l'aurait pu évacuer la came, un enfant de trois ans aurait compris... Quand les Stones l'ont débarqué du groupe, l'on n'était pas franchement contents, un peu comme quand le dentiste vous arrache une dent de sagesse, l'on y tenait tout de même à ce chicot pourrave, et aussi un sentiment d'innocence perdue, la sensation d'agissements pas très propres dans les coulisses, et puis une very big question primait : qui le remplacera ?

Jeremy Reed ne mange pas de ce pain-là. Certes dans la traduction française l'éditeur s'est débrouillé pour glisser dans le sous-titre la formule magique ( Rolling Stones ) celle qui fait vendre, mais le titre anglais est autrement évocateur, Brian Jones, The Last Decadent. Certes dans la bibliographie reedienne vous trouvez des ouvrages sur Scott Walker, Lou Reed, et le Brian Jones, mais c'est avant tout un littéraire. L'est arrivé au rock'n'roll par la poésie, l'a emprunté le chemin des similitudes, l'a tout de suite saisi le rapport entre le rock'n'roll et des gabarits comme Arthur Rimbaud, Lautréamont ou Jean Genet, tous les rockers ne sont pas obligatoirement dans un groupe de rock. Même qu'il y en avait déjà depuis des siècles que le rock n'existait pas encore.

Ceux qui s'attendent à tout savoir sur l'apport musical de Brian Jones aux Rolling Stones seront déçus. Jeremy Reed nous parle de Brian Jones, mais pas du tout expressément des Stones – de toutes les façons vous connaissez la saga dans ses moindres détails depuis longtemps – certes sans les Stones, Brian Jones n'existerait pas, mais il faut comprendre que le succès des Stones a agi comme un démultiplicateur sur l'âme de Brian. Le livre n'est pas à strictement parler une biographie de Brian Jones mais une étude de sa psyché. Que le lecteur ne s'étonne pas que dans le premier chapitre Jeremy s'attarde sur la personnalité de quelques empereurs romains, Héliogabale, Caligula, Néron. Le pouvoir absolu qu'ils détenaient leur a permis de vivre leurs phantasmes à fond. En pleine conscience. Z'ont joui sans entraves. L'ont payé cher, sous le couteau de leur propre garde, par exemple. Il est inutile de les condamner, ces figures historiques sont des loupes grossissantes qui nous permettent d'entrevoir ce que nous ferions placés en une même situation. Car ne nous faisons aucune illusion, nous ne sommes ni pires, ni meilleurs qu'eux. La gloire, l'adulation, l'argent ont permis à Brian Jones de vivre selon sa nature profonde. Certes l'idole d'or n'était pas un empereur romain, mais elle a eu l'opportunité de réaliser ses rêves et ses cauchemars selon un niveau très supérieur au péquin de base.

Un père rigoureux, un enfant rebelle. Vif, charmant, intelligent, doué, en ses débuts mais à l'adolescence tout part en vrille. Brian rejette tout en bloc. Il fera ce qu'il voudra. Tant pis si cela ne plaît pas aux autres. Des autres d'ailleurs, il s'en fout et contrefout. Turlupine à seize ans une copine enceinte, mais n'envisage point de réparer. Ce ne sera pas la dernière. Consomme et jette. Que la mijaurée se console comme elle veut et torche les fesses du bambino. Ce sera sa ligne de conduite. Affaire ancienne qui ne m'intéresse pas. J'ai autre chose à m'occuper. Pas joli-joli ? C'est ainsi, le grand jaunâtre fonctionne de cette manière, c'est du narcissisme pur, même pas pervers. L'est un Artiste, priorité absolue à son œuvre. Mon entourage humain relégué au dix-septième plan. Ses parents ne le supporteront plus, trouvera la porte fermée et ses valises devant.

Une terrible blessure narcissique qui ne fait que confirmer ce qu'il avait pressenti depuis toujours. L'était un cygne blanc engendré par des canards boiteux. Ne finira pas SDF, mais Rolling Stones. L'a l'arrogance naturelle. Supérieur ( pas du tout inconnu ) à tout le monde. L'a obligatoirement toujours raison. Au début c'est parfait, sa personnalité colle comme un gant à la morgue affichée par le groupe. Qu'on se le dise les Stones ne sont pas de gentils garçons. Le problème c'est Andrew Loog Oldham, Jagger et Richards, les trois zigotos aux dents longues voient plus loin, ne veulent pas répéter sempiternellement le blues tutélaire, veulent toucher un public encore plus vaste. Plus pop, plus rock. Brian met la main à la pâte mais suit en traînant la patte. Se sent dépossédé de la machine qu'il a créée.

L'alcool, la drogue l'aident à tenir, l'isolent aussi dans sa tour d'ivoire. L'a d'autres problèmes. Par exemple, n'a jamais aimé  la cohue des concerts, trop de violence, trop de vulgarité. Possède une sensibilité d'esthète. Un pur artiste baudelairien qui rêve de luxe, de calme, et de tranquillité. Sur scène ses tenues épousent la chatoyance du costume des toreros mais il éprouve l'impression très désagréable d'être le taureau promis à la mort... Et puis les filles surtout. Les consomme en grand nombre. Je te baise, je te jette. A part que plus le temps passe, plus ça dérape, les excitants modèrent ses envies, l'impuissance le guette. Mais c'est encore plus compliqué. Dans une fille il recherche son double, faut qu'elle soit blonde comme lui, mais peut-on se baiser soi-même, n'est-ce pas une sorte d'inceste métaphysique, n'est-ce pas s'abîmer soi-même lorsque l'on porte sexuellement atteinte à ce corps qui vous ressemble ? Brian se débat avec le mythe de l'androgynie. Jeremy Reed pousse l'analyse un peu plus loin. Brian baise les filles pour ne pas s'avouer son homosexualité, parfois il passe le gué, peut-être même avec Jagger, parfois non. Tout cela se passe dans la tête de Brian, mais dehors ce n'est guère mieux.

Les tenues vestimentaires de Brian sont extravagantes. Assortit les couleurs sauvagement. Sur scène, et dans la vie. Brian se met en danger, ce ne sont pas seulement des recherches costumières hors du commun, une tendance profonde saute aux yeux de ceux qui le croisent. Brian ne recherche pas l'excentricité, il se déguise pour s'habiller en fille. Une dizaine d'années plus tard Bowie jouera avec cette ambiguïté, mais au milieu des années soixante, les esprits frustes ne se gênent pour déclarer que Brian est un sale pédé, une tapette. Pour le moment il vit dans un milieu protégé...

Les amantes de Brian racontent qu'en fin de compte il ne se passe grand-chose dans les moments de tendresse. Donc peu de sexe, et absence de cerise sur le gâteau à pâte molle, aucune compensation : pas du tout de tendresse. Brian est trop prisonnier de lui-même pour entrer en communication avec autrui... La seule qu'il ait aimée s'avèrera être Anita Pallenberg. Emploient leur temps à se crier dessus. Crise perpétuelle. Elle finira par se maquer avec Keith... Le couple androgynique se rompt en deux et la moitié indispensable se détache de lui, non sans une cruelle perversité.

Pour Brian rien ne va plus. Se sent trahi par Keith et pas besoin d'être devin pour prévoir l'éjection finale. Sera viré en mars 1969 exactement. Pas de chance, c'est sur lui que les policiers s'acharnent puisque c'est le plus fragile. Les perquisitions n'arrêtent pas. Vit dans l'angoisse perpétuelle, tout se délite autour de lui. Perd toute confiance en lui-même, n'osait plus depuis longtemps présenter les morceaux qu'il composait...

Finit par arrêter les produits par peur de se retrouver en prison, se rattrape sur les sédatifs et l'alcool, mais l'est prêt à renaître, une super-groupe Jones-Lennon-Hendrix est envisagé... Le monde lui fait peur. Ne demanderait qu'à rester calfeutré chez lui, mais il n'est plus chez lui, des ouvriers se sont installés à demeure soi-disant pour quelques travaux qui n'en finissent plus, se fait voler, moquer et insulter, cela se termine mal, il est retrouvé mort dans sa piscine. Jeremy Reed assure et démontre que cette noyade est un assassinat. Témoignages des amis et déclarations des témoins et des acteurs de cette soirée funeste ne sont pas pris en compte par les policiers. Un bon Stone est un Stone mort. Avertissement sans frais à la jeunesse occidentale très remuante en ces années de tumulte soixante-huitard. Un autre monde n'est pas possible.

Des effets de Brian tout a disparu. La maison a été pillée, ses collections d'antiquités envolées, ses vêtements ont été brûlés, ses instruments démolis, les bandes magnétiques probablement détruites car un demi-siècle plus tard aucun disque, aucun enregistrement sous tout autre support n'est encore réapparu. La mort de Brian n'a pas suffi, l'on a cherché à effacer ses traces, à détruire tout ce qu'il aimait, tout ce qu'il était. Une haine sans égale. Y aurait-il eu des commanditaires ? Jeremy Reed ne pose pas la question. La suggère. Sans aucune envie de s'y arrêter.

Reed ne se contente pas de l'aride exposé des faits. Elève le personnage de Brian Jones à la hauteur du mythe. Le compare souvent, citations à l'appui, à Oscar Wilde, ceux qui essaient de vivre loin du troupeau encourent la vindicte de leurs contemporains. Si Brian Jones ne s'est pratiquement exprimé que par la musique, Wilde avait les mots acerbes pour décrire le processus de destruction opérée par la société à l'encontre des personnalités rétives. Notre auteur puise d'autres exemples dans la littérature, évoque la théorie du bouc émissaire, et n'hésite pas à transformer le calvaire de Brian Jones en destin d'Orphée déchiré par les Ménades, peint son assassinat opéré par de frustes brutes affolées par le doute que l'homosexualité désignatoire de Brian soit à l'image de leurs propres désirs les plus profonds, comme une castration symbolique, rendant de ce fait le phantasme de l'androgynie définitivement irréalisable. La perfection n'est pas de ce monde.

Un beau livre. Très littéraire. Une analyse de la notion de décadence qui ouvre des perspectives peu connues – pour nous les petits froggies - sur la littérature anglaise.

Damie Chad.

 

L'INFANTE DU ROCK

ROMAIN SLOCOMBE

( Parigramme / Octobre 2009 )

Slocombe, c'est le genre de mec qui mâche des concombres en marchant sur les décombres de notre société. Déjà très jeune il tirait au Bazooka aux côtés de Kiki Picasso et de Philippe Manoeuvre. L'a des passe-temps agréables, il capture les jeunes japonaises au lasso, vous les ficelle à la manière des saucissons auvergnats et les prend en photo. Certains prétendent qu'il bande des cinés, et qu'il écrit des livres comme l'on va à confesse – vous noterez combien ce mot censé vous emmener à la contrition chrétienne contient les deux raies encastrables des deux plus ignominieux péchés de la chair - juste pour y jeter la gourme de son siècle. Bizarrement la première fois que j'ai lu un livre de Slocombe c'était un livre d'enfant de ma fille. Preuve qu'il doit rester une parcelle d'innocence dans son âme aussi noire que notre monde.

L'infante ( du rock ) c'est un peu l'arlésienne du récit. On ne la voit guère. L'encombre surtout le labyrinthe phantasmatique des désirs et des regrets du dénommé Glucose, le héros du livre. N'est pas au mieux lorsque le bouquin débute. Idem pour le terminus. All the good is gone et sa grande présence au monde est derrière lui. Depuis longtemps. Depuis vingt ans. L'a essayé une fois de renaître à lui-même, l'est parti au Japon, l'est revenu, peut-être que l'on ne vit qu'une fois après tout. Ensuite, juste une question de survie. Habite à Paris, publie des bouquins. Connaît encore du beau monde, mais l'on sent qu'il est un pré-hasbeen. Les heures de gloire et les années folles sont passées. L'a été le parolier des Mona Toys, dans les années quatre-vingts – perso je dirais que c'est un mélange de Lilli Drop, Taxi Girl, Rita Mitsouko, même si les Jouets de Mona paraissent plus sauvages – évidemment l'histoire se termine mal, drugs, rock and split... en plus Mona est retrouvée en très mauvais état. Assassinée. N'y a pas qu'une fille dans le roman, Glucose possède aussi un ami, Takao, un japonais qui l'initie aux combines du blanchiment d'argent. Un jeu dangereux.

Slocombe vous raconte tout ça. Déteste la ligne droite. Le chemin le plus court n'est pas le plus agréable. Le livre fonctionne à coups de flashbacks, un véritable dédale. Parfois il est écrit à la première personne, parfois à la troisième. Glucose court après sa jeunesse, et Mona dont il se murmure qu'elle est encore vivante. Dont il a été aussi l'amoureux transi. Peut-être aurait-il mieux fait de ne pas réveiller tous ses vieux souvenirs, à moins que ce soit le passé qui revienne demander des comptes...

Ce qui est sûr c'est qu'une fois que vous avez feuilleté le chapter one, vous tueriez votre mère pour savoir la fin. Salement bien combinée. Vous oblige à reconsidérer l'histoire depuis le début, ce n'est pas qu'un détail vous aurait échappé, c'est qu'il faut s'interroger sur la signification du bouquin. L'est un peu exigeant le Slocombe, en échange L'Infante du Rock vous fournit tout ce dont vous avez besoin pour vous pourlécher les babines : scènes choc, visions arty, des morts, du sexe, du sang, du fric, des silhouettes célèbres du tout-eighties-Paris-Rock, de la folie, du gore, de la littérature interlope, une dose de mélancolie, de la déprime, de la peur, du suspense...

Les critiques disent que c'est un roman policier, sous prétexte qu'il est publié dans la collection Noir 7.5. Romain Slocombe donne surtout l'impression d'avoir voulu écrire non pas sa biographie mais sa létagraphie. S'est aperçu que la relation de notre effacement du monde est le seul aspect de notre vie dont nous laissons, de gré ou de force, les autres se charger. Elle nous échappe, Slocombe a voulu remédier à cet état de fait. L'aurait pu se tirer une balle dans la tête, mais c'est une solution de facilité. S'est épargné aussi la vulgarité du testament, s'est comporté en grand seigneur, s'est construit un magnifique tombeau, le roman de sa vie rêvée, le relevé de tous les petits jolis cailloux qu'il a semés tout le long du chemin de ses opportunités existentielles, mais surtout l'orchestration magistrale de ce sentiment d'incomplétude qui nous poursuit depuis le premier jour où nous avons pris conscience que notre naissance au monde était aussi un cadeau mortel.

Très beau roman. Très rock'n'roll. Un rockman gris.

Damie Chad.

ROCKAMBOLESQUES

FEUILLETON HEBDOMADAIRE

( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

en butte à de sombres menaces... )

EPISODE 6 : SUR LA PISTE DU RENARD

( Splendido amoroso ) )

Nous sommes entrés dans la cuisine. Le spectacle n'était guère ragoûtant. Cruchette expliqua :

    • J'allais plonger les frites dans la bassine, lorsque j'ai entendu du bruit du côté du vide-ordures, j'ai cru que c'était des rats qui remontaient le conduit, j'ai soulevé le couvercle, quelle horreur quand je l'ai aperçu, je n'ai même pas réfléchi, je lui ai versé l'huile bouillante sur la tête et maintenant il est mort, quelle calamité ! Dire que j'ai tué un homme !

Sûr qu'il était bien mort, en un dernier effort le gars avait tenté de sortir du vide-ordures, mais la grande faucheuse l'en avait empêché, son torse dépassait, ses deux mains étaient crispées sur le rebord, l'était pas beau à voir, une atroce grimace de douleur dessinait un rictus démoniaque sur son visage, le plus hideux c'était ses yeux bleus grand-ouverts qui vous regardaient d'un air absent, tranchaient véritablement sur la peau de son visage rougie et desquamée par le liquide brûlant. Le Chef le repoussa dédaigneusement d'un grand coup de pied, l'on entendit son corps qui glissa durant quinze secondes dans le tuyau et très distinctement le splash terminal lorsqu'il s'écrasa tout en bas dans le local poubelle.

    • Pas de panique, ni de regret Cruchette, je l'ai reconnu, l'était de garde devant le bureau du Président lorsque j'ai été convoqué à l'Elysée pour la reformation du SSR, venait manifestement nous espionner, non seulement vous l'avez éliminé froidement, si j'ose dire, mais vous avez commis un véritable crime éthique, regardez, c'est écrit sur le bidon que vous avez versé dans la friteuse ''Pure huile d'olive vierge / Commerce Bio Ethique''.

    • Je me sens mieux, j'ai même une petite faim au fond de l'estomac, moi qui avais tellement envie de de manger des frites, tant pis, nous ouvrirons une boîte de conserve !

    • Que non Cruchette, vous avez besoin d'un petit remontant après de telles émotions, je vous invite au restaurant, vous et Molossa, je ne vois pas pourquoi cet innocent animal serait privé de ses trois habituels bifteks du soir sous prétexte que son maître doit se mettre immédiatement au boulot et nous présenter au retour un plan de récupération de la troisième cassette. Exécution immédiate !

    • Chef, vous êtes chou !

UNE SOIREE BIEN REMPLIE

La porte se referma et je restai seul. Pas pour très longtemps. Dix-sept secondes ne s'étaient pas écoulées lorsque le téléphone sonna.

    • Allo, je suis contente d'entendre votre voix Damie, c'est Claudine, je me suis rappelé d'un détail sûrement important pour votre enquête, la troisième copine son nom et son prénom m'échappent encore, pour la simple et bonne raison qu'elle se faisait appeler Darky. Mais ce n'est pas pour cela que je vous téléphone... Damie, depuis que je vous ai vu je ne peux plus dormir, je pense constamment à vous, vous n'imaginerez jamais ce que je fais le soir entre mes draps, je...

    • Les détails sont inutiles charmante Claudine, je connais tout cela, j'avoue humblement que toutes les filles que je rencontre subissent l'étrange attirance de mon magnétisme et...

    • Je m'en doute Damie, mais moi c'est différent, si vous le permettez je saute dans ma voiture, j'aimerais en discuter avec vous, ce soir même, Provins-Paris en une heure je peux être auprès de vous...

    • Excellente initiative Claudine, je me sens un peu délaissé ce soir, jusqu'à ma petite chienne qui est partie au restaurant et...

    • Damie, j'arrive, cette nuit I wana be your dog !

    • Je vous attends, Claudine.

La soirée s'annonçait sous les meilleurs auspices. Ne me restait plus qu'à mettre au point le plan d'accès à la troisième cassette. Je ne doutais pas que mon intelligence phénoménale ne me trouvât en soixante minutes la solution. Je commençai par m'installer au bureau à la place du Chef, en la position du cowboy nonchalant communément surnommée les-pieds-sur-la-table, je poussai le vice jusqu'à puiser dans la réserve du Chef, rien à dire un Coronado au bec vous file un merveilleux portrait d'aventurier, restait maintenant à amorcer le fonctionnement de ma matière grise. Quels sont les faits bruts indubitables en notre possession, passons-les en revue, ce surnom de Darky, noir en langue bien de chez nous, procédons avec ordre et méthode, par association d'idées, nous sommes en France, à quels éléments pourrions-nous associer ce mot noir dans le rock français, qui sautent aux neurones immédiatement... je n'en vois que deux, le Noir c'est Noir de Johnny Hallyday, et Les Papillons Noirs de Bijou. J'exhalais paresseusement une bouffée de fumée de mon Coronado, passons au deuxième élément, Crocodile tuée un couteau plantée entre les omoplates, quand je pense que si elle avait survécu elle aussi aurait succombé à mon charme... ne nous égarons pas, Claudine en vie grâce à notre décisive intervention, j'aspirai la brûlante fumée de Coronado, si nous n'étions pas intervenus, elle serait morte, on l'aurait retrouvée le long poignard de l'ostrogoth planté entre ses épaules, épinglée comme un... papillon, non de Dieu tout s'éclaire, enfin une piste ! Le Chef lui-même n'a pas été capable d'un tel rapprochement déductif !

C'est à ce moment-là que l'on frappa impatiemment à la porte. C'était Claudine, toute belle dans sa mini-jupe, j'admirai l'air ingénu avec lequel elle tenait sa petite culotte rose à la main.

    • Charmante parmi les charmantes, un aigle se lève dans mon cœur, remettez votre culotte, effacez cette moue de déception de votre mignon minois, ce soir je vous offre ce dont vous n'avez jamais osé rêver Claudine, rien de moins que la grande aventure !

    • Damie, je suis prête, je vous suivrai jusqu'au bout du monde !

Elle ne croyait pas si bien bien dire.

L'AVENTURE

    • Ecoutez-moi bien Claudine, nous allons jouer à un jeu rigolo, la chasse au renard. Tout à l'heure nous avons trouvé un espion dans le vide-ordures. Il est sûr qu'ils nous observent. Votre arrivée est une aubaine inestimable. S'ils ne nous voient pas ressortir, ils penseront à une partie de jambes en l'air. Nous laisserons la lumière allumée et nous descendrons les escaliers dans le noir. Au troisième étage nous emprunterons un deuxième escalier de service qui descend tout droit dans le sous-sol. J'ai repéré un passage pour les câbles électriques qui nous emmènera de l'autre côté de la rue dans l'immeuble d'en face. Nous aviserons alors.

Cette première partie du plan s'est déroulée comme sur des roulettes. Plutôt agréable, le corps tremblant d'émotion de Claudine ventousé contre le mien. En chemin je ne vous cache pas que nous avons tendrement échangé quelques secrets que nous n'avions encore jamais révélés à quiconque :

    • Oh, ça sent mauvais ici !

    • Normal, nous traversons le local poubelle, chut !

    • Pouah ! C'est dégoûtant, j'ai marché sur un truc tout mou et gluant, un yaourt périmé je crois !

    • Mais non Claudine, c'est juste un cadavre !

    • Ah ! je préfère, je ne sais pas si vous êtes comme moi mais j'ai horreur des yoglourts bulgares avariés !

    • Moi aussi Claudine, ça me coupe l'appétit !

Lorsque nous sommes parvenus dans le hall de l'immeuble d'en face, la chance nous a souri. Du monde entrait et sortait sans arrêt. Qui aurait pu se méfier de ce couple d'amoureux tendrement enlacés qui longeait le trottoir en direction de la teuf-teuf ! Le fidèle véhicule nous attendait sagement. Mais elle n'était pas seule. Deux grosses berlines noires l'encadraient. Derrière les vitres teintées l'on devinait dans chacune d'elle quatre gros malabars... L'on est tranquillement passés à côté en se bécotant à qui mieux-mieux. Par chance Claudine n'avait pas trouvé une place de stationnement dans la rue du SSR. S'était tapée un bon kilomètre de marche à pieds pour me rendre visite. On a récupéré son véhicule et l'on est allé se garer discrètement derrière une camionnette. De là nous apercevions les deux grosses limousines noires. Deux heures s'écoulèrent dans une attente interminable. Soudain, les deux voitures noires s'ébranlèrent. Devaient être convaincus que nous passerions la nuit au lit. La chasse au renard commençait...

Les suivre n'était guère difficile. Elles roulaient assez lentement, nous faisions attention à ce que d'autre véhicules vinssent s'intercaler entre elles et nous. Très vite nous acquîmes la conviction qu'elles empruntaient les rues un peu à hasard, un coup à droite, un coup à gauche, un coup à droite, un coup à gauche, sans fin...

    • Damie tu es sûr qu'ils ne nous ont pas repérés ?

    • Non si c'était le cas, elles se seraient débrouillées pour nous encadrer, une devant, une derrière, c'est leur tactique

    • Mais enfin Damie, on dirait qu'ils ne s'éloignent pas trop de là où ils sont, je n'y comprends rien.

    • Vous êtes une fine observatrice Claudinette, vous avez parfaitement raison, ils restent toujours dans les mêmes parages.

    • Mais pourquoi mon Damissou chéri ?

    • Ils attendent le feu vert.

    • Damie ne dis pas n'importe quoi, il n'y a pratiquement pas de feux dans cette zone !

    • Vous vous méprenez Claudine, ils attendent qu'on leur communique le top départ de leur intervention.

    • Damie la vie avec toi est vraiment palpitante ! Mais je me demande vers quel endroit ils se dirigent.

    • Ça c'est facile, j'y parierai un million de dollars contre votre petite culotte, !

    • Damie, ne me fais pas languir, voici ma petite culotte, dis-moi où ils vont !

    • A Montreuil.

    • Pourquoi à Montreuil, comment le sais-tu ?

    • Une évidence Claudine, Montreuil, la cité rock'n'roll !

Quelques minutes plus tard nous tournions dans le dédale des ruelles du bas-Montreuil, nous redoublâmes de précaution, après la zone pavillonnaire, nous abordâmes un no man's land, ambiance glauque et morbide... ils roulaient si lentement que nous dûmes abandonner la voiture. Nous les suivions de loin, nous coupions au travers de terrains en friches pour ne pas les perdre. Nous étions derrière une palissade lorsque les portes de voitures claquèrent. Par le trou d'une planche pourrie je glissai un œil dans le gouffre d'ombre devant nous.

    • Que vois-tu Damie ? me susurra Claudine dans le creux de l'oreille

    • Sont tous les huit, en groupe, au bout de la rue, j'aperçois la devanture d'un hôtel borgne, tout près, il y une espèce de mendiant enroulé dans des couvertures, avec un chien, ils passent devant lui, il y en a un qui lui lance quelque chose, une pièce sans doute, le mendigot leur fait un signe, ils rentrent dans l'hôtel. Claudine, c'est l'occasion idéale, vous restez sagement ici, je vais m'approcher, dans un premier temps j'élimine le mendiant, c'est le guetteur, dans un second je les piège dans leurs terrier !

    • Damie, tu es un héros !

Je n'étais plus qu'une ombre dans la nuit. Sans bruit je m'avançais vers la sentinelle. L'idiot relâchait sa surveillance, il regardait du côté de la porte par où était entré le commando. Le chien dormait. J'étais assez prêt pour apercevoir ses longues oreilles de bâtard pustulées. Je n'étais plus qu'à cinq mètres, j'assurais mon poignard dans la main, je me répétais la scène mentalement, un coup de dague sur le cabot et dans le quart de seconde qui suit saisir le gars par derrière et lui trancher la carotide d'un coup sec, un, deux, trois, je bondis tel un tigre sur mes proies, mais je n'eus pas le temps de réaliser mon exploit, alors que tel l'aigle qui s'abat du haut du ciel sur la marmotte innocente...

    • Agent Chad, il vous en a fallu du temps pour arriver !

Dans le même moment Molossa remua la queue et se débarrassa de ses longues oreilles de carton.

( à suivre )

27/06/2018

KR'TNT ! 380 : BRIAN JONES / MARCEL DUCHAMP + 0TPMD / MÖRPHEME / UNLOGISTIC / POURXRAISONS / HOODOO TONES / ALICIA FIORUCCI / HIPSTERS / EDITO JACQUES LEBLANC /KRONIK

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 380

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

28 / 06 / 2018

BRIAN JONES / MARCEL DUCHAMP + OTPMD

MÖRPHEME / UNLOGISTIC / POURXRAISONS

HOODOO TONES / ALICIA FIORUCCI

HIPSTERS /EDITO JACQUES LEBLANC / KRONIK

Textes + photos sur :  http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Stunning Stones 68

 

De mémoire, il devait s’appeler Yves. Assis sur son Solex, il harponnait les mecs à la sortie du lycée :

— Tiens prends une carte du CAF !

— C’est quoi ?

— Comité d’Action des Lycéens. Cinq balles !

Comme on aimait bien Yves, on lui prenait une carte. On aurait préféré qu’il nous propose de monter un groupe, mais bon, entrer dans un comité d’action, c’était une façon d’entrer dans une sorte de gang. En tous les cas, ça se vivait ainsi. Au printemps 68, quelque chose de très spécial flottait dans l’air, même en basse Normandie. L’envie d’en découdre s’infiltrait dans les esprits. Mais une envie sans queue ni tête. Nous ne comprîmes que bien plus tard, via Bourdieu, ce que signifiait la révolte, quand il martelait son fameux «brûler des voitures, oui, bien sûr, mais avec un objectif».

On avait beau avoir grandi dans un milieu relativement aisé, ça n’allait pas. Dans ces beaux appartements du centre ville, on subissait le joug des beaufs, c’est-à-dire les parents et leur entourage socio-professionnel. On subissait ce que Léo Ferré appelait l’oppression. Oh bien sûr, il ne s’agissait pas d’oppression grave, dans le genre du stalinisme. Il s’agissait plutôt d’une série de sales petites contraintes merdiques, comme par exemple devoir aller chez le coiffeur, alors qu’il y avait des photos de Brian Jones partout sur les murs de la chambre, ou encore n’avoir que cent francs d’argent de poche alors qu’il sortait chaque semaine une bonne vingtaine de disques absolument indispensables. Ou encore l’interdiction de porter les boots vernies achetées pas cher chez Myris. Pire encore : l’obligation de rentrer avant onze heures du soir, à une époque de la vie où le cerveau s’allonge pour prendre la forme d’une bite en érection.

Cette année-là, les Stones devinrent nos principaux alliés. Via Buis, un disquaire magique qui aurait très bien pu s’appeler le Buisson Ardent, étant donné le nombre de branleurs caennais qui à cette époque trouvèrent chez lui leur vocation. D’ailleurs, quand on se sentait limité économiquement, on évitait de passer devant sa vitrine. C’est là qu’on vit le premier Led Zep sur Atlantic US, Mr Wonderful de Fleetwood Mac, Getting The Point de Savoy Brown, le premier album de Taj Mahal bardé d’hommages à Sleepy John Estes, un pressage américain du premier Creedence où trônait «Born On The Bayou», et des albums de Junior Wells et de Buddy Guy qu’on ne connaissait pas encore très bien. Autant dire que les Stones avaient de la concurrence, rien qu’avec le British Blues, et pourtant - et c’est là que se situe leur génie - ils raflèrent la mise cette année-là, avec trois choses : «Jumping Jack Flash», «Street Fighting Man» et l’album Beggars Banquet. Trois coups coup sur coup qui nous envoyèrent rouler au tapis. Trois joyaux de la couronne d’Angleterre. Oui, c’est vrai, «Street Fighting Man» se trouve sur Beggars, mais Street fonctionnait d’abord comme un single, au même titre que Jack Flash qui lui ne figurait pas sur l’album et qu’on se devait de posséder, rien que pour reluquer à n’en plus finir l’une des plus belles pochettes de l’histoire du rock, avec Brian Jones au premier rang, en véritable leader du groupe qu’il avait monté. Ce n’est pas compliqué, on ne voyait que lui. Jean-Yves aussi ne voyait que lui : ce copain d’enfance allait se métamorphoser quelques années plus tard en Brian Jones, frange, cheveux blonds décolorés et classe intercontinentale. Il avait déjà cette intelligence du rock qu’il allait conserver toute sa vie, sachant trier le bon grain de l’ivraie.

On ne voyait que lui. Eh oui, Brian Jones brandissait son trident rouge en souriant, un verre à la main. Il éclipsait les autres qui ne ressemblaient à rien et qui semblaient même ridicules, avec leurs déguisements. Alors bizarrement, les autres vont commencer à le démolir, et c’est ce que nous montre Godard dans le film qu’il tourna cette année-là à l’Olympic. Mais à l’époque, on ne se doutait de rien. On savait seulement qu’ils traversaient une sale période, harcelés par la justice britannique et l’hystérie médiatique qui est encore plus dangereuse. Mais comme le rappelait si justement Andrew Loog Oldham (qui n’était plus leur manager), ce qui aurait détruit n’importe qui d’autre ne faisait que renforcer les Stones.

Le talon d’Achille de Brian Jones s’appelait Anita. Quand l’année précédente, elle le quitta pour se maquer avec Keef, Brian commença à faire ce que tout le monde fait dans ces cas-là : boire et se droguer pour encaisser le choc. Cette trahison eut des répercussions terribles, puisqu’elle endommagea de manière irréversible les relations qu’entretenait Brian avec les membres de son groupe. Dans le fragile milieu «culturel» d’un groupe, les dégâts relationnels ne se réparent jamais. Continuer à jouer avec quelqu’un qui s’est mal conduit est tout simplement impossible. Pour jouer du rock avec d’autres, il faut partager ce qu’on pourrait appeler un sentiment d’innocence. En cas d’altération de ce facteur, rien n’est plus possible. Jouer dans un groupe est une sorte de privilège, comme l’est le fait de partager le lit d’une femme aimante. On imagine aisément que dans un cas comme dans l’autre, les cloportes n’ont pas droit de cité.

Alors qu’en 68 on chantait les mannes du demi-dieu Brian Jones, un horrible drame était en train de se dérouler à Londres. Brian Jones perdait son statut de leader alors que Jack Flash explosait dans toutes les radios. Fabuleuse incohérence événementielle ! Il souriait sous nos yeux en brandissant son trident et au même moment, il s’enfonçait dans un trip de desolation row et de non-retour, apparemment encouragé par Andrew Loog Oldham qui ne l’aimait pas et par le duo Jagger/Richards qui ne rêvait plus que de suprématie mondiale.

L’année précédente, on avait tout fait pour essayer d’apprécier Their Satanic Majestic Request, mais comme dans le cas de Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band dont il prétendait découler, ce fut impossible. D’ailleurs l’anecdote veut que Jagger ait demandé à Glyn Johns de lui trouver des sons plus innovants pour sonner comme les Beatles, ce à quoi Johns répondit qu’il était là pour enregistrer ce que jouaient les Stones. Et le résultat fut selon Johns a complete crock of shit, formule délicatement raffinée qu’il est inutile de traduire. Après le désastre de Satanic Majesties, Beggars Banquet sembla rétablir l’autorité des Stones. Mais de manière spectaculaire. Rien qu’avec le «Sympathy For The Devil» d’ouverture de bal d’A, on avait une sorte de shoot fatal. C’est l’un des albums les plus denses, les plus énergétiques, les plus anti-pop de l’histoire du rock. La clé de Beggars allait être Jimmy Miller qui s’entendait comme cul et chemise avec Keef. Ils partageaient tous les deux un goût prononcé pour le beat et l’héro. Jack Flash fut enregistré pendant les sessions de Beggars et les Stones voulaient que ça sonne comme une renaissance, après le désastre de cet acid trip patenté que fut Satanic Majesties - But it’s alrite now/ In fact it’s a gas - et ils rallièrent à eux les millions de kids partis voir ailleurs après Satanic Majesties. Beaucoup plus tard, on put voir le clip vidéo de Jack Flash filmé à l’Olympic et exulter (il est en ligne sur Daily Motion). L’espace de deux minutes, les Stones redevenaient le plus grand groupe de rock du monde. Brian Jones y apparaissait le visage peint en vert et portant des superfly shades. Ce fut le dernier grand flash de l’âge d’or des Stones. Ils ne parlaient plus de peace and love mais de gas gas gas et de cross fire hurricane, ce qui est un peu moins tartignolle. Tous les guitaristes de rock de la terre se mirent à apprendre le riff en quatre accords. Le pire de tout ça est que les Stones nous confortaient dans le bien-fondé de notre petite révolte. Grâce à Jumping Jack Flash, la rupture avec le monde des beaufs devint irrévocable. Ça allait même devenir une affaire épidermique. Service militaire ? Tu rigoles ? Un boulot merdique dans la fonction publique ? It’s a gas ! Plutôt crever. Mais rester libre dans le monde où on vit est un luxe qu’il fallait pouvoir se payer, même à cette époque.

Les problèmes ne venaient pas que des beaufs. Ils venaient aussi et surtout la politique. On se demandait si «Street Fighting Man» avait un lien direct avec toute cette horreur que déversait chaque soir le journal télévisé, quand on était à table : cette fucking guerre du Vietnam à laquelle on ne comprenait rien (on demandait à table pourquoi les avions américains bombardaient un pays du tiers monde et on nous répondait que c’était pour défendre la liberté), puis l’élimination de Martin Luther King à laquelle on ne comprenait rien non plus (on demandait à table pourquoi on l’avait descendu à coups de fusil et on nous répondait qu’il foutait la merde en Amérique), puis le printemps de Prague auquel on ne comprenait vraiment rien (on demandait à table pourquoi l’armée envahissait le pays d’un mec aussi gentil qu’Alexandre Dubcek et on nous répondait que les Tchèques foutaient le bordel dans les pays de l’Est). Dans ce climat de pataphysique généralisée, il paraissait donc logique que les Stones y allassent de leur petit rut insurrectionnel - But what can a poor boy do/ ‘xcept to sing for a rock’n’roll band - Pas de plus beau constat d’impuissance. Tout le monde savait alors que protester ne servait à rien. Trop d’intérêts économiques étaient en jeu. Comme lors de la «guerre» en Irak, où l’histoire ne faisait que se répéter. Au moment de l’agression contre le Vietnam, on était encore au lycée et vraiment, le monde que nous proposaient les adultes ne nous convenait pas du tout. On préférait se réfugier dans un autre monde, celui qui s’ouvrait avec «Jumping Jack Flash» et qui se refermait avec «Street Fighting Man», qui d’ailleurs reste le morceau préféré de Glyn Johns. Gardez vos conneries, messieurs les adultes, on n’en veut pas.

Et puis, il y a cet album, Beggars. On nous y convie à la table des mendiants. Encore une fois, on ne voit que Brian Jones, installé à la droite de la longue table. Godard passa deux jours à l’Olympic, ce qui lui permit de filmer les Stones au travail et de voir comment évoluait un morceau qui au départ sonnait comme du folk. On commence par voir Jagger montrer les accords à Brian Jones. Ils grattent comme des cons, ils grattent n’importe quoi. Deuxième mouture : Keef ajoute des gimmicks sur sa guitare électrique. Brian Jones se retrouve isolé dans un box. À la pose, il demande une clope à Keef qui lui envoie le paquet. Puis il demande du feu et Keef lui envoie la boîte d’allumettes dans la gueule. C’est embarrassant. Sur la troisième mouture, Keef joue de la basse. Brian Jones attend en silence. C’est nappé d’orgue, complètement foireux. Ils cherchent. Ils jouent une quatrième mouture. C’est mou du genou. Et soudain, le cut se met en place avec l’arrivée des percus : Rocky Dijon double le beat avec Charlie. C’est le son qu’on connaît. Ils tiennent enfin Sympathy par la barbichette. Keef joue une bassline incroyablement agressive. Brian Jones reste assis dans son box. Keef porte un pantalon jaune et bâtit sa légende. On voit Nicky Hopkins groover ce chef-d’œuvre qui devient une sorte d’hymne satanique composé en hommage à Mikhaïl Boulgakov, dont il faut lire l’effarant chef-d’œuvre, Le Maître Et Marguetite.

Jagger satanique ? Ça fait bien rigoler Glyn Johns. Il est aussi satanique que l’est le pape. Jagger ne faisait que jouer un rôle. Mais si on prend la chose à un niveau strictement culturel, on peut dire qu’il y a plus d’énergie dans la notion de diable que dans celle de Dieu. Toute la littérature occidentale est construite sur cette évidence. Toute l’énergie du rock vient de là, d’un penchant irrépressible pour le côté sombre des choses. Au moment de Sympathy, les Stones cristallisent parfaitement cet aspect crucial du modèle culturel occidental. Ce sont les deux mamelles du modèle occidental, le colonialisme et l’esclavagisme, qui ont enfanté Jésus, Gandhi, Martin Luther King et Nelson Mandela. Le blanc d’occident est par essence cupide et brutal, tellement cupide qu’il a réussi à transformer cette notion de chrétienté importée de Palestine en catholicisme, c’est-à-dire en banque du Vatican. L’occidental est plus à l’aise dans les affaires de diables et de guerres. Le Vietnam en est la parfaite illustration. La paix et la charité au fond, ça n’a jamais beaucoup intéressé le blanc d’occident. C’est de cela dont parlent les Stones et Boulgakov, ils ne parlent que d’une chose, de ce fléau pour l’humanité. Pour les Stones, c’est du sur-mesure, car ils se veulent les fléaux de la société anglaise qu’ils haïssent et qui en retour les hait profondément. Mais ils distillent leur haine avec une telle classe que ça passe comme une lettre à la poste. Et des millions de kids prennent ça pour argent comptant - Pleased to meet you/ Hope you guess my name - Au point qu’on répétera cette formule à chaque rencontre, lors de chaque périple en Angleterre. Au point qu’on veillera à inaugurer chaque trip d’acide d’un rire bien satanique, en attendant que roulent les tambours de Rocky Dijon le Ghanéen.

«No Expectation» : c’est là où les choses deviennent compliquées avec les Stones, avec ces balladifs chargés de son et de take me to the station. Mais le son est si épais qu’on finit par se faire avoir. C’est dans «No Expectations» que s’illustra musicalement Brian Jones pour la dernière fois, avec une fantastique partie de slide-guitar. Les gens présents à l’Olympic diront plus tard qu’il n’arrivait plus vraiment à jouer. C’est d’ailleurs ce que montre Godard dans son film. Phil Brown qui faisait tourner les bandes du huit pistes dit de Brian Jones qu’il buvait trop, qu’il transpirait beaucoup et qu’il commençait à prendre du poids. Les autres ne lui parlaient plus, alors il vivait un véritable enfer - he was having an incredibly rough time - Les autres avaient pris l’habitude de le mettre dans un box à part avec sa guitare. Nicky Hopkins raconte que Brian tombait dans les pommes une demi-heure après son arrivée au studio. Quand il venait. Évidemment, personne ne venait à son aide. Ça ne se fait pas en Angleterre. Au moment où Jumping Jack Flash arrivait en tête des charts, la police chopait Brian avec des drogues. Il fut libéré sous caution, mais la perspective d’aller moisir au trou commença à le hanter et finit par l’entraîner vers le fond.

Et puis voilà «Dear Doctor», pompé à Chicago et on passe directement au dirty heavy blues avec le faramineux «Parachute Woman», véritable bombe de rock sexuel. Jagger demande à Parachute Woman d’atterrir sur lui - Land on me tonight - C’est très hot - Parachue woman/ Will you blow me out - et il ajoute : «My heavy throbber’s itching», ce qui signifie en gros que sa grosse bite palpitante le démange. On imagine la gueule des gens qui entendaient ça en Angleterre à la radio. En matière de heavy blues, les Stones étaient imbattables. C’est en plus admirablement groové. Jagger chante comme un beau diable, il bouffe son blues tout cru, c’est le son des Stones comme on l’aime, dirty et mal intentionné. Et ça continue avec un «Jig Saw Puzzle» de très haute voltige. On se retrouve au cœur du Swinging London et toute la magie des Stones réapparaît à petites touches. On voit le cut s’accrocher pour sa survie, avec des notes de basse qui pouettent et derrière, ça slide à la vie à la mort. En fait, Jig Saw est un délire dylanesque, c’est du All Along The Watchtower revisité à la Stonesy, avec le tramp assis sur les marches du perron, mais les Stones jouent comme des dieux et ça devient un raz-de-marée au moins aussi spectaculaire que Sympathy. Et quand on retourne la galette, «Street Fighting Man» nous saute littéralement à la gueule. Rien à voir avec Jack Flash, malgré les apparences. Les Stones y réinventent le rock de power chords. Jagger entre dans le cut comme le vent de printemps dans une maison. Ce que nous proposent les Stones avec Street, c’est l’archétype du rock anglais, tout y est, le beat et l’éclat des contretemps, la pow-pow sonique des contreforts, et la basse descend dans les caves du Vatican, c’est l’un des plus beaux moments de rock de tous les temps, car il flamboie, il ne semble pas en place, les descentes de basse n’en finissent plus de conquérir le monde, le cut se noie dans le génie sonique des Stones de 68. On apprendra par la suite que le beat est joué par Charlie Watts sur un drum-kit miniature, c’est un beat fouetté, complètement hypnotique, et le rock de Keef tourne à l’hollywoodien avec des retours de basse qui s’arc-boutent jusqu’au ciel, jusqu’au moment où tout bascule dans l’irréalité des choses. Rien n’est aussi fondu dans l’or du temps, c’est-à-dire des alchimistes, que ce Street, rien n’est aussi porté aux nues que ce hit, les Stones nous entraînent dans un psychisme de look-out motherfucker. On comprenait tout cela si clairement à l’époque, c’est plus difficile à expliquer aujourd’hui. Au fond, ce genre de prodigieux phénomène ne peut intéresser que les amateurs de son.

Dans «Stray Cat Blues», Jagger se tape une groupie de 15 ans. Les Stones prenaient leurs distances avec le psychédélisme bon enfant qui les avait un peu égarés et qui ne leur ressemblait pas. On retrouvera ce vieux Stray Cat par la suite, dans des versions antipathiques. Jagger dit à la groupie qu’il sait son âge et Keef claque ces chords miraculeux dont il détient le secret. On assiste une fois encore à un fabuleux développé de Stonesy. C’est littéralement explosif, chargé de climats dévastateurs. Keef y joue tous les ponts à l’ultrason. C’est un festival, tout est en effervescence, les Stones explosent comme des révolutions de printemps, c’est absolument somptueux - I bet your mama don’t know you can bite like that - On a là l’une des ces apothéoses qui ont fait l’histoire du rock anglais.

C’est après la sortie de Beggars en décembre 68 que les Stones organisèrent le fameux Rock’n’Roll Circus. Ça allait être en fait la dernière apparition de Brian Jones au sein des Stones. Six mois plus tard, il allait être tout bonnement viré du groupe et seulement un mois après, retrouvé mort dans sa piscine. Les Stones qui jouèrent à Hyde Park dans la foulée avec le remplaçant de Brian Jones, n’étaient plus les mêmes Stones. A different band for a different time.

Signé : Cazengler, rolling scum

Rolling Stones. Beggars Banquet. Decca 1968

Rolling Stones. Jumpin’ Jack Flash. Decca 1968

Rolling Stones. Street Fighting Man. Decca 1968

Jean-Luc Godard. Sympathy For The Devil. 1968 (DVD 2003)

 

Duchampignon

(pas des bois mais sur rue)

 

Cette bonne ville de Rouen célèbre ces jours-ci l’un de ses (rares) artistes, le tout puissant Marcel Duchamp, à grand renfort de manifestations qui ont ceci de commun qu’il n’y a rien à y comprendre, conformément au précepte établi au début du XXe siècle par le principal (dés)intéressé. Tout le monde connaît l’anecdote de l’urinoir marqué R. Mutt. Duchamp avait pris la peine de choisir l’objet le plus laid, celui qui avait dit-il le moins de chances d’être aimé - Une pissotière, il y a très peu de gens qui trouvent ça merveilleux - Et paf, raté, les gens se sont pâmés - On peut faire avaler n’importe quoi aux gens. C’est ce qui m’est arrivé - Choqué, Duchamp se retire pendant vingt ans du monde des arts. Il esquiva donc les ecchymoses des Esquimaux aux mots exquis. Il changea d’identité et devint Rrose Sélavy, reine des bains de beauté pour grains de beauté.

Duchamp découvrit le secret des temps modernes lors d’un voyage dans le Jura en compagnie de Picabia et d’Apollinaire. Picabia pilotait sa Delage et fonçait à deux cent-quarante à l’heure sur les vicieux chemins vicinaux. Mine de rien, toute la notion modernité dans l’art et pas que dans l’art vient de cet épisode qui mélangeait si élégamment la vitesse, l’érotisme et la machine. Mais Duchamp prit soin de ravaler cette ivresse en adoptant une position cynique, au sens philosophique du terme. Modernité, oui, mais avec un détachement radical, d’où le rien à comprendre dont il va se faire l’apôtre jusqu’à la fin de ses jours (et de ses nuits). La poule de Picabia disait de lui que sa règle de conduite se situait au rebours du naturel, mais ça ne l’empêchait nullement de se livrer, avec Picabia, à une extraordinaire émulation de propositions paradoxales et destructrices. À coups de blasphèmes et d’inhumanités, ils s’en prenaient tous les deux aux mites de l’art et à ceux qui du groin remuaient le fumier de la conformité.

Personne n’avait les moyens de se payer un maître à penser de cet acabit. Pourquoi ? Parce que Duchamp s’était spécialisé dans le démantèlement définitif du sens. Il avait tiré à boulets rouges dans la sacro-sainte emblématique culturelle. Il avait filé un coup de pelle à neige dans le Grand Verre de sa Mariée Mise à Nu par les Célibataires Même et faisait tourner sa roue de vélo fixée par une fourche sur un tabouret simplement parce que ça l’amusait de la voir tourner. Il n’achetait pas des objets chez les quincailliers, mais des sculptures toutes faites. Et comme il fallait un nom à cette roussellisation des choses, il opta pour readymade. Il venait enfin de se débarrasser de l’émotion esthétique. Il est vrai que trois ou quatre gouttes de hauteur n’ont rien à voir avec la sauvagerie.

Ce Janséniste assaini assez ascétique qui se piquait d’Epicure tirait surtout sa force toute puissante de sa légèreté : il ne possédait rien, pas d’objets, pas de maison, pas de meubles, pas de rien. Une seule malle contenait tous ses biens, vêtements et souvenirs. Les femmes ? Il les partageait avec Henri-Pierre Roché, l’apologue du triumvirat et auteur de Jules & Jim. Chacun sait que la légèreté donne des ailes et Duchamp voyageait à travers le monde. Duchamp est à New York en 1917 quand débarquent Arthur Cravan et Léon Trotski. Picabia provoque Roché en duel (d’échecs) et demande à Cravan de donner une conférence. Le neveu-boxeur d’Oscar Wilde accepte, monte à la tribune ivre-mort et se livre à un strip-tease qui lui vaut huit jours de zonzon à Sing Sing. Duchamp est à Paris en 1919 pour lancer Dada avec Picabia et Germaine Everling. Il prend le tain à la Bagarre d’Auzterlitz et publie Pi Qu’habilla Rrose en couverture de Dada New York qu’il tirebouchonne avec Man Ray du cul qui culbute Kiki la coquine. Rien à comprendre, excepté la liberté à tout crin. Belle Haleine. Eau de voilette.

L’un des artistes conviés à célébrer le tout puissant Marcel Duchamp s’appelle Hélios Azoulay. Concertiste et écrivain, il reçoit son public dans une grande salle de cinéma du centre ville. Il porte un habit de soirée très 1919. Planté au pied du grand écran, il se lance d’une voix claironnante dans un discours de présentation brillamment drôle. Il part du principe que ce qui convient à Marcel Duchamp lui convient aussi très bien (et inversement). Il commence à raconter une histoire dans laquelle il n’y a rien a comprendre : son père qu’il n’a pas connu apparaît dans un court film tourné pour Fluxus, mouvement qui fut comme chacun sait l’une des fausses couches de Dada. Et là, il entre dans le vif du sujet : il annonce qu’il va interpréter une œuvre et prévient le public que les dix premières secondes risquent de ne pas convaincre, comme d’ailleurs les dix dernières. Quant à ce qui se passe entre deux, chacun dit-il pourra juger. Et comme il salue le courage de ceux qui vont rester jusqu’au bout, il réveille tous les bas instincts. Les lumières de la salle s’éteignent. Il s’assoit au piano et commence à marteler mécaniquement un accord : plonk... plonk... plonk... plonk... plonk... plonk... Un seul accord, bien sûr. Le court film Fluxus en noir et blanc apparaît à l’écran : trois personnes assises sur des chaises se balancent d’avant en arrière en veillant à rester parfaitement asynchrones. Hélios Azoulay rythme au piano ce répétitisme hypnotique, puis une violoniste se joint à l’immobile sarabande et commence à jouer une série de variations classiques de la meilleure espèce de mélancolie. Pendant une bonne heure, cette extraordinaire tension historico-musicale nous plonge dans une ambiance que nous n’avons hélas pas connue, celle des spectacles orchestrés de l’avant-garde parisienne des années vingt, comme par exemple ces Impressions d’Afrique de Raymond Roussel, adaptées au théâtre et qui fascinèrent tant duchampignon - Il y avait sur scène un mannequin et un serpent qui bougeait un petit peu, c’était absolument la folie de l’insolite - Plonk... plonk... plonk... plonk... plonk... plonk... Voilà, c’est un spectacle dada. Il ne s’y passe rien de plus que ce qu’Hélios annonçait. Il n’y a strictement rien à comprendre. Le Fluxus tourne en flux bouclé, Hélios plonke, Azoulay azote les azimuts, les fragiles cervelles rouennaises décrochent par grappes entières, ne comprenant pas qu’il n’y ait rien à comprendre. La logique dada n’est toujours pas à la portée de tous les bulbes. Elle reste résolument récalcitrante. Par contre, les amateurs d’incongruité s’empiffrent. Une heure d’Azoulay fluxuriant vaut son pesant de haricots mexicains. Pour conclure cette étrange résurgence dada au XXIe siècle, il convient d’ajouter que la séance était gratuite et que la moyenne d’âge avoisinait les quatre-vingt ans. Sans doute Hélios Azoulay espérait-il voir éclater un scandale, un domaine dans lequel il s’est spécialisé en lui consacrant un bel ouvrage (Scandales Scandales Scandales), mais non, les cervelles se sont ramollies depuis un siècle et, frustration suprême, personne ne pouvait gueuler le fameux «Remboursez !» cher aux grincheux d’antan.

On fit aussi venir à Rouen l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp. Quatorze musiciens sur une petite scène, deux batteries, deux stand-up, trois violons, deux guitares électriques, deux trombones à coulisse, deux marimbas, un violoncelle, tous les instruments du monde, si Prévert était là, il rajouterait des ratons laveurs et Picabia rajouterait des rastaquouères et bien sûr Jacques Rigaud tirerait de coups de revolver en l’air, car enfin, quelle frénésie indescriptible, quelle audace cataclysmique, l’afro-beat enfile le groove sans préservatif, on n’avait encore jamais vu un tel ramdam, et ça joue, mais à la folie, on voit la petite violoncelliste black et éclater d’un authentique rire de bonheur, car ça explose par vagues démesurées, on voit ces deux guitaristes désarticulés sauter en l’air au cœur de l’immense gabegie, on voit gicler une jouvence d’afro-beat funky par tous les orifices, on voit la démesure jaillir des abîmes, on voit bander l’Objet Dard des gémonies abdominales, on voit le son sonner les cloches du sens, on voit quatorze musiciens triper au duchampignon hallucinogène, on voit du on voit, l’on voit envoie le bois des voies au lavoir. L’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp porte bien son nom, puisqu’il repart du principe même de l’étranglement de flux qui débouche sur l’ouverture universelle, oui oui, le principe même de l’ascèse qui conduit à la révélation, lorsque la paix s’abat enfin sur la cervelle : cet au-delà de la vie où il n’y a rien à comprendre. L’au-delà duchampignon. Le dû du chaud mignon. La clé du Podebal.

Vouloir retrouver l’exubérance de l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp sur disque, c’est un peu la même chose que de vouloir trouver du sens au râble de vénérien qui n’a rien de vénérable. Impossible. Mais cela ne vous empêche pas d’écouter les quatre albums dont l’intérêt va bizarrement décroissant, car lorsqu’on commence par le quatrième, Sauvage Formes, on se languit un peu, d’autant qu’ils sont quatorze pour le trousser, alors qu’avant, ils n’étaient que six. La petite âme chantante du groupe s’appelle Liz Moscarola. Elle pose son filet de voix au-dessus du rumble symphonique. Dès «Blow», on entend le filles s’énerver un peu et après un break de guitares, ça part en samba du diable avec une soudaine montée de fièvre tropicale. «Bêtes Féroces» sonne bien Dada, car tartiné aux trois violons et à l’ethno-funk de bon aloi - Nous avançons/ Nous avançons/ Le front comme un delta/ À force d’avoir haï/ Toutes les servitudes/ Nous sommes devenus/ Les bêtes féroces/ De l’espoir - Et pouf ça part, et l’on voit l’envoi des voies de bois au lavoir. On retrouve aussi le très beau «Danser Soi-même» du concert - Toutes les fautes viennent/ De mal danser - Véritable prétexte au swing universaliste. Et puis la frêle Noami introduit le gland de «So We All» dans la vulve du beat, c’est fin et dada, on entre bien dans leur monde, d’ailleurs, ça monte comme la marée, il faut être au concert pour le savoir, sinon comment le saurait-on ? Les zones explosent une par une, et elle se met à chanter là-haut, oh là-haut, je vois le ciel qui, et le disque n’explose toujours pas.

Le troisième s’appelle Rotorotor et fait bien sûr allusion aux expériences cinétiques menées par Duchamp et Man Ray. Nos six amis jazzent «Close & Different» au bon vent d’Ouest, et des éclairs de trombone zèbrent l’élan de manière stupéfiante. On se croirait au Cabaret Voltaire quand Tzara emmenait la sarabande au rythme effréné du noir cacadou. On note que Wilf Plume pulse le beat à outrance. Leur secret s’appelle l’Afro-beat, celui qui emmène «Cranes Fly» au grand élan pétrificateur. Mine de rien, l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp invente le Dada Beat, c’est énorme, very soon, puissante énergie d’un orchestre tout puissant, hanté par les marimbas. «Tralala» donne un avant-goût de ce qui se passe sur scène. Joué à quatorze, ça donne une charge de la brigade légère et avec «Apo», ils frisent littéralement le James Brown. Le petit guitariste Maël rentre bien dans le chou du chais et le trombone prend les trombes à la bonne. Ils lancent des grandes langues successives de Dada Beat et déroulent en toute conscience le tapis rouge à l’ingéniosité du genre humain. Ah il faut entendre la petite Aida battre son snare dans «It Looked Shorter On The Map». Elle bat avec une rage folle, elle cogne avec l’énergie des faubourgs. Puis ils montent «Come On In» en neiges du Kilimanjaro, à coups de Oui Allez. Wilf Plume le fion du beat et bat l’hypnose chère à duchampignon.

L’orchestre tout puissant monte encore d’un cran avec The Thing That Everything Else Is About, car dès «Elephant», le Dada Beat laisse bibi baba. La frêle Liz monte sur ses grands chevaux, bousculée par les clameurs africaines et la valse des éléphants. S’ils est une clameur Dada universelle, c’est bien celle-ci. Elle s’entend au-dessus de prodigieuses dénivellations. Leur grande force est de savoir mélanger les genres ethniques, et les marimbas foutent un joyeux souk exotique dans la médina. La pauvre Liz s’arrache les ovaires à vouloir hisser son blood rushing to my heart au-dessus de la gabegie. Les ponts de cuivres qu’on découvre dans «Left Hand» relèvent du Dada pur. On imagine le carnage qu’aurait fait une vraie chanteuse pas Dada. Par contre, le mix enterre la voix de Liz dans «Mick». Elle n’a aucun espoir de remonter à la surface. Avec «49», ils nous proposent le funk de Scipion en bois d’ébène. De quoi faire baver Bootsy Collins. C’est explosé à la trompette de Tati, voilà le funk duchampignon, celui qu’on dansait probablement à New York en 1917 - Let’s make a band/ My wife and my guitar/ The one I bought in ‘49 - Et Wilf Plume refait sensation dans «Blood Pumps & Birds», il joue comme un diable, il cherche le pulsatif extrême et le trouve, tout est joué à la rengaine supérieure. Ils terminent avec «Going Home» et le contrebassiste Vincent Bertholet pourrait bien être l’âme de l’orchestre tout puissant, car il jazze son riff à la stand-up, en vrai visionnaire. La chanson raconte l’histoire d’une taularde qui rentre chez elle, mais qui est hélas devenue dingue - She’s home ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha ha.

Sur la pochette du premier album de l’OTPMD qui n’a pas chaud au Q comme LHOQ, on voit un sale con de catin contenant l’urinoir - Madame, disait Duchamp à Mina Loy, la compagne d’Arthur Cravan, alors qu’il la caressait sous sa jupe, vous avez un joli caleçon de satin. On peut dire Madame que vous avez un sale con de catin - Ils ne sont que six sur cet album, mais ils trempent déjà dans la métempsychose dadaïste avec «City Of Love» - Are you dying alone ? - Captivant. Liz n’a pas de voix, mais elle a du dada pour dix. Elle chante «Three Months To Go» sous le boisseau, on peut lui faire confiance, car elle est assez pure. Elle s’impose dans le caoutchouc du groove. Elle se montre superbe, très sexuelle, elle se livre à des belles envolées incongrues. Encore du big Dada Beat avec «Apollo», monté au funk de base et de rigueur à la Rigaud, ça tape dans le Dada de base, groove ton cul, Bob ! On a là un disque solide et avancé, féru de sciences exactes et d’économie des sociétés. C’est très supérieur en nombre, et bien sûr, ça n’existe pas ailleurs. Il faut les voir taper «Nini» au kitsch d’exotica, mais pas n’importe quelle sorte d’exotica, celle des années vingt, enrubannée de son violent parfum de cabarets incertains, vibrant du son de marimba des marins de MacOrlan. Sur toute la distance de l’album, le xylo et le trombone à coulisse font la fête. On sent monter la volupté dès «OTP», on épouse le moelleux des parois veloutées du funk ondoyant. L’OTPMD vise l’absolution du groove anthropomorphique, il donne du temps au ton, c’est tellement admirable qu’on adhère languidement, comme une limaille aimantée. Liz chante «Nap» au doux du noir cacadou, sur un air de funk duchampignon. C’est exactement ce que vous entendrez quand vous aurez récupéré cet album R. Mutt. Vous le constaterez de visu, ça groove très adroitement dans les parages de Liz, car c’est en lizant qu’on devient Lizeron, nous disait Queneau, collègue de Duchamp au Collège (de Pataphysique). Liz et ses amis polymorphes farcissent «Olivier Darel» de free d’accès direct et redoublent d’excellence de la prévalence avec «Suzy». L’effusion y fissure le fion du free. Ils sont bons sur tous les coups, comme d’ailleurs Duchampion, même. Cet album sonne comme un cabinet de curiosités, ou si vous préférez, comme l’atelier new-yorkais de Marcel Duchamp, du temps où la pissotière pendait au plafond, juste au-dessus de la porte d’entrée. Inventivité et gaz à tous les étages. Encore une belle attaque en règle avec «One Or Three», belle, oui, car imprévue, elle vient de loin, et ça repart en goguette à longs coups de trombone de free. Singulière vitalité... Ils y vont comme jadis Picabia, à la crachotte parlementaire, souriant comme une star hollywoodienne au volant de sa Delage. Quelle poilade aérodynamique que toute cette imagerie !

Précision géographique : l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp est en grande partie génevois et envoie le bois des gênes du savoir au lavoir.

Le clou de la célébration Duchampigon est bien sûr l’expo que propose le Musée des Beaux-Arts local, à grands renforts d’affiches racoleuses : l’urinoir R. Mutt sert d’appât. On le croise à tous les coins de rue. Il n’est pas certain que ce soit du meilleur goût. Duchamp ne racolait pas. Il naviguait à un autre niveau. L’expo se tient dans deux ailes de la vieille bâtisse et s’organise en ABCDaire, bien vu, sauf qu’il manque les lettres N, T, W, X et Y. On les cherche partout, impossible de les trouver. La salle des readymade crée une sorte de malaise : la pelle à neige et le porte bouteilles sont accrochés au plafond comme des jambons. Il n’est pas certain que Duchamp eût apprécié cet étalage. En tous les cas, ce n’était sans doute pas l’idée de base. Par contre, on s’empiffre du reste, des jolis dessins érotiques, du numéro de 391 exhibant la Joconde moustachue, on examine de près les petits dessins de presse exécuté à l’encre de Chine et au pinceau (Dumouchel lisant un journal, Loupette, Leo), les bustes de ses sœurs Yvonne et Magdeleine et de son père, sculptés par ses frères Jacques et Raymond, les 3 Stoppages-étalon fascinent un peu, oh et puis le peigne, et au détour d’une salle, Duchamp ressort des archives de l’INA pour nous parler d’échecs et de sa résurgence, un cigare à la main. Tout cela permet de se baigner dans l’univers de ses idées. On s’y sent particulièrement bien. La lettre Z (George de Zayas) conduit tout naturellement à la sortie par la bibliothèque du Musée qui ne propose rien de moins qu’un nouvel étalage d’ouvrages savants sur un homme qui fit des pieds et des mains pour justement échapper à ça. Rattrapé, théorisé par les mites de l’art qu’il dédaignait tant. Mais dans le tas se trouve l’excellente frise de six mètres dessinée par François Olislaeger et pliée en accordéon sous une couverture cartonnée qui titre Un petit Jeu Entre Moi Et Je. Le conseil qu’on peut donner aux duchampignés est de s’en emparer. Olislaeger s’est amusé à dessiner librement l’histoire de cette vie libre comme l’air et le résultat est d’une rarissime pertinence. Dessin au trait désinvolte, fine représentation des compagnons de voyage, Picabia, Apollinaire, les Arensberg, Man Ray et toute la compagnie. S’avale d’un trait d’un seul. Parfaitement adapté au style d’un homme qui préférait vivre que travailler. Comme Hélios Azoulay et l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, François Olislaeger tape en plein dans le mille. L’hommage qu’il rend prend du champ sans rien dire.

Duchamp rock ? On le sait depuis belle lurette. On le vit accueillir Bryan Ferry à New York dans les Cent Contes Rock. Par son assise ascétique, Duchamp cousine terriblement avec Bill Burroughs qui rôde lui aussi dans les Contes. Et puis, lorsqu’on le revoit, filmé en couleur quelque part dans les sixties, un cigare à la main, il effare par la mesure, par l’intelligence de son propos, au moins autant que le Dickinson que filme Robert Gordon pour Johnny Cash’s America. L’occasion est trop belle d’établir une triangulation de l’esprit moderne : Duchamp, Dickinson et s’il fallait un représentant de l’esprit britannique, ça ne peut être que Mark E. Smith.

Signé : Cazengler, duchancre

Dada Crève l’Écran. Helios Azoulay & l’Ensemble de Musique Incidentale. Omnia. 1er Juin 2018

Marcel Duchamp. Un petit jeu entre moi et je. Musée des Beaux-Arts. 9 juin/24 septembre 2018

ABCDUCHAMP. Musée des Beaux-Arts. 15 juin/24 septembre 2018

Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp. Le 106. Rouen (76). 13 juin 2018

Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp. ST. R. Mutt 2007

Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp. The Thing That Everything Else Is About. Red Wig 2010

Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp. Rotorotor. Red Wig 2014

Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp. Sauvage Formes. Red Wig 2018



19 / 06 / 2018MONTREUIL

LA COMEDIA

POURXRAISONS

UNLOGISTIC / MÖRPHEME

L'air est doux, je suis paisiblement la rue qui descend vers la Comedia, peut-être suis-je même un peu en avance, je lève les yeux, tout là-bas au croisement, La Comedia fait angle de rue, j'aperçois deux ou trois silhouettes qui discutent, l'une d'elles, la plus visible car la plus imposante, est revêtue d'un T-shirt noir et blanc qui présente un entremêlement de formes géométrico-runiques dans le style des tatouages à la mode, si la porte n'est pas encore ouverte, j'aurais l'occasion de papoter, puisqu'il y a déjà du monde.

Du monde, il y en a en effet, mais pas celui que je subodorais, au fur et à mesure que je m'approche le groupe, que je supposais d'afficionados, se révèle être une équipe mobile de la BAC, bombes-lacrymo en mains, et lorsque je tourne le coin, je m'aperçois qu'ils ne sont pas seuls, je passe de ma démarche assurée de citoyen innocent hors de tout soupçon devant la file d'uniformes et de civils qui longent la façade de la Comedia, mais à la porte l'un des deux policiers armés me signifie que je ne peux entrer pour le moment. Survient à cet instant de l'intérieur un intervenant qui s'adresse d'un ton horrifié à ses collègues «  Tu verrais dedans, c'est tout en rouge et c'est écrit partout, le pire c'est l'allure des clients ! » sur quoi l'un répond d'un ton définitivement catastrophé «  Tu parles, des anarchistes ! ».

Je me rabats sur la terrasse du café, juste en face, où se regroupe petit à petit, le public du concert, la rue est bloquée par une file de voitures, sont venus en nombre, entre vingt et trente, sans compter ceux qui quadrillent avec les talkies les ruelles adjacentes, Rachid, le patron, sort et s'en vient avec son flegme habituel – il lui a été reproché à l'intérieur – apporter quelques précisions quant aux motifs de la visite, un plein de services, l'hygiène, la police, la douane, se sont intéressés à l'isolation phonique, ont pris en note le contenu de la caisse ( seize euros ) ont vérifié les papiers des musiciens – l'est sûr qu'un étui à guitare est idéal pour transporter en toute impunité une kalachnikov – et lui ont signifié de se présenter au commissariat le lundi 25 juin à onze heures... L'armada interventive se regroupe, rejoint ses véhicules, et une longue file de voitures – au moins autant que pour l'enterrement d'un président de la République – s'éloigne sans klaxonner. Nous présupposons avec la satisfaction du devoir accompli.

Diable, cela ne présage rien de bon, la Comedia est une cible de choix, dans le viseur de la rénovation et de la gentrification des quartiers populaires du bas-Montreuil aux portes de Paris, des espaces de rêve pour les promoteurs immobiliers, et puis ce très mauvais exemple économique d'entrée à prix libre ( mais respectueux ), toute cette auto-organisation des concerts selon l'idéologie punktéozidale du Do It Yourself ne répond en rien aux exigences libérales de la si vantée liberté d'entreprendre qu'il ne faut surtout pas confondre avec le choix des gens à créer leurs propres réseaux de culture, d'échange et de production, de surcroît sans souscrire à la loi d'accumulation du capital et d'exploitation des travailleurs, nous sommes en face d'une véritable bombe à retardement. Imaginez qu'une fraction non-négligeable de la population s'aligne sur ces modalités de fonctionnement, que deviendrait la main-mise captatrice des banques sur le pays... Si l'argent et le travail des pauvres n'alimentent plus les circuits financiers des riches, mais c'est la fin d'un monde qui va déjà si mal !

POURXRAISONS

Ce n'est pas qu'ils soient né sous X, c'est le signe de la multiplication des colères, en plus ils aiment faire suivre leur appellation incontrôlée par PourXréseaux, sont philosophiquement en plein dans le viseur de ce ce que l'establishment réprouve le plus, les moutons noirs qui s'organisent rien que pour le plaisir de brouter à leur guise dans les alpages verdoyants qui leur font envie... mais où irait-on si on les laissait faire ! Justement à la Comedia tout le monde est d'accord pour qu'ils puissent s'exprimer en paix. Rien que les titres sont des déclarations de guerre, Vigile, Turbulence, Cadavre, Profanez-moi, Acides Animés, en français, pour que le péquin de base puisse les comprendre, ce qui est un peu inutile parce que in the Comedia, a priori tout le monde est d'emblée d'accord avec de de telles intentions, et deuxièmement parce que la musique forte a tendance à noyer le sens. Ce qui n'est pas un drame en soi, la manière de transmettre un message est souvent plus explicite que son contenu.

L'est la plus menue, entourée de quatre grands gaillards, Myriam, ne lui marchez pas sur les pieds car elle a la guitare vindicative, et quand elle ouvre la bouche, vous pousse de ces braiments léonins à ne pas vous approcher davantage, ses companeros ont pris la précaution de ne lui laisser le micro que sur les derniers morceaux, dressent ainsi une espèce de barrière psychique de protection puisqu'ils ne peuvent pas décemment avoir un zouave avec un fusil qui ne la quitte pas des yeux prêt à l'abattre comme pour les tigres que l'on présente sur scène dans les cirques, en plus ça ferait désordre car ses yeux noisettes pétillent de sympathie. Bref mister K-no se charge du vocal, incapable de rester sur l'espace confiné de la scène, se balade parmi les spectateurs comme s'il cueillait des marguerites de sa voix puissante.

A la guitare Jérôme se cherche un peu, c'est vrai que le chemin est étroit entre les entrechats cordiques de Myriam et l'omni-présence fureteuse de la basse rouleau de compresseur de Laurent, le gars qui vous étoffe le morceau avec largesse, vous auriez besoin de deux mètres, vous offre le coupon, pour le même prix, sourire généreux en prime. Nicolas derrière ses drums mène le bal. Rythme en accélération constante, tous les deux titres il met un peu de pression supplémentaire, montée graduée bienfaisante, z'avaient débuté un peu mou, finissent sur les chapeaux de roue, Myriam a lâché le volant et hurle et invective les passants par la fenêtre ouverte, l'ensemble trombine dur. Surtout qu'ils prennent en stop un mec qui se radine avec son mini-clavier portatif uniquement pour le plaisir de surgonfler la pression des pneus à seule fin de s'éclater encore plus. La salle ondule vaillamment et leur fait un triomphe pour Xraisons que nous ne développerons pas plus en avant.

UNLOGISTIC

Deux grands gaillards sur scène. Tout seuls avec leur guitare. Unlogistic procède d'une longue histoire, dix ans d'existence, plusieurs formules à trois, à quatre, à cinq, ce soir ( et depuis quelques temps ) à deux avec une boîte à rythme. Ce qui n'est pas sans effet sur le déroulement du set. Le principe est simple, on appuie sur le bouton et l'on embraye à toute blinde sur la rythmique ultra-rapide qui déboule à toute vitesse, eux ils passent les riffs, à fond, au maximum de leur vélocité, et zut au bout de deux minutes la machine s'arrête. Frustrant en fin de compte. Libérez deux étalons de leur stalle où ils étaient maintenu depuis deux ans, imaginez le galop qu'ils vont développer et hop un mur de cristal invisible les arrête brutalement. Relevez la barrière transparente une dizaine de fois et glissez-vous dans le mental des équidés... En tout cas mettent le feu au public qui s'installe dans un charivari qui ne cessera plus de la soirée. Très beau, très fort, exaltant ce qu'ils vous jettent, mais lorsque le film s'arrête en plein milieu de la mêlée où Bruce Lee est en train de ratiboiser une centaine de malheureux sagouins, vous ne pouvez vous empêcher d'être déçus. Vous avez l'impression de visionner des rushs sublimes et vous vous dites, avec de telles images le montage sera fabuleux, en résultera un chef-d'œuvre, certes l'on a les chefs d'orchestre mais au final il manque l'œuvre. Ne jouent pas très longtemps, épuisés par ces rentre-dedans successifs entrecoupés de trous d'air qui vous cassent les ailes et vous vident de votre énergie.

MÖRPHEME

Un vrai groupe serait-on tenté de dire. Guitare, basse, batterie et un chanteur. Dès le début, ça sonne comme les Pistols, le miracle c'est que la chaudière continuera à bouillir tout le reste du set. Déferlante speed à la première seconde et le chanteur au micro encore plus vicieux que Sid, dégueule de rage hurlante, un grondement d'ours dérangé en son sommeil, fureur nippone au grand maximum, se saisit du micro, le brandit tel l'étendard des derniers samouraïs, le tient d'une main les pieds vers le haut, le rejette, s'en défait ne garde plus que le baladeur, s'introduit dans la houle mouvante du public, il fonce, pousse, force le passage, bouscule, cherche le contact, derrière lui le batteur a tombé le T-shirt, exhibe un torse tatoué à rendre malade de jalousie un chef de tribu maori, n'est pas épais, une ossature fine, mais les muscles sont bandés d'énergie et il frappe de ses longs bras sur sa caisse claire qui n'est pas inclinée vers lui mais vers le public. Le bassiste incapable de rester en place tourne dans son espace comme une salamandre dans le brasier, plus calme le guitariste, l'a fort à faire, vous expectore une de ces marmelades empoisonnées à foudroyer un troupeau d'éléphants. Peu d'arrêts, juste pour se dépouiller d'un vêtement inondé de sueurs, la chaleur est horrible, le public remue à la façon d'une mer en colère, le son vous secoue, le rafiot de votre raison est en perdition et vous aimez cela. Viennent du Japon et des USA, ont apparemment décidé de semer la terreur en Europe, y parviennent sans difficulté.

Entre les deux derniers combos Rachid a pris le micro pour donner rendez-vous devant le commissariat de Montreuil à 10 h 30. C'est que le monde est en train de changer de face, mais il se tourne du mauvais côté...

Damie Chad.



23 / 06 / 2018TROYES

3B

HOODOO TONES



Faut parier sur la jeunesse. La nostalgie du futur. Certes Crazy Cavan and His Rhythm 'n' Rockers - gloire aux anciens - à La Chapelle-en-Serval ce samedi soir, mais les Hoodoo Tones aux 3 B dans la bonne ville de Troyes vers laquelle la teuf-teuf fonce donc à donf. Gros travaux dans la rue Turenne, la ville refait les canalisations et les trottoirs, bientôt le 3B s'auréolera d'une vaste terrasse. En attendant ces jours fastueux d'apéritifs sous parasols, les Hoodoo Tones nous vantent les bienfaits de la bière du Nord. Ces Hauts de France qui sont la pépinière vivace et germinative du frenchy rockabilly...

HOODOO TONES

N'y vont pas tout doux et ça détonne. Dans les arcanes majeures du tarot rockabillyen les Hoodoo Tones ont tiré trois figures essentielles : les cartes du Bateleur, de la Force, de la Lune. Ne reste plus qu'à déchiffrer et à interpréter. A savoir : Kevin, Julian, et Ben. Nous commencerons par ce dernier. Un discret auto-collant sur sa big mama, My grass is blue, qui dénote certes un amour du Blue Grass, nous révèlera dans l'interset qu'il joue aussi du banjo, mais plus profondément une manière de proclamer qu'il n'est pas d'ici, qu'il est d'un autre monde, une frappe cordienne des plus étonnantes, visage immobile, regard perdu en lui-même, et un slappin' hypnagogique, donne l'impression de ne pas y toucher, de caresser plus qu'il ne tape, mais le résultat est là, indéniable, l'assure une rythmique d'enfer, ne se perd pas dans les lacets jazziques, file droit mais avec cette nuance quasi-hallucinatoire qu'il réveille chez l'auditeur des images auditives qui l'emportent vers des ailleurs versicolores.

Au début vous ne faites pas gaffe à Julian, reste dans son coin, derrière sa batterie, vous donne l'impression qu'il suit sans trop se fatiguer l'impulsion de Ben, il n'en est rien. Un gosse vicieux. A ne pas quitter du regard, sinon il en profite. L'a cette obstination de votre petit frère de trois ans à qui Tante Agathe avait offert – présent funeste – un tambour et qu'au bout de trois jours la famille a dû abandonner dans la forêt attaché à un arbre pour être sûr qu'il ne revienne pas, son sourire diabolique, son collier de barbe à angle droit, tout cela en effet trahit pour les physionomistes avertis un esprit retors et malin. L'a sa spécialité, le long mur de breaks dévastateurs, là où un batteur honnête se contente de passer poliment la mayonnaise à ses congénères, il intervient méchamment, vous verriez son sourire sardonique lorsqu'il commence à fracasser froidement du pied et des mains ses tambours majeurs, et il insiste, s'insinue dans le genre troupeau d'éléphants dans le magasin de porcelaine, vous emporte le morceau à des altitudes élevées, pulvérise la cadence, et Ben dans le faux rôle du gars complètement dans la lune qui n'a rien remarqué, vous suit le mouvement sans crier gare et les Hoodoo vous embourrasquent comme un tourbillon de feuilles mortes soulevées par le vent mauvais d'un automne colérique.

Pas de quoi émouvoir le troisième larron, l'en rigole. Le bateleur de service, Kevin le bonimenteur qui par sa jactance détourne de votre attention des suspects agissements de ses deux complices, présente les morceaux, une majorité de compositions originales, rend hommage aux héros du rockabilly, vous parle du dernier et puis du prochain CD, et puis crac dès qu'il touche à sa Fender, il rejoint l'effervescence instrumentale de ses camarades, et là on est obligé de reconnaître que malgré les coups de speed de Julian, tout reste merveilleusement en place, que la guitare incisive distribue son espace apollinien à chacun, que tout est merveilleusement en ordre, à tel point que sa voix vibrante et vindicative prend sa place naturelle dans le tumulte tel l'alcyon dans la tempête. L'est un peu la figure de proue du combo, celui qui détermine pour chaque titre les nuances de la palette musicale, et le spectre est large, saveurs blue-grass, faveurs country, rockab orthodoxe, éclats psycho et même échos psyké-british.

Les Hoodoo Tones ne sont ni prisonniers du passé, ni tributaires des modes passagères, z'ont leur son qui sonne et qui détonne, à eux trois, ils construisent le futur du Rockabilly, ne s'embarrassent pas des ossifications légendaires pas plus qu'ils ne cèdent aux fausses sirènes de la nouveauté à tout prix, suivent leur chemin, et le public chaleureux leur à emboîté le pas sans réticence. Trois sets bien chauds comme des lampées revigorantes de ce qu'ils ont appelé la bière des ouvriers. Bâtisseurs d'un monde généreux.

Béatrice Berlot la patronne, qu'il faut remercier haut et fort, a décidément le goût sûr !

Damie Chad.

P. S. : pour le gamin, pas de souci, les flics ont retrouvé quelques os niaqués par des chiens sauvages, trop abîmés pour qu'ils puissent prélever l'ADN. Je trouve inadmissible ces gens qui abandonnent leurs canidés dans la forêt pour partir en vacances. Pauvres bestioles innocentes qui survivent comme elles peuvent en se regroupant en meutes affamées. L'on devrait les mettre en prison.

ALICIA FIORUCCI

( in JUKEBOX N°379 )

Alicia Fiorucci a du goût, elle se fait photographier ( p 69 ) avec la pochette Livin' In The First Line de Little Bob Story. Les kr'tnt-readers le savaient déjà puisqu'elle nous a régalés de deux chroniques de concert ( Rosedale et Rhino's Revengein in livraison 372 du 03 / 05 / 2018 ), mais là elle est interviewée en tant que collectionneuse. Pas de fers à repasser ni de toiles de maîtres. Non de vinyles, de préférence d'éditions originales. Rock'n'roll, est-il utile de le préciser ! Au sens large du terme, du rock des pionniers au metal. Faites lui confiance pour le choix, elle n'en cite que quelques uns, Aerosmith, Motörhead, Blue Cheer, Rockin' Rebels... Elle n'aime que le meilleur. Ceux qui la suivent sur son FB crèvent de rage chaque fois qu'elle présente sa dernière acquisition, n'en possède que 350 mais a débuté depuis peu. Avant elle se contentait de présenter Damnation Rock sur la radio X-Move, une activiste rock.

Alicia Fiorucci est une fille. Je reconnais que cette nouvelle n'est pas une révélation fracassante. Mais elle sait s'habiller convenablement pour fréquenter les lieux maudits par Celui qui apprit les accords les plus bleus à Robert Johnson, salles de concerts enfumées, boutiques spécialisées... Etonnez-vous que pour s'attifer elle préfère les tenues de cuir, à la Gene Vincent, à la Vince Taylor, à la Jim Morrison, mais elle sait les varier et les porter avec une grâce sauvage de jeune louve.

Alicia Fiorucci se contente d'être ce qu'elle est, et ce qu'elle a envie d'être, sans s'inquiéter du regard des autres, en termes très simples cela revient à agir en être vivant libre. C'est ainsi qu'agissaient les animaux avant que l'homme n'invente les cages. A barreaux pour les autres, mentales pour lui-même. Friande aussi de photographie et de littérature. Des clefs qui permettent d'ouvrir les portes.

Damie Chad.



HIPSTERS

NORMAN MAILER

( Le Castor Astral / Octobre 2017 )

 

Avant les rockers, les beatniks, et avant les beatniks, les hipsters. Bruno Blum – ancien journaliste de Best, devenu un des plus fins connaisseurs des musiques populaires américaines - réédite au Castor Astral le premier texte d'importance sur ce phénomène, paru en 1957 dans la revue Dissent ( La Dissidence ), Le Nègre Blanc, agrémenté des réponses et précisions de son auteur Norman Mailer, suscitées par diverses réactions soulevées par cette publication.

L'intro de Bruno Blum prévient qu'à l'époque de la publication le mot ''negro'', devenu une injure par nos temps d'hypocrite repentance, était revendiqué par une partie de l'intelligentsia littéraire noire. Si les indiens ont trouvé le terme fabuleusement percutant et politiquement revendicatif de ''native'' pour se désigner, les noirs ont du mal à générer une appellation qui ne soit pas l'expression de la couleur de leur épiderme. Black ( is beautifull ) ou afro-américain ne font pas l'unanimité encore de nos jours.

Le terme hipster, à l'origine hepster, dérive du morceau Hep ! Hep ! The Jumpin' Jive, sorti en 1939, de Cab Calloway. De même, nos tricolores zazous se sont inspirés de Zas Zuh Zas ( 1933 ), toujours de Cab Calloway. L'est une manière noble de retracer la généalogie des hipsters, c'est de déclarer que les hipsters américains sont l'équivalent des existentialistes français. Qu'il y ait eu une influence – j'emploierai plutôt le terme de confluence – cela me semble juste, toutefois je ne pense pas que l'ensemble des hipsters se soit fadé in extenso la lecture de L'Être et le Néant de Jean-Paul Dartre ( comme le surnommait Céline). La culture hipster n'a été que la conséquence des contradictions inhérentes à la société américaine. En 1957, au moment où paraît le texte de Mailer, nous ne sommes qu'à quelques années de la Marche pour les droits civiques de Washington de 1963.

Le mouvement hipster ne provient pas d'une démarche intellectuelle imprégnée de réflexion moralo-philosophique, tout au contraire l'est né d'une attirance physique pour la culture noire. A vu le jour dans les franges des déclassés qui trouvèrent en quelque sorte une culture de substitution dans cette inimitable indolence si particulière des communautés noires à appréhender la dureté de leur condition sociale. D'un côté l'on serre les dents face aux injustices, l'on fait comme si, l'on met son mouchoir dessus, mais de l'autre l'on bâtit un monde à soi qui n'est ni virtuel ni imaginal, mais réel et charnel, et qui permet de supporter cette situation insupportable. La musique, le jazz, les clubs, la drogue, un rapport moins contraignant et plus libre au sexe, toute une sphère interlope qui permet de vivre dignement, de prendre son pied et sa revanche. Du moins la nuit, même si les petits matins se rappellent détestablement à vous.

Un monde bien tentant si vous faites partie de ces petits-blancs qui survivent de petits boulots en petits boulots, révoltés par leur statut de laissés pour compte, beaucoup de jeunes adolescents blancs à l'étroit dans des codes rigides et des avenirs de job peu glorieux éprouvent un même sentiment de colère que le sociologue Robert M. Linder problématisera dans un livre publié en 1944, au titre diantrement évocateur pour les amateurs de rock : Rebel Without a Cause...

Si à partir de 1956 toute une fraction de la jeunesse blanche montera dans la locomotive du rock'n'roll conduite par Elvis Presley, les premiers hipsters sont des passionnés de jazz, cette musique qui bouge les corps. A tel point qu'ils en arrivent à enfreindre les enseignements de la retenue charnelle christologique et à passer le Rubicon de l'interdit suprême, forniquer allègrement avec des partenaires noirs. C'est ici que le titre Le Nègre Blanc prend toute sa saveur !

Notons que ce point entraînera bien des objections à l'encontre du texte de Norman Mailer. Ned Polsky n'y va pas par quatre chemin. Les hipsters ne sont pas des mal-baisés mais des mal-baiseurs. S'ils revendiquent avec tant de force la recherche de l'orgasme c'est qu'en tant qu'éjaculateurs précoces et impuissants notoires, ils ne parviennent pas à le trouver. Prophétise avec assurance qu'ils ne le réaliseront jamais. Ne le dit pas explicitement mais cela se comprend aisément, si le hipster cherche à copuler avec des noirs c'est qu'il est incapable de le faire avec des blancs. La réponse de Mailer est cinglante. Ne suit pas Polsky sur le terrain j'ai-un-zizi-bien-plus-efficace-que-le-tient, contre-attaque sur les allégations psychanalytiques du sociologues qui soutient que l'impuissance des hipsters n'est que l'indice et la preuve de leur déclassement social.

Beaucoup plus pertinente la lecture, toute marxiste, de Jean Malaquais, traducteur en français de Norman Mailer, et pour être davantage fidèle aux idées de cet écrivain nous emploierons le terme marxien qui désigne une lecture du marxisme qui récuse toute dérive ou application staliniennes. Malaquais rejette les hipsters parmi le lumpen-prolétariat. Ce sous-prolétariat perdu dans le rêve de l'accomplissement jouissif de ses frustrations ne fera pas la révolution. Malaquais accuse les hipsters du crime ontologique le plus ignoble qui se puisse concevoir : celui de n'être que des petits-bourgeois qui recherchent la satisfaction de leurs désirs sans remettre en cause la société qui les produit.

Mais pourquoi des hipsters s'interroge Mailer. Parce que le citoyen du vingtième siècle s'est aperçu qu'il était mortel, déjà Heidegger avait défini l'Homme en tant qu'un être-pour-la-mort, et les évènements lui donnaient raison : émergence d'états totalitaires, camps de concentration, menace atomique... face à ce déplorable bilan, sauve-qui-peut général chez les individus les plus conscients, décrochage de la sacro-sainte valeur travail, montée d'un hédonisme hautement revendiqué, plaisirs herbeux et sexuels à profusion, le vieux carpe diem antique revisité et adapté à la nouvelle donne...

L'on ne peut parler des hipsters sans évoquer la Beat-Generation, Howl de Ginsberg est sorti en 1956, et Sur la Route de Kerouac paraîtra quelques semaines après le White Negro de Mailer, avant la fin de 1957. Si le gros des bataillons des hipsters sont passés avec armes et bagages culturels du côté de la beat-generation, sans difficulté puisque les deux mouvements professent une idéologie commune de refus du conservatisme de leurs concitoyens et prônent avec ferveur les joyeusetés marginales de la musique jazz, de la marijuana et de l'amour libre, Mailer opère une distinction classiste entre les deux groupes. Les hipsters sont de véritables rebelles provenant des plus basses couches de la société, leur rébellion est un mouvement ascendant, les beatniks sont des petits-bourgeois déclassés mus par le ressentiment envers une société qui ne leur donne pas le moyen d'accéder à un meilleur état social. Très symptomatiquement, les hipsters soignent leur dégaine, les beatniks sont sales et mal habillés. Etrangement Mailer se réapproprie, en le détournant totalement et en l'adaptant à son propos, le raisonnement classiste de Malaquais.

Dans la dixième et dernière partie du bouquin qui est la retranscription d'un entretien avec Richard G. Stern, et incidemment Robert Lucid, Mailer développe une fumeuse conceptualisation sur le danger de la mort prochaine de Dieu que signifierait – et peut-être même amplifierait - l'apparition du mouvement hip. Développe une espèce de work in progress pseudo-philosophique d'un spinozisme qui grignoterait le peu de puissance qui resterait à Dieu. Donne surtout l'impression de ne pas vouloir choquer la sensibilité de la majorité du lectorat américain imprégné d'une idéologie religieuse d'inspiration biblo-créationniste. Comme s'il n'avait pas le courage à l'instar de Nietzsche de déclarer la mort de Dieu... Sur ce coup-là Norman Mailer opère un grand bond en avant, lui qui s'est donné pour but de présenter les hipsters est en train de construire les soubassements métaphysiques de la conception du monde que professeront plus tard les hippies ! Prescience, ou inconscience ?

Damie Chad.

JACQUES LEBLANC

  ( In JUKEBOX 379 )

Jacques Leblanc est le directeur-fondateur de Jukebox-Magazine, une position enviable, dont il use avec modération chaque mois en rédigeant un édito de présentation du numéro. Un demi-page maximum, fait part de temps en temps, sans y insister, de ses propres réactions à notre époque ou de celles des lecteurs. Qui, surprise, s'insurgent contre les pin-up qui, mensuellement, en dernière page illustrent le calendrier de la revue. Jacque Leblanc n'en croit pas ses yeux lorsqu'il lit les perles du courrier du lecteur, le public-rock serait à son tour – l'on est toujours trahi par les siens - atteint par cette vague du puritanisme rétrograde engendrée par le retour du conservatisme politique et religieux ! Sexe et rock'n'roll ont toujours fait bon ménage rappelle-t-il, la musique du diable a justement beaucoup aidé à jeter à bas bien des interdits hypocrites des anciennes sociétés corsetées de moraline christologique. Apparemment ces renégats étendent l'amour du vintage jusqu'à leur sexualité ! Certains rockers vieilliraient-ils mal ? Ou alors se sont-ils reniés sans s'en rendre compte ! Une dernière hypothèse : ils ont bêtement suivi le mouvement, le rock était à la mode du temps de leur jeunesse... N'ont jamais su être eux-mêmes. Dans tous les cas qu'ils arrêtent leur abonnement pour être en accord avec leurs nouvelles idées. Oui mais ils hésitent car au fond d'eux-mêmes ils savent qu'ils ne pourront plus rincer leur œil chafouin et salace et ils ont peur que leur vie par procuration ne devienne insupportable.

Damie Chad.

KRONIK N° 8

FUCK THE WITCH

SYL / PIERRE LEHOULIER / VIRGINIE B / CAMILLE DéJOUé / MELI / ROUFFIAC & SANCHEZ / TUSHGUN / AURELIO / GROMAIN / JOKOKO / MME GRUIIKK / SISCA LOCA / RIRI / PAT / MATT YEUX / BURPI / GOME

Dernier fascicule récupéré sur le stand de Jokoko lors du dernier concert de Crashbirds avec Pierre Lehoulier et Delphine Viane ( méfiez-vous de cette dernière, il se murmure qu'elle en serait une ). Un numéro spécial sorcières. De quoi mettre la colonie des dessinateurs et des dessinatrices ( c'est comme les gendarmes – je parle de ces innocents insectes oranges et pas des vilains bonshommes bleuâtres que tout le monde déteste – quand vous en rencontrez un, vous êtes submergés par la flopée qui l'entoure. ) en ébullition. Qui dit sorcières dit femmes, et cela permet de se parer de toutes les vertus civiques et de dénoncer les mauvais traitement dont la gent féminine fut accablée durant de longs siècles d'obscurantisme – sans oublier que maintenant encore – ou alors de dessiner des gros nénés sans fausse honte puisque c'est pour le bien de la cause... En plus le feu rampant des désirs libidineux peut enfin métaphoriquement flamber de toutes ses flammèches sur les bûchers inquisiteurs et dénoncés. L'amour que notre société professe envers les sorcières ne serait-il pas une manière de rire, pour les mieux taire, des affres sado-maso qui régissent la part animale de toute sexualité humaine ? Couleurs trash, dessins crash, esthétique punk vous permettront d'orienter vos plus saines réflexions.

Damie Chad.

21/06/2017

KR'TNT ! ¤ 334 : BRIAN JONES / GODFATHERS / IRMINSUL / OCEAN ( + DIABOLO ) / HOT CHICKENS / NATCHEZ / BLOUSONS NOIRS / JOE HILLS

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 334

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

22 / 06 / 2017

BRIAN JONES / GODFATHERS

IRMINSUL / OCEAN + DIABOLO

HOT CHICKENS / NATCHEZ

BLOUSONS NOIRS / JOE HILL

TEXTES + IMAGES SUR :

http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

Morrocan Roll

En feuilletant le numéro de mai d’Uncut, on tombe à un moment sur une double fantastique : un certain Peter Watts titre son article «The Marrakesh Express» et publie en vis-vis une photo de Brian Jones et d’Anita Pallenberg prise sur un toit marocain par Cecil Beaton. Il n’en faut pas davantage pour sombrer aussi sec corps et biens dans un délicieux gouffre mythologique.
Marrakech, ville magique entre toutes, et son Grand Hôtel Tazi situé à l’entrée de la médina, un lieu hors du temps où rôdent des parfums de coriandre et les derniers globe-trotters décadents, tout ça dans une fabuleuse ambiance de palace d’avant-guerre délibérément non entretenu. On trouvait au premier étage de cet hôtel extravagant une piscine décatie et bien sûr, dans les chambres, la robinetterie ne fonctionnait pas. Pour s’endormir, il fallait soit fumer du kif, soit siffler le bourbon d’un flasque qu’on avait planqué dans la trousse à pharmacie. Soit les deux. Dans ces chambres immenses, il faisait une chaleur à crever. C’est là que j’entrepris de réécouter Exile On Main Street. Je n’avais emmené qu’une seule cassette, celle-là. Je voulais donner une dernière chance à cet album que je n’aimais pas, sans doute parce que Brian Jones n’y jouait pas. Et le meilleur endroit pour écouter cet album ne pouvait être que Marrakech.
En découvrant cette ville fantastique, je crus me rapprocher de Brian Jones qui fut lui aussi fasciné par ce pays, par cette lumière, par cet art de vivre et par les sourires des Marocains. Brian Jones n’allait pas au Maroc pour les mêmes raisons qu’André Gide ou Truman Capote. La première fois qu’il mit les pieds à Tanger, il comprit qu’il entrait dans un monde inconnu. C’est exactement ce qu’on ressent quand on débarque au Maroc pour la première fois, à condition bien sûr d’éviter soigneusement les circuits touristiques. Brian Jones alla donc s’enivrer de cette culture marocaine dont on n’imagine pas la richesse. Elle le fascina tant qu’il finit par demander au designer Christopher Gibbs de transformer son intérieur londonien en palais marocain, avec des objets achetés dans le souk.
Graham Nash visita le Maroc en 1966, comme il le raconte dans son recueil de mémoires, Wild Tales - A Rock & Roll Life. Il arriva à Casablanca et prit un tain pour Marrakech. L’ambiance à bord du train l’enthousiasma tant et si bien qu’il composa une chanson qui allait être le premier d’une longue série de hits pour Crosby Stills & Nash, oui, le fameux «Marrakesh Express». Mais qu’allait faire un citoyen de Manchester au Maroc ? Il avait tout simplement découvert que les American Beats y avaient écrit des poèmes en fumant des tonnes de dope : ce sont les racines du mythe de Tanger, ville cosmopolite où séjournèrent des années durant des gens comme William Burroughs, Allen Ginsberg et bien sûr l’écrivain/compositeur Paul Bowles dont l’effarant The Sheltering Sky (plus connu sous le titre français Un Thé Au Sahara) fit autant de ravages dans les imaginaires du début des années soixante que le mythique On The Road de Jack Kerouac, un récit qui m’obséda tant qu’un jour je finis par en faire une bande dessinée de plusieurs centaines de pages. Les extravagants clients du Grand Hôtel Tazi semblaient sortir tout droit de ce chef-d’œuvre de l’errance qu’est le roman de Paul Bowles. J’en étais quasiment convaincu, ces clients - dont je faisais partie - échouaient au Maroc en quête d’on ne sait quoi et déambulaient sans but précis, comme perdus dans un décors de rêve. Je compris confusément qu’il s’agissait d’un mode de vie. Dans ce pays, on vit très bien avec très peu d’argent, il faut le savoir. L’aliénation sous le soleil du Maroc me paraissait même plus acceptable que l’aliénation sociale distillée par nos chers modèles urbains d’Occident. C’est en tous les cas ce qu’avait compris Paul Bowles, et ce qu’était probablement en passe de comprendre Brian Jones.
Dans ses mémoires, Marianne Faithfull évoque aussi cette passion pour le Maroc et les fêtes de la Getty House, où tout le monde se dopait goulûment à la coke et à l’opium. De la même manière qu’Ike Turner, le milliardaire américain savait combler ses convives. Dans l’histoire des Stones, le Maroc joue un rôle crucial, car c’est là que se produisit la fracture entre Keith Richards et Brian Jones. Comme Anita ne supportait plus les crises de violence de Brian, elle mit les voiles avec Keith. Un an plus tard, pour les besoins du film de Donald Cammell, Performance, Anita se retrouvait à poil avec Jagger dans un grand lit ramené du Maroc, et pendant que Keith sombrait à son tour dans les affres du ressentiment, Brian retournait au Maroc se réfugier dans les montagnes du Rif, célèbres pour avoir abrité Abdelkrim, l’un des derniers grands résistants marocains, ceux qui rejetèrent toute espèce de colonialisme, que ce soit celui des Espagnols où du protectorat larvaire des Français. Grâce à ce voyage dans le Rif, Brian allait entrer dans SA postérité, en y enregistrant the Master Musicians of Joujouka, un enregistrement qui allait par la suite fasciner des gens comme Ornette Coleman et Timothy Leary. Il fut accompagné dans ce raid par Brion Gysin, l’American Beat ami de William Burroughs. Marianne qui dans ses mémoires évoque le souvenir de Brian Jones en des termes admirables nous explique que Brian cherchait alors désespérément à combler le vide béant généré par la fin des Stones, SON groupe. Joujouka représentait à ses yeux une belle équivalence, au moins au plan spirituel. Marianne clôt le chapitre en affirmant que Joujouka est l’un des disques les plus intéressants de cette époque. C’est vrai, ce disque était infiniment plus beau que ceux du Grateful Dead dont tout le monde raffolait à l’époque. L’album parut après la mort de Brian. William Burroughs qualifia the Masters Musicians of Joujouka de plus vieux rock’n’roll band du monde. Il est bon de rappeler que cette musique date de 4.000 ans. Ça ne vous rappelle rien ? Mais oui, le North Mississippi Hill Country Blues de Junior Kimbrough et les Fife & Drums d’Otha Turner qui eux aussi remontent à 4.000 ans.
Strong stuff, disent les Anglais quand ils parlent de la musique et des drogues marocaines. On voit encore des Anglais dans le haut Atlas, en été, notamment au camp de base du Toubkal qui est le point culminant de la chaîne. Une fois qu’on est arrivé au camp de base, l’ascension se fait dans la journée, à condition de partir juste avant le lever du jour. Les gens viennent du monde entier pour ça. Ces grimpeurs de fortune ne sont pas déguisés comme ceux qu’on voit dans les films d’aventures en haute montagne : ceux-là parlent anglais, ils portent des shorts et des vieux T-shirt dévorés par ces bestioles qui pullulent dans l’eau des cascades. Le haut Atlas est l’une des régions montagneuses les plus difficiles au monde. Strong stuff. Les dénivelés sont tellement violents qu’ils vous ruinent les genoux en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Et les villageois qui font partie des gens les plus pauvres du monde vous reçoivent comme des princes. Si vous voyagez dans ce coin-là, recrutez un guide au Grand Hôtel Tazi, car il vous faut un montagnard berbère si vous voulez vraiment entrer dans la magie de l’Atlas. Avec un peu de chance, vous tomberez sur un guide qui est aussi musicien, et qui, si vous avez vraiment beaucoup de chance, deviendra votre ami. Et chaque soir, au bivouac, ce guide et son cuisinier vous apprendront des chansons berbères en s’accompagnant au tambour, ce tambour qui ressemble à une grande boîte à camembert et qu’on tient à la verticale par le pouce de la main droite et qu’on frappe du plat de la paume de la main gauche. Essayez d’en jouer, vous verrez, ce n’est pas facile. Strong stuff. Mais on découvre une chose faramineuse : plus besoin de guitares électriques ni de micros pour faire de la musique rythmée. Trois tambours berbères suffisent à mettre un public en transe. C’est ce qu’avait découvert Brian Jones, et avant lui Paul Bowles, qui fut le premier à enregistrer les musiciens berbères. C’est que je découvris bien plus tard dans le haut Atlas. C’est ce que montre Tony Gatlif dans son film Exils : la transe. Le mystérieux secret de la transe. Strong stuff. Cette hypno que pratiquait aussi Jaki Leibevitz, le batteur de Can aujourd’hui disparu. Dans certains villages de l’Atlas, on peut assister à des fêtes qui durent des heures, avec non seulement les tambours berbères mais on voit surtout des musiciens jouer sur des instruments à cordes venus du fond des âges et ça tourne au psychédélisme primitif, oh pas celui de «Kashmir», quelque chose de beaucoup plus violent et ancien. Un son qu’on retrouve sur l’album Diwân de Rachid Taha, the unbelievable loud hypnotic sound of it all. John Bonham et Jimmy Page peuvent retourner au vestiaire. Quand on se retrouve face à des musiciens berbères du haut Atlas, on ne s’embarrasse plus de gadgets. En plus, ces gens-là jouent POUR vous et c’est gratuit.
Sex and drugs and rock’n’roll ? Il semble que le Maroc ait été le pays pionnier en la matière, puisque des homosexuels occidentaux célèbres comme Joe Orton et William Burroughs s’y fournissaient en viande fraîche, au vu et au su de tout le monde. Quant aux drogues, attention, plus rien à voir avec cette misérable barrette qu’on achète à Jo la casquette, au coin de la rue Myrha. Fumer du kif et s’engouffrer dans la médina de Marrakech, c’est une façon d’entrer au paradis. Où mieux encore, avaler du majoun et traverser les jardins d’Allah, entre Ouarzazate et la frontière algérienne, c’est une façon d’aller se balader sur une planète inconnue. Tout y est poussé à l’extrême, la lumière, les parfums, c’est une expérience purement rimbaldienne, au sens du bouleversement, évidemment. On ne rêve plus que d’une chose quand on rentre en France : y retourner.
Si les Stones débarquèrent au Maroc en 1967, ce n’était pas uniquement par curiosité intellectuelle. Après la descente de police chez Keith Richards à Redlands, on leur conseilla de prendre le large pendant quelques temps. Jagger, Robert Fraser, le photographe Michael Cooper et Marianne prirent l’avion, pendant que Keef, Brian et Anita traversaient la France et l’Espagne en Bentley. Pendant le voyage, Brian chopa une pneumonie et dut quitter l’expédition le temps de se faire soigner, laissant Keef et Anita seuls. Fatale erreur. Après un séjour à Tanger, Keef et Anita s’installèrent à Marrakech, où Brian les rejoignit. Il faut dire qu’Anita savait se montrer irrésistible. Marianne pense que Keef était depuis longtemps amoureux d’elle. C’est à Marrakech qu’Anita demanda au preux chevalier Keef de la protéger du méchant Brian et de ses crises de violence, scellant par là le destin des Stones. Les histoires de cul occasionnent des dégâts irréparables dans les groupes. Pendant ce temps, Jagger posait pour des photographes au bord des piscines. Aux yeux de Cecil Beaton qui s’intéressait de près à la jet set, Jagger paraissait complètement asexué. La même année, John Lennon débarqua à Marrakech pour le réveillon du jour de l’an, invité par Paul et Talitha Getty. Le couple de milliardaires donnait une fête dans sa résidence princière qui était décorée comme un palais marocain. Comme tout le monde était défoncé, peu de gens parlaient. John Lennon passa le réveillon au sol, sur le dos, incapable de se relever. Strong stuff. Le règne du Getty palace prit fin en 1971 avec la mort de Talitha Getty, des suites d’une overdose, cela va de soi.
Chez les excentriques, la cote du Maroc chuta d’un coup. L’Afghanistan devint la nouvelle destination de rêve, offrant un cocktail de mystère, d’exotisme et de décadence légèrement différent.


Signé : Cazengler, marrakoche


Uncut #240 - May 2017. Peter Watts : The Marrakesh Express

 

Ça cogne avec les frères Coyne - Part Three

 

Il est rare que Peter Coyne, le dernier Godfather du milieu londonien, accorde une interview. Les veinards de Vive le Rock viennent d’obtenir son accord et Eugene Butcher confie la délicate mission d’aller interviewer l’éminent personnage à James Sharples, l’un de ses meilleurs limiers.
Pour entrer dans l’immeuble, James doit montrer patte blanche. Il subit une première fouille dans le hall d’entrée et un gorille l’escorte jusqu’au premier étage. Arrivé à la porte du bureau de Peter Coyne, un autre gorille palpe soigneusement les doublures des vêtements de James, s’excuse de lui tâter l’entre-jambe, lui fait ouvrir la bouche pour l’inspecter avec une petite lampe torche. Il vérifie son calepin et son crayon, puis il frappe trois coups bien secs à la porte et le fait entrer :
— Il est réglo, patlon !
Une lumière argentée entre à flots dans l’immense pièce. Installé derrière un bureau empire, Peter Coyne tend la main pour désigner un siège en vis-à-vis. Il reste de marbre. Cet homme ne sourit jamais. Le gorille referme soigneusement la porte derrière James qui traverse la pièce jusqu’au siège. L’épaisse moquette absorbe le bruit de ses pas. Il ne se sent pas très à l’aise dans ce silence de mort, face à cet homme qui l’examine, les yeux mi-clos. Au moins, se dit-il, Don Corleone était plus convivial. Il savait accueillir les journalistes.
James se racle la gorge et bredouille :
— Merci de m’accorder un peu de votre temps, Don Coyne.
Peter Coyne ne répond pas. D’un geste, il lui fait signe de poursuivre. James sort son calepin et un crayon gras. Il mouille la mine et pose sa première question :
— Comment avez-vous démarré votre carrière ?
— Pour être tout à fait honnête avec toi, je suppose que j’ai dû voir les Beatles à la télé quand j’étais môme. J’ai dû aussi écouter leurs disques sur un vieux crin-crin. Les Beatles n’étaient pas seulement un groupe, ils faisaient partie de la famille, tu me suis ? Ils savaient tout faire, du rock, du psyché, du folk, des balades, de l’expérimental, tout, absolument tout. Je les adore. Ils étaient magiques. J’étais dingue de «Ticket To Ride», dingue, mec ! T’entendais ça à la radio et ta frangine te ramenait le disque à la maison. On les voyait tout le temps à la télé.
— Qu’est-ce que ce métier représente pour vous ?
— Je me sens vivant. J’adore ce métier. Depuis le début, je pousse mon équipe. C’est notre raison d’être, on fabrique notre propre magie. Je suis assez fier de ce qu’on a accompli, on a commencé comme une équipe de vrais durs, il n’y en avait pas des tonnes à l’époque, en Angleterre. On a toujours su montrer notre vrai visage. C’est très important si tu veux rester fidèle à tes idéaux, mec !
— Comment fonctionne le groupe ?
— Pour être tout à fait honnête avec toi, j’y connais rien. Dans l’équipe, t’as toujours quelqu’un qui t’amène une idée. Ça part comme ça et j’écris des paroles. Voilà, c’est comme ça qu’on fonctionne dans l’équipe. J’ai toujours eu un faible pour le psyché et voilà pourquoi on a fait «When Am I Coming Down». J’adore le psyché depuis que je suis môme. Mais on reste carrés, car après, il faut partir en tournée, et ton psyché, il a intérêt à tenir la route, mec !
— Comment savez-vous que ce que vous faites est bien ?
— Quand un truc est carré, on le sent. Si un truc n’est pas carré, on le remet au carré vite fait. Ça fait partie du business, tu piges ?
— Avez-vous le sentiment d’évoluer ?
— Absolument. J’ai commencé comme toi, pigiste pour Record Mirror et ZigZag, et je n’étais jamais monté au créneau. Pour être tout à fait honnête avec toi, je suis un mec très timide. Mais devant un public, t’as intérêt à assurer. C’est ça qui t’oblige à évoluer. Si je ne souris jamais devant un public, c’est parce que je me concentre. C’est un business sérieux, pas de la rigolade. Je reste concentré à 100%. Voilà, c’est facile à comprendre. Les gens disent : «Fucking hell, ce mec a une gueule de tueur !». Ça me va, d’autant plus qu’on s’appelle les Godfathers, mec !
— Est-ce que votre façon d’écrire évolue ?
— Je vais te donner un exemple : un journaliste m’a demandé de lui décrire le son des Godfathers. Je lui ai répondu : a big bad beautiful noise. Quand j’ai lu l’interview dans le canard, cette expression que j’avais utilisée spontanément m’a sauté à la gueule. Je la trouvais excellente. Je devais donc l’utiliser, en faire un titre. C’est parti de là, j’ai eu l’air en tête, c’est devenu un cut de cat qui parle de désordre social et de rébellion. Là-dedans, je dis : «Started shooting the politicians round about quarter to nine», ce qui veut dire que j’ai commencé à buter ces bibards de politicards vers neuf heures moins le quart, et je peux te dire en prime que certains politicards méritent de se faire fumer et c’est pas moi qui irai chialer sur leurs tombes, tu peux en être sûr ! Voilà, c’est un exemple. Comme je lis des tas de canards, j’ai des tas d’idées. J’écoute aussi ce que les gens racontent. En plus, je suis un teevee junkie, je vois des caisses et des caisses d’infos télévisées. Il y a toujours une info qui va te sauter à la gueule. Tiens comme ces titres dans la presse : «Un million de mères de familles sont accro au valium», ou encore «Une génération entière élevée dans la pauvreté», ou tiens, cette pure merveille : «Nous vivons tous dans un système économique truqué». J’ai récupéré tous ces titres pour en faire des textes. J’ai injecté tous ces titres dans les Godfathers ! Ah tu parles d’un shoot, mec !
— Est-ce important pour vous de continuer à évoluer ?
— Oui. Je suis fier de notre passé, mais je ne veux pas qu’on s’endorme sur nos lauriers. L’album le plus important des Godfathers est toujours le prochain. On ne s’intéresse qu’à ce qui se passe autour de nous. On peut toujours faire plus, et mieux. C’est ma conviction. Dans l’équipe, j’ai maintenant Steve et Mauro aux guitares, Tim au beurre et Birchy au bassmatic. On crache des flammes. C’est ça que tu entends sur Big Bad Beautiful Noise, et sur scène, on crache le feu tous les soirs. On voulait faire un truc qui casse la baraque, alors on l’a fait. On ne veut pas faire une resucée de More Songs About Love And Hate. On veut faite une truc aussi bon, mais différent, tu me suis ? Pour moi, chaque album est une aventure sonique et on veut embarquer les gens dans cette aventure. Tous les cuts de Big Bad Beautiful Noise sont bons ! - All killer and no filler ! - C’est notre meilleur coup, kid ! J’en suis extrêmement fier ! On est tellement contents de faire la tournée des grands ducs avec ce truc. L’année prochaine, on envisage de ne jouer que les cuts de Big Bad Beautiful Noise en première partie, puis faire un break d’une demi-heure, le temps de passer une chemise fraîche et remonter sur scène pour jouer les autres cuts.
Miraculeusement, les Godfathers jouent au Havre par ce joli soir de mars. Les paroles de Peter Coyne résonnent encore dans les oreilles de James qu’on a envoyé en mission pour couvrir l’événement. Ce petit bar paumé dans une zone industrielle est l’endroit idéal pour le concert d’un groupe aussi mal famé que les Godfathers. Et bien sûr, en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, Peter Coyne et son équipe transforment la petite salle en étuve. C’est même stupide d’écrire une telle chose, car comment pourrait-il en être autrement ? Avant même que Peter Coyne n’ait ouvert le bec, on sait que va s’abattre sur la salle un déluge de son, on sait qu’une tornade va tout balayer, on sait que le cœur du rock va battre la chamade, car enfin, il n’existe pas beaucoup de groupes d’un tel niveau, d’une telle intensité, d’un classicisme aussi déterminant. C’est justement ce classicisme qui fait la force des Godfathers. Ils se comportent ni plus ni moins comme les gardiens du temple, mais pas n’importe quel temple, celui du rock anglais. Alors ils continuent, envers et contre tout, et c’est précisément cette détermination qui fait leur grandeur. Un set des Godfathers reste captivant de bout en bout, Peter Coyne n’en finit plus de rappeler que le rock anglais est un serious business et derrière lui, l’implacable Tim Jones enfonce ses clous et rive son beat à longueur de set. Sur scène, ça gigote dans tous les coins. On sent le Heartbreaker chez ce diable de Mauro Venegas qui n’en finit plus de voler le show. Birchy a remplacé Chris, le frère de Peter Coyne, c’est un peu dommage, mais finalement, le groupe y retrouve son compte, niveau stature.
Leur nouvel album A Big Bad Beautiful Noise fait partie de ce qu’on entendra de mieux cette année, à condition bien sûr de savoir apprécier le rock à guitares. Le morceau titre sonne comme une énormité rampante, c’est excellent, amené au push around no more, c’est même un véritable chef-d’œuvre de menace urbaine. Voilà un cut extrêmement tendu et bardé de climats terribles. Peter Coyne et son gang restent dans l’énormité pour «Till My Heart Stops Beating», un cut doté d’une belle attaque frontale, clamée à la clameur d’un riff. Le pouls du rock anglais bat ici très fort. Franchement, c’est digne des grands hits anglais des seventies. Ils tapent «Miss America» aux wooo-wooo énervés - Oh Miss America, you came down on me - et ils enchaînent avec un bash-boomer intitulé «Defibrillator», une nouvelle abomination transpercée de part en part par un solo dévastateur. On assiste là à la résurgence de la jouvence. Peter Coyne connaît tous les secrets du rock anglais. Et puis on tombe plus loin sur «Feedbacking» claqué aux pires accords de Rule Britania. Comme Jim Jones, Peter Coyne continue de faire son truc, envers et contre tout. Voilà encore un hit underground claqué à la cloche de bois, une pure merveille stompique. Ils redoublent de puissance pour un «Let’s Get Higher» monté sur un beat qu’il faut bien qualifier de démentoïde et ravagé par des laves de solotage. Ils se situent une fois de plus en dehors du commun des mortels et un vent mauvais balaye leur blast. On se régalera aussi de «Poor Boy’s Son», Peter Coyne y fait son glamster sur un riff d’une rare violence. N’oublions pas qu’ils reprenaient «Cold Turkey». Ils se payent même le luxe d’un balladif sixties avec «One Good Reason». Peter Coyne s’y érige en gardien du temple et les deux grands guitaristes qui l’accompagnent s’en donnent à cœur joie : wha-wha et zyvaterie. Ils terminent cet excellent album avec «You And Me Against The World» et nous plongent dans une fantastique ambiance ambiancière. Ces gens-là créent la sensation et redonnent au rock anglais son caractère excitant. Rien d’aussi mightyque que les mighty Godfathers.

Signé : Cazengler, Godmiché


Godfathers. L’Escale. Le Havre (76). 9 mars 2017
Godfathers. A Big Bad Beautiful Noise. Godfathers Recordings 2017
Come Together, interview de Peter Coyne. Vive Le Rock #42

 

16 / 06 / 2017LA DAME DE CANTON
IRMINSOUL / OCEAN

 

La voix d'Hubert Bonnard au téléphone, impérative qui me charge d'une double mission – apparemment le sort de l'humanité en dépend – cliquer J'aime sur l'annonce du concert d'Océan, et me porter volontaire pour le concert d'Océan. Je connais l'Atlantique et le Pacifique mais même au fin-fond des mémorielles profondeurs abyssales de mon cerveau, aucun souvenir de ce groupe irremplaçable, Hubert me file les élémentaires informations de base, créé en 1974, quatre albums, première partie d'AC / DC et d'Iron Maiden, dissous et dernièrement reformé, le combo qui dans sa jeunesse l'a rattaché au continent rock, et j'oserais ne pas être là, inadmissible ! Bref ce vendredi soir je monte à l'abordage de la Dame de Canton mince jonque noire amarrée au quai de la Seine, tout près du ministère des finances publiques, destinées à alimenter à flots continus les caisses des entreprises privées...
N'oncques donc à donf mon oncle sur la jonque, un peu étroite, resto à gogo pour bobos à fond de cale, scène peu ou prou resserrée à la proue de l'entrepont, l'est temps que l'on largue les amarres grand largue, cap rock'n'roll !


Avec son look de pirate de haute-mer
Du rideau noir à moitié recouvert
A chacun des deux groupes, Hubert
Se fendra d'une présentation en vers !

IRMINSUL


Irminsul, le frêne sacré, aux ramures ygdrasillèennes, pousse encore ses païennes racines dans l'imaginaire culturel du hard-rock... Power trio classique. Avons eu le plaisir d'assister au réglage de la sono, pas mal du tout, mais rien à voir avec ce qu'ils nous présentent maintenant, se sont retenus, les bougres. L'on ne voit de lui que ses cheveux longs qui pendent de son foulard de forban qui lui couvre la tête mais c'est lui Guillaume Chedeville qui catapulte la machine. Une frappe punchy de roulements incessants, en voici un qui ne laisse ni un fût ni une cymbale inactives, pas une seconde de répit, il pousse sans arrêt, à croire qu'il fait la course avec ses deux acolytes pour être toujours devant. L'on a l'impression qu'il cherche à les déborder, à les recouvrir, à les submerger, à les rouler dans l'écume impétueuse de sa frappe de forgeron. Le problème – en fait c'est la solution - c'est que les deux autres ne se laissent pas faire.
Il paraît que Pascal Borniche est à la basse. Même qu'il répond au fonctionnel surnom qualificatif de Bassman, pieux mensonge, ne le croyez pas. Monstrueux – non damoiselles je n'évoque point son physique – mais son soi-disant jeu de basse. En use, en abuse, comme d'une lead guitar, derrière Chefdeville peut chauffer le métal à blanc dans la fournaise de sa batterie, Borniche se charge de le découper au chalumeau, vous dessine des formes inattendues, vous sculpte la matière brute, lui donne sens, vous la malmène sans pitié, n'a vraisemblablement jamais entendu parler d'accompagnement rythmique, lui il crée, il insuffle, il délimite, il dessine, il trace des géométries abracadabrantes dans l'espace sonore, vous prend le son, le féconde, et donne vie à la matière noire drumique.
S'appelle aussi Guillaume. Coulon. Avec ses longs cheveux blonds et sa guitare verdâtre l'est beau comme un chef viking qui mène l'abordage à l'avant de son drakkar. De l'allure, de la prestance, du charisme, un sourire ravageur à faire fondre la banquise, une voix claire et puissante, officie au chant et à la rifferie. Un sacré ciseleur. Vous chrome les riffs, les ruisselle d'or et d'argent, se charge des cannelures de bronze et des motifs d'airain, opère à chaud, directement sur le magma liquide que lui servent sans retenue les deux autres bersekers. Encore un qui a tout compris. C'est le troisième dans le groupe. S'appuient sur le hard des années soixante-dix et réalisent un subtil alliage qui va de Led Zeppelin à Metallica, à part qu'ils ont bien intuité qu'entre inspiration créatrice et copie servile, l'existe un monde. Z'ont fait le bon choix.
Détail. De ceux qui permettent de confondre l'assassin ou de débusquer l'alien qui se cache sous l'apparence humaine. Guillaume chante en français, vous plie l'idiome national à sa fantaisie, le fait sonner et klaxonner sans complexe. Un set qui aurait pu être bien plus long. Seulement huit morceaux, huit épées imparables forgées par Wotan, de celles infaillibles qui servent à terrasser les dragons maléfiques qui squattent les antres les plus obscurs de votre âme périmée, aux titres talismans comme Les Oubliés des Dieux, Rumeurs, Divine ( porte bien son nom )... Finissent sur J'en reste là. Le seul défaut du set. Auraient dû continuer.

OCEAN


Un peu à l'étroit tout de même. Difficile de faire rentrer quatre gaillards et l'Océan en entier dans la minuscule fiole de cette scène. Surtout dommage pour Steph el cantaor dont le jeu de scène aurait mérité quelques mètres carrés supplémentaires. Mais ne nous plaignons pas. Difficile de rester debout devant l'estrade, les fans ont répondu en masse, jamais vu autant d'appareils photos, de portables et de caméras devant un groupe... Mais sans doute avez-vous envie d'entendre le moutonnement infini des vagues qui viennent se briser sur le rivage.
Très simple. Quand vous avez la Gibson, vous avez le son. Or Georges Bodossian possède une Gibson. Avec quelques centaines de milliers d'autres dans le monde. Mais lui l'a compris le mode d'emploi sans avoir besoin de le lire. D'instinct. Facile, solo du début à la fin, en mode continu, ne pas s'intéresser aux camarades, suivront comme un seul homme. La guitare est une torche vivante, porte le feu partout où elle passe, suffit de se maintenir dans son sillage pour être au coeur du carnage. Qui saurait résister à une telle invitation ! Georges Bodossian, c'est à lui tout seul l'armée d'Alexandre incendiant les palais somptueux de Persépolis, just for fun, bonnes âmes ne criez pas au crime, le rock'n'roll est une musique dévastatrice, c'est sa nature profonde, son pédigrée ontologique aurait dit Diogène le Cynique.
N'est pas tout seul non plus. Les malandrins se regroupent facilement par bandes. Derrière lui Alain Gouillard multiplie les pulsations de ses fûts. Avec le train d'enfer qu'inflige Bodossian, n'a pas le temps de bayer aux corneilles, combien de battements d'ailes sont-ils nécessaires au pétrel pour traverser l'océan tempétueux, hélas nous n'avons pas la réponse car nous n'avons pas eu le temps de les compter, vous assène à tout bout de houle de ces suites de cliquètements intempestifs exacerbés qui vous soufflètent l'esprit à satiété.
Noël Albérol s'occupe de la basse, l'a l'air particulièrement aimé par les fans de la première heure qui n'arrêtent pas de l'appeler ou d'essayer de le toucher. L'aurait mérité que sa basse soit plus forte, l'est un peu trop mangée par les friselis de Bodossian, mais il donne l'assise terrestre nécessaire à tout déploiement océanique.
C'est à Steph Reb qu'échoit la redoutable tâche de chanteur. Je n'ai pas dit screamer, nous sommes dans un hard originaire qui martèle et détache plus qu'il ne hache les syllabes. En français, dans le texte. Ce qui est sûr c'est qu'il n'est pas le seul, la plus grande partie du public le suit, connaît les textes par coeur et sait très bien où il faut appuyer pour que cela fasse mal. Paroles sans ambiguïtés qui fleurent bon la révolte anarchisante des seventies, Aristo, A force de gueuler, Instinct Animal, Attention Contrôle, pas besoin d'une étude linguistique en douze points pour entendre le message, rajoutez-y une pointe rentre-dedans de machisme rock'n'rollienne avec des morceaux comme Qu'est-ce que tu dis ? Et Je Crois que tu Aimes ça... plus dans le rappel l'irruption de la camarde avec C'est la Fin et La Mort Rôde, un véritable bouquet de Sex, Death and Rtock'n'roll. Chaude ambiance, première fois que je vois cela en concert, Hubert qui se faufile dans la cohue les deux poignes pleines de glaçons qu'il offre en guise de rafraîchissement.
Ne vous lâcherait point sans avoir braqué le projecteur sur Steph, la classe du dandy populaire, lunette noire dans l'échancrure du T-shirt, veste en jeans délavé plus chemise à damier nouée à la taille ( comme l'on fait dans les colonies de vacances ), lame de rasoir en pendentif autour du cou, fine moustache acérée, un look improbable et une présence indiscutable, les filles ne cessent de le photographier, et lui il fait le beau, poses rock au micro avantageuses et surtout cette jouissance communicative d'être là, de prendre son pied, de transmettre du plaisir à la foule trépidante qui n'en peut plus. Le rocker français dans toute sa plénitude zénithale, le gars qui vous achoppe et qui vous dope, l'invite Diabolo – harmoniciste d'Higelin - à le rejoindre pour deux morceaux, le groupe bastonne si fort qu'il devra se contenter de quelques jappements qu'il parvient à glisser on ne sait comment dans le capharnaüm sonore, ce n'est qu'au rappel qu'il démontrera ce qu'il sait faire en précipitant un solo dès les ridelles de l'introduction, l'a un beau sourire Diabolo, qui respire la bienveillance et la sympathie, pas du tout diabolique. C'est Steph qui se charge du rôle de Méphisto.
Encore une fois, un set trop court, l'on n'atteindra pas les quinze morceaux, faudrait que la Dame de Canton mette un peu plus de riz dans les bols. Nous ouvre l'appétit mais ne le satisfait pas. Océan a cartonné, ne peuvent même pas traverser la salle pour se rendre au bar, les fans les assaillent, les caressent, les embrassent, les papouillent...

Damie chad.

16 / 06 / 2017 / DORMANS
HOT CHICKENS / NATCHEZ

Ne vous plaignez pas, ce coup-ci je ne vous emmène pas dans un bouge improbable au cœur des ténèbres conradiennes d'une banlieue labyrinthique, vous offre carrément la vie de château. Ce n'est pas l'Amazone, mais faut parcourir plus de soixante-dix kilomètres désertiques de nature verdoyante, quelques villages assoupis, collines, coteaux, champs, bois, routes sinueuses et enfin, récompense suprême, Dormans. Un château, un vrai, façade royale, deux grosses tours rondes, massives, puissantes, mais ce n'est pas tout. Un parc de quarante cinq hectares, planté de platanes monstrueux, et au fond sur une hauteur, le Mémorial des deux batailles de la Marne. De loin, ça ressemble au Sacré-coeur de Paris, ce crachat de pierre blanche élevé à la gloire des Versaillais qui fusillèrent le Paris rouge et noir de la Commune, mais non, l'édifice est d'une sobriété exemplaire, ce qui n'empêche que des centaines de milliers de soldats sont morts sur ces terres pour les bénéfices des marchands de canons. Ironie de l'Histoire, un siècle après, les gouvernements successifs de notre pays se complaisent dans le rôle subordinatif de paillasson de l'Allemagne libérale le pays, aux huit millions de pauvres payés à moins de cinq euros / heure, paradis du capitalisme financier...

 

HOT CHICKENS


Je hâte le pas. C'est la voix d'Hervé qui résonne sous les frondaisons majestueuses du parc. Etrange effet d'ouïe, l'on dirait qu'il est accompagné par un quatuor à cordes ! Je me glisse au plus vite au premier rang. Quel hasard Balthazar, en plein milieu d'une escouade du 3 B, les mêmes causes produisent les mêmes effets nous ont avertis les philosophes. Arrêtons de méditer et écarquillons yeux et z'oreilles.
Thierry Crazy Beat Sellier est au centre. Vous ne pouvez ne pas le voir, revêtu d'une chemise blanche immaculée, éblouissante, incandescente, pour un peu vous la confondriez avec une toge romaine cicéronienne. Pour que vous ne commettiez point cette lamentable horreur historiale, l'a rehaussée d'une royale cravate - de celles que l'on offre à la fête des pères – aussi large que la piste d'envol d'un porte-avions l'est comme ces seigneurs du grand-siècle qui mettaient un point d'honneur à ne se rendre sur le champ de bataille qu'en grande tenue de parade – et justement la bataille s'annonce rude, puisque Maître Loison annonce une séquence Gene Vincent. Genre de difficulté qui n'impressionne guère notre drummer émérite. Avant de l'entendre taper, faut le voir. Cette manière de hisser bien haut sa baguette gauche tout lentement – alors que les deux autres acolytes cavalent comme des chevaux à qui vous avez enflammé queues et crinières – sans se presser comme s'il avait une heure à perdre sur le quai de la gare – d'attendre placidement que deux ou trois rapides passent à toute vitesse – et puis plashoum ! vous abat la bombe atomique et le tintamarre juste sur le temps, petit sourire de satisfaction, léger déhanché du bras droit et c'est reparti à la manière des canons turcs qui gardaient et interdisaient le défilé des Dardanelles.
Christophe Gallopin' Gillet est à la fête – d'ailleurs c'est son anniversaire – quoi de plus intéressant pour un guitariste que de revisiter Cliff Gallup. L'a décidé de bouter le feu au navire. Vous le découpe à la hache d'abordage. Les éclisses volent de partout, notes embrasées s'envolent, tels des papillons de bois enflammés qui s'élancent et retombent en pluies d'étincelles acérées. Sourire jouissif du pré-hominien qui heurte pour la première fois deux silex entre eux et qui comprend qu'il détient la foudre entre ses mains. Guitare frelon et nid de guêpes. Christophe Gillet réussit à enflammer le rock'n'roll. Vous rôtit le poulet que Sellier vient de knock outer d'un coup de Trafalgar.
Avant qu'il ne soit estourbi, Hervé Loison l'a scalpé tout vivant, lui a arraché les plumes à pleines mains. A pleine voix. Tue la poule mais garde le grain de la folie. Pour le moment l'est fiché sur sa contrebasse, l'a l'air d'un échassier au milieu de la mangrove, solitaire, emmitouflé dans le plumage redondant de sa veste qu'il s'obstinera à garder pendant la plus grande partie du set malgré la chaleur accablante, vous psalmodie les lyrics comme des déclarations d'intention malfaisantes, la big mama fuse jusqu'au plafond, la rattrape, la replante bien droit et s'essaie à quelques numéros de barre transversale comme les danseuses d'opéra à l'entraînement, des entrechats, entre cats pour faire monter la pression. L'on traverse le torrent furieux du rock'n'roll en sautant de rocker en rocker, Eddie Cochran, Buddy Holly, Johnny Burnette, et attention, sévère dérive, tangente qui déjante, une pépite de Mystery Train, le genre de crampitude exacerbée qui vous émoustille salement les écoutilles et la pastille.
Tant pis pour vous, puisque vous avez continué votre lecture, c'est l'instant sacré de la transe, le scorpion noir du blues s'en vient piquer le rock'n'roll snake, Hervé rejette sa contrebasse comme une vieille chaussette, elle gît inanimée tel le cadavre délabré d'un brontosaure, extrait de sa poche un minuscule harmonica et c'est de cette maigreur d'instrumentalité dérisoire que se déploie le rituel vaudouïque. Double boulot pour Thierry et Christophe, non seulement il faut jouer – aucune difficulté, laissez les faire, l'on n'a pas besoin de vos conseils, ils savent – mais il faut suivre le patron. Et là c'est du grand art, nous n'en retiendrons que quelques flashs, le flip-flap arrière de Loison qui se termine en poirier adossé sur la grosse caisse, le rire interrogateur de Christophe essayant de traduire en éclats électriques le prurit vocal d'Hervé face contre terre, grommelant de mystérieuses et incompréhensibles imprécations ponctuées de grognements délétères qui semblent indiquer un retour à l'état primal, une régression bestiale définitive, l'air impassible de Thierry reprenant inlassablement plus de soixante fois d'affilée le même rythme, comme un quarante cinq tours usés, manière d'accumuler impatience et énergie libératoire, Hervé n'attendant que le break salvateur, comme le tigre assoiffé de sang tapi dans l'ombre qui espère encore et encore le moment où le soigneur ouvrira la porte... miam-miam, rien à dire le rock c'est encore meilleur quand il est arrosé au concentré de rock'n'roll !
Tous trois sont généreusement félicités et remerciés par le public fervent qui se presse autour d'eux... Reprendront vite la route, nouveau concert le soir même à vingt-trois heures à Dijon. Rien que de penser que je n'y serai pas la moutarde me monte au nez.

NATCHEZ


Le soleil est tombé mais la chaleur stagne encore, rien comparé à la fournaise de l'après-midi. La foule grignote sur les pelouses mais à l'appel de Babac'h une grande partie se lève et s'agglutine devant la scène, ai-je besoin de préciser qu'au premier rang l'on retrouve l'escadron volant du 3 B ? Natchez c'est aussi beau à voir que bon à entendre. Un look pas possible. Le trio de la mort devant, deux interminables escogriffes de noir vêtu à la dégaine de desperados sortis tout droit des déserts du Nouveau-Mexique, cheveux bouclés poudrés d'argent, figure mangée par un bouc semi-broussailleux, chapeau plat de cow-boy qui leur donne un air d'échappés de la bande à Quantrill, tous deux séparés – une plume d'aigle des Rocheuses pend au manche de sa basse – par DD au visage impassible de chef indien. Derrière Ben officie aux fûts, l'est comme le servant de la mitrailleuse dans les westerns caché dans les flancs d'un débonnaire véhicule d'intendance, ici occulté par les triples silhouettes effilées de ses complices, mais il ne cessera de vous tirer de ces rafales de balles drum-drum qui vous traversent le corps sans vous demander la permission. Vous l'avez compris, vous êtes partis pour une chevauchée dangereuse sur les terres les plus arides du Southern Sound.
Précision d'importance avant de monter le son. Les deux outlaws se sont partagés les rôles, tout deux une guitare, Manu sur votre droite leade et chorise si besoin, Babac'h sur votre ------- ( remplissez les tirets, c'est pour voir si vous suivez ) chante, introduit les morceaux, et contrepuncte sur son cordier, DD ne fait rien, seul parfois un fin sourire sardonique point sur sa face, ressemble alors à un chef Cheyenne immobile sur une crête qui voit au loin dans la grande plaine qui poudroie s'avancer un convoi de charriots mal escorté dont les essieux plient sous le poids de caisses de winchesters... Quand je dis qu'il ne fait rien, je m'explique, donne l'illusion de, mais d'un doigt précis – un seul - il tire sur une des cordes de la basse et le trait s'envole lentement, tel un vol lourd de corbeaux menaçants qui s'en vient planer autour de votre tête pour vous prévenir que la flèche va se ficher dans quelques secondes en plein dans votre cœur. Tactique de guerrier indienne, prévenir avant de tuer. En plein dans la cible à tous les coups.
Manu est à la guitare, non la guitare est à Manu. Entrevoyez la différence. N'en joue pas, se joue d'elle. Sous ses mains expertes l'est comme la chatte câline qui s'en vient frétiller sous vos doigts agiles, tour à tour elle miaule, elle moane, elle roucoule, elle ondule, se tend et se précipite, foutrejus ! Manu ne la laisse jamais reposer, l'est une grande plainte joyeuse et soyeuse qui n'en finit pas de s'étirer et de se déployer à l'infini. Un doigté à charmer les crotales, parfois il bottlenecke et bottlenique sans répit, sonorités texanes qui vous emportent sur des nuages d'ouragan et de rêve...
Babarc'h est au chant. Beaucoup de compositions originales en français Je Marcherai Droit, Canicule, Hautes Plaines, Tais-toi, Fils à Papa, Coude sur le Bar, l'on goûte l'humour des paroles et cette traînante vélocité de la voix qui les met si bien en scène qu'elles supportent sans réprimande la comparaison avec des reprises comme le Take It Easy des Eagles ou les hymnes légendaires de La Grange de ZZ Top ou de Sweet Home Alabama de Lyny Skynhyrd. AC/ DC, Stones, Creedence sont aussi de la fête. Que du beau monde. De la belle ouvrage, voix et guitares mélangent harmonies et vitriol, langueurs laguniennes et fureurs foldingues.
L'on ne s'en lasserait jamais, nous d'écouter et eux de jouer. Sont comme ces abeilles infatigables de l'Hymette qui sans fin venaient butiner le miel des paroles de Platon. Entassent les rappels. Fond durer les morceaux, ah ces soli de guitare qui fondent et rissolent aux petits oignons comme mottes de beurre à feux doux sous la poêle et puis qui crépitent comme gobelets de poudre noire jetés sur braises ardentes.
Ils ont un secret. Très mal gardé. L'ont écrit en gosses lettres sur la grosse caisse, NATCHEZ 1987 – 2017, trente ans qu'ils cavalent sur les pistes les plus chaudes du rock'n'roll. Devraient être éreintés, fourbus, laminés, foutus. Mais z'ont gardé la hargne et la fraîcheur, l'impétuosité, la générosité, et la jactance de la jeunesse.
Ont du mal à descendre les cinq marches de la scène tant la foule se presse au haut de l'escalier pour les féliciter et se rue sur les disques. Que voulez-vous, ce n'est pas tous les jours que vous avez droit d'un trait sans une seconde de relâche à deux heures de pur bonheur.


Damie Chad.

BLOUSONS NOIRS
LES REBELLES SANS CAUSE

cHRISTOPHE Weber ( 2015 )

( Redifusion FR3 : 22 / 06 / 2017 / 23 H 30 )
Vous qui lisez cette page ce mercredi 21juin, jour de sa publication, il en sera de même pratiquement toute la journée de jeudi 22, vous allez la juger comme un adorable pense-bête qui vous empêchera de rater la rediffusion de l'émission TV, Blousons noirs, les rebelles sans cause. Si par hasard vous ne portez vos yeux sur cette brève chronique que le vendredi, inutile de vous suicider, l'émission circule sur le net depuis pas mal de temps, faites-vous confiance vous la retrouverez en trois clics.
Les documents sur les Blousons noirs ne sont guère abondants. Attention nous parlons des «  vrais » qui sont apparus entre 1959 - 1963. Pas des bandes des années 70. Quelques archives INA, une courte séquence de Cinq colonnes à la Une, un site de compilation des journaux d'époque – je ne sais s'il existe encore, mais à mon avis l'ensemble le plus intéressant que je n'ai jamais rencontré - deux ou trois livres de sociologues un peu abrutis par leur origine de classe, et quelques bouquins que nous avons chroniqués sur KR'TNT. Dont le très beau Quand j'étais un Blouson Noir de Jean-Paul Bourre que nous retrouvons dans le documentaire, revient sur ses propres traces à Issoire lorsqu'il faisait partie de la bande des Croix Blanches...
Ce qu'il y a de troublant avec les blousons noirs, c'est qu'ils ont disparu, se sont dissous comme le sel dans l'eau. Pas d'amicale, pas de rave-parties de nostalgiques, pas de revival. Ont été engloutis. Si la chance vous sourit vous pouvez en rencontrer un, un survivant, en règle générale ne s'étendent guère si vous les interrogez, ressortent deux ou trois clichés et se dépêchent d'enterrer le sujet. On était jeunes... Sont passés à autre chose. La vie s'est-elle chargée de les reformater ? Peut-être préfèrent-ils ne pas revenir sur ce sentiment d'avoir sans le savoir frôlé le désir d'un absolu existentiel dont il leur déplaît de remuer les cendres froides d'où émane une forte senteur de rêve brisé...
Alors ce sont les chercheurs qui parlent à leur place. Vous campent la période historique, le blabla habituel, l'après-guerre, la reconstruction, la mutation économique, la société de consommation qui se profile, la jeunesse à l'avenir incertain, un peu de guerre d'Algérie mais pas trop non plus... Ne rabâchent pas que des stupidités nos universitaires, n'ont pas tout à fait tort, mais n'ont jamais raison.
Car le véritable enjeu n'est pas là. Certains morceaux de votre vie peuvent bien rentrer dans les cases déterminées par les sociologues, mais à mon avis la question n'est pas de cet ordre, ces catégories ne prennent pas en compte l'imaginaire des protagonistes concernés. L'individu est davantage acté par sa représentation phantasmatique de son implantation sociale et poétique que par sa définition paramétrique.
Sans doute faut-il aller plus loin et s'appuyant sur la dernière phénoménologie husserlienne hasarder le concept d'imaginaire collectif que vous modelez autant qu'il vous module. En ce sens ce documentaire n'est pas mal fait. Vous refile toutes les pièces du puzzle mais pas l'image qu'il est censé représenter, ce ne sont des fragments abstraits que chacun se doit d'assembler non pas à sa guise – le premier imbécile venu se satisfait très facilement de réaliser l'effet miroir dans lequel il se reconnaît – mais de telle manière que la combinaison obtenue se signifie d'elle-même comme signifiance ultime. Le jeu des perles de verre d'Hermann Hesse. Avec une difficulté supplémentaire. Les perles ne sont point transparentes et se refusent à toute polarisation arc-en-ciélique. Vous n'y voyez que du noir. Pas une arnaque à la Pierre Soulages qui irradie ses toiles de nuances diverses. Non, simplement du noir blouson. Le plus opaque d'entre tous.
Cet aspect des choses présente un avantage, elle explicite la coupure qui s'est opérée dans la transmission générationnelle du rock'n'roll en France. Qui a emprunté beaucoup plus les canaux familiaux que les errements individuels. C'est ici que vous insèrerez les méditations situationnistes. Mais nous sortons là du sujet thématique traité par cette émission que vous regarderez avec profit. Nous en rediscuterons une autre fois.


Damie Chad.

JOE HILL
BREAD, ROSES AND SONGS

FRANKLIN ROSEMONT

( Editions CNT – RP )

Presque six cent pages ! En soi rien d'extraordinaire, juste un détail : tout ce que nous savons sur Joe Hill tient sur deux pages. Pas grand-chose, heureusement qu'il a été injustement condamné à mort et proprement exécuté en novembre 1915, sans quoi l'on n'aurait jamais entendu parler de lui. J'exagère, l'a laissé ses chansons. Attention n'existe aucun enregistrement de sa voix, mais elles ont survécu, dans les années soixante Dave Van Ronk, Joan Baez et tout le milieu folk new-yorkais ont contribué à perpétuer la flamme de son souvenir.
N'était pas tout à fait un inconnu de son vivant non plus, l'était le militant le plus célèbre de l'IWW. Ses chansons étaient sur toutes les lèvres, sur tous les piquets de grève. IWW, les trois lettres magiques, Industrial Workers of the World, Franklin Rosemont part du principe que le militant ne saurait cacher le syndicat. Au-delà de la personne de Joe Hill, c'est toute l'action des IWW qui est révélée.
L'IWW fut créée en 1905, dix années après notre CGT, l'originelle, d'obédience anarcho-syndicaliste de Fernand Pelloutier. Cela a son importance car l'IWW s'inspira des méthodes de lutte prônées par la centrale française. Le rêve de l'IWW était de réaliser the One Big Union, un syndicat unique, non corporatiste, qui défendrait l'ensemble des travailleurs, sans distinction de nationalité et de couleur, en d'autres termes et en pratique les IWW organisèrent les luttes des précaires, des intermittents, des saisonniers, elle fut par excellence l'organisation qui regroupa les hobos. Elle préconisa l'action directe qu'elle ne substituait pas à l'emploi de la violence révolutionnaire. Les IWW étaient des radicaux. Z'avaient lu Marx et pratiquaient la lutte de classes. Ne voulaient pas abolir le salariat mais anéantir l'esclavage salarial. Nuance de poids ! Marxiste mais pas communiste. Dès le tout début des années vingt, l'IWW critique les déviations de la bureaucratie soviétique... Elle fut la bête noire de la police et de la justice ( la première étant partout et la seconde nulle part ). Son discours frontal anticapitaliste envoya des milliers de ses adhérents en prison. L'on ne compte plus ses membres arrêtés, tabassés, torturés, assassinés... L'organisation implosa d'elle-même minée par ses courants intérieurs qui se déchiraient sur la conduite à tenir face à la répression... La montée de la puissance organisationnelle du Parti Communiste américain et sa théorie d'accumulation pacifique des forces lui porta aussi grand ombrage...
Joe Hill n'était en rien un responsable des IWW, un simple militant de base, un taiseux avant tout qui ne révélait rien de son existence à ceux qui l'ont croisé ou côtoyé, mais un engagé pur et dur, n'a pas hésité à prendre le fusil pour soutenir la révolution mexicaine, ne reste que peu de traces de lui, les témoignages les plus précis sont très brefs et se comptent sur les doigts d'une main, mais au-travers des rares informations qu'il a colligées Franklin Rosemont se livre à une radiographies des plus éloquentes des IWW.
Ne le mythifie en rien. Joe Hill n'était ni un grand compositeur – se contentait très souvent de reprendre un air populaire pour y plaquer ses paroles – ni un grand poète, même s'il a su trouver quelques formules percutantes. Utilisaient des mots simples et une grammaire basique mais ses chansons étaient les plus souvent reprises par les militants des IWW. Car c'était une spécificité des IWW de mêler actions sociales, agitations publiques, réunions décisionnelles et chansons. La brochure la plus célèbre du mouvement reste son Red Book, recueil de chansons, très régulièrement réédité et mis à jour. Ce serait une erreur de croire que cette pratique assidue du choral proviendrait du substrat christologique des USA, gospels noirs ou cantiques blancs. Les IWW n'étaient guère religieux, penchaient largement vers l'athéisme. Puisaient à une autre source, celle du romantisme anglais, Burns,Wordworth, Keats, Shelley, Byron, Swinburne étaient leurs poëtes favoris, vous y rajouterez entre autres Whitman et Poe...
Rosemont analyse finement comment la fréquentation de cette veine poétique ultra-romantique s'est combinée aux thématiques marxistes et a empêché tout dérapage dont furent victimes les organisations communistes qui accédèrent au pouvoir et qui en vinrent à réglementer toute création littéraire et artistique en l'enfermant dans les carcans intransigeants d'une littérature soumises à des diktats idéologiques qui se révélèrent être une censure impitoyable... Notons que de nos jours encore la gauche responsable de gouvernement ne cesse de dénoncer les mouvances anarchisantes comme des ramassis d'exaltés romantiques attardés, comme quoi il s'agit bien d'une ligne de fracture des plus prégnantes... Rosemont va plus loin encore lorsqu'il institue une ligne de démarcation qui induirait le communisme selon une préférence pour le roman et l'anarchisme selon une orientation poésiale...
L'Histoire – fût-elle poétique – est écrite par les vainqueurs. Des milliers de poèmes publiés par les IWW ne surnage que le nom de Joe Hill, mais Rosemont en présente quelques uns comme Ralph Chaplin – à qui la CNT emprunta le chat noir de son logo – Arturo Giovannitti, Laura Tanne qui n'est pas encore identifiée et dont il ne subsiste que quelques poèmes, Covington Hall, T-Bone Slim... des noms qui ne parleront guère au public français mais qui sont autant d'étapes vers la beat-generation, en quelque sorte des ancêtres de ce mouvement continu de contre-culture qui fut irrigué par le rock'n'roll.
William S. Burroughs et Jack Kerouac furent en leurs débuts très influencés par la geste des IWW. Si l'on met souvent en relation le roman Sur la Route ( On The Road ) avec les pérégrinations des hobos qui brûlaient le dur, l'on passe sous silence l'arrière-fond politique des revendications forcenées menées par les itinérants du rail en quête de travail... Il convient aussi de relire les oeuvres de Jack London et de John Dos Passos à cette même lumière. Pour les lecteurs de KR'TNT nous préciserons encore que Joe Hill rencontra Claude McKay l'auteur de Banjo que nous avons chroniqué dans notre livraison 325 du 20 / 04 / 2017... Les liens avec les mouvances littéraires et politiques des communautés noires s'en trouvent ainsi d'autant mieux symboliquement soulignés.
Tous ceux qui entrevoient le rock'n'roll comme l'un des vecteurs d'expression des révoltes contre-culturelles et populaires liront ce livre qui fourmille de mille informations avec intérêt. Les IWW ne possèdent plus l'aura et l'importance qu'ils eurent dans les vingt premières années du siècle précédent. Toutefois le syndicat n'est pas mort, c'est les IWW qui organisèrent les grèves qui voici quelques années firent plier la direction des Starbucks Café... La lutte contre l'hydre capitalistique continue.


Damie Chad.