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29/11/2017

KR'TNT 350 : CHARLES BRADLEY / GARAGELAND / MUSIQUES NOIRES / F.J. OSSANG

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

LIVRAISON 350

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

30 / 11 / 2017

CHARLES BRADLEY / SLAP DOOWAP

GARAGELAND / MUSIQUES NOIRES

F.J. OSSANG

TEXTES + PHOTOS SUR : http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/

 

 

Bradley d’honneur

 

Le pauvre Charles Bradley est parti rejoindre ses ancêtres au paradis des damnés de la terre. Ce qui frappait le plus chez Charles, hormis sa voix, c’est sa tête d’esclave. Une tête à grimacer sous les coups de fouet du patron blanc. Une tête à vivre dans la peur du lynchage. Une tête à travailler comme une bête de somme, de l’aube jusqu’à la tombée du jour. Une tête à attendre la mort comme une délivrance.

Ses trois albums sont des classiques de la Soul, au même titre que ceux de Lee Fields, de Sam Cooke ou de James Brown. Si on se demande pourquoi un vieux Soul brother comme Charles Bradley n’a enregistré que trois albums, la réponse est dans le film Soul Of America : le Charles Bradley qu’on connaît aujourd’hui n’a démarré sa carrière qu’en 2011 - I ask myself why it’s been so long ! - Le film raconte l’enregistrement du premier album No Time For Dreaming et donc le lancement de sa «carrière». Avant, il s’appelait Black Velvet et imitait James Brown dans des petits clubs.

Il ne roule pas sur l’or, loin de là. Il vit dans les Projects de Brooklyn avec un perroquet. Les Projects sont ce que nous appelons les HLM. Ceux de Brooklyn n’ont rien à envier à ceux de la Courneuve. Quand il ne peut plus supporter le trash qui y règne, Charles va dormir chez sa mère, au sous-sol.

On le voit enregistrer avec les petits blancs d’un label new-yorkais. C’est tout de même dingue que ce soient des blancs qui l’accompagnent. Moyenne d’âge trente ans. Ils sont appliqués et ne bougent pas. On sent un léger manque d’effervescence dans le studio. Ils enregistrent «No Time For Dreaming», le morceau titre du premier album. Charles ne chante que la pure Soul des sixties. Gabriel Roth, boss de Daptone, explique qu’un jour on a sonné à la porte : c’était Charles. Take it as it come. Dans cette histoire, Gabriel Roth est le personnage clé : il a lancé la carrière de Sharon Jones et il va sortir Charles de sa misère. Roth fait son Chess. L’histoire se répète.

Pour passer de Black Velvet à Charles Bradley, Charles va chez le coiffeur. Il doit se réinventer. Puis Daptone le fait tourner avec Sharon Jones. Comme il a fait le James Brown Junior toute sa vie, Charles est parfaitement à l’aise sur scène. Il sait mener la revue. Il screame et il danse, il outche le funk de Soul comme un vieux pro. Il porte un jump-suit largement ouvert sur la poitrine. Le gang qui l’accompagne est celui du studio, seules les deux choristes sont des blackettes. Puis on voit Charles et Sharon signer des autographes à la fin du concert. Ah la magie du truc ! Charles devient rapidement un héros pour lequel on éprouve une réelle affection. On espère de tout cœur qu’il va s’en sortir. C’est exactement l’histoire que raconte le film de Poull Brien, celle d’une réussite. Mais pas la réussite à la mormoille des temps modernes : la réussite d’un artiste.

Dans une scène déchirante, Charles avoue aimer tout le monde - I love everybody. I don’t want noboby no harm - et il se met à chialer. On se retrouve tout à coup au cœur de la Soul. Dans ce qu’elle peut susciter de plus bouleversant, de plus humain. La même chose dite par un blanc, même un blanc pauvre, n’aurait pas la même portée. D’un point de vue occidental, le nègre est depuis l’origine des temps victime de son apparence. Il est par essence condamné d’avance et donc innocent.

Charles réagit comme un gosse quand Tommy l’appelle pour lui annoncer qu’il est dans le Post. Il va acheter le journal. Un vrai gosse. Il embrasse les gens dans la rue. Les blackos du quartier n’en reviennent pas - He’s in the paper ! - Il se marre aussi comme une baleine quand il se voit dans le clip de «The World (Is Going Up In Flames)». La scène le montre assis devant un petit ordi portable. Il explose de rire enfantin. Lord have mercy ! Le côté modeste du plan en fait la force prodigieuse. C’est construit comme une toile de Millet. Poull Brien ne cherche pas forcément à émouvoir. Il se contente juste de filmer la réalité. Si on va jusqu’au bout du film, on voit surgir dans le générique quelques ultimes plans rapides : ce sont les premiers signes de confort matériel, Charles fait la fête avec des amis blacks et porte des fringues un peu plus chic. Comme s’il avait enfin du blé. Du vrai blé.

Son premier album bat pas mal de records d’intensité. No Time For Dreaming compte parmi les très grands disques de Soul. C’est aussi le disque d’un vétéran de la Soul accompagné par des blanc-becs attentionnés. On note l’ultra-présence de la basse dans «The World (Is Going Up In Flames)». Avec «Golden Rule», ce démon de Charles rappelle que le monde est mal foutu, comme si nous ne le savions pas - They still keep building more prisons/ To take your kids away - Comme il n’en peut plus de toute cette misère, il explose de chagrin. En vrai. Charles est aussi le roi des ambiances, il faut l’entendre ramoner le ciel de «I Believe In Your Love». Il explose tous les carcans à coups de scream symphonique. Il instaure des climats qui n’existaient pas. Il faut le voir hanter cette Soul atmosphérique, il se déplace avec l’aisance silencieuse d’un fantôme shakespearien. Tiens, encore de la tension extravagante sur «Lovin’ You Baby», il bouffe sa Soul toute crue, crouch crouch, et avec «How Long», il l’aplatit d’un seul coup, puis il s’en va screamer dans la chaleur de la nuit. «In You (I Found A Love)» sonne comme un classique, mais le problème c’est que tous les cuts de cet album sonnent comme des classiques. On frôle l’overdose à chaque instant. Charles nous gâte trop. Il fait partie des Soul brothers qu’il faut mériter. Puis il s’épuise à essayer de comprendre pourquoi c’est tellement difficile de réussir in America, Il termine cet album faramineux avec «Heartaches And Pain», un veux coup de Soul déliquescente. Charles Bradley aura essayé de rétablir la Soul sur son trône. Mais la Soul n’intéresse plus autant de monde qu’avant. Nous avons changé d’époque et ça fout un peu la trouille.

En débarquant chez Daptone, il accède à la mondialisation, comme Sharon Jones avant lui. Paru en 2013, Victim Of Love sonne comme une bombe de Soul atomique. Deux coups de génie, là-dessus : «Confusion» et «Hurricane». Le premier sonne comme un shoot de r’n’b monté sur une basse fuzz et soudain, alors qu’on ne s’y attend pas, un killer solo prend le contrôle de la situation. Avec un coup pareil, on change de planète. Voilà ce que les spécialistes appellent du spaced-out r’n’b. On n’avait encore jamais entendu ça, même chez Marshall Chess, au temps de Concept. C’est un peu comme si des robots dansaient le screamy jive sur la planète Uranus des Pink Fairies. Quant à «Hurricane», c’est encore autre chose. Charles y pulse un heavy groove noyé de chœurs féminins, il fait du people à la Wonder sur un heavy groove de basse. Et tout le reste de l’album navigue à ce niveau : avec «Through The Storm» il la remercie de l’avoir aidé à traverser la tempête. Charles rebondit sur le beat du Soul System avec une effarante présence. Il enflamme littéralement sa Soul et c’est encore pire avec «Cryin In The Chapel», ce vieux cut de Standard oil : il l’explose dès l’intro. Il avalé tellement de couleuvres qu’il peut avaler le monde, oh mind, et il repart de plus belle à la chapel baby, on est au pinacle du froti-frotah, dans ce qu’il y a de plus électriquement gluant. «Strickly Reserved For You» sonne comme un shoot de hard Soul. Il chante à la pure fêlure, comme James Brown, et même au fêlé feutré chaud devant. Charles sait poser une voix. «You Put The Flame On It» sonne comme l’un de ces vieux hits Motown, sans doute à cause des chœurs. Il reste dans la vieille Soul ardente avec «Let Love Stand A Chance». Charles danse avec le loup, il fricote avec les âmes, sa Soul gluante résonne dans l’écho du temps, on éprouvait jadis exactement la même chose en écoutant James Brown feuler «It’s A Man’s Man’s World». Charles vise la même grandeur apoplectique, il couvre la planète Soul d’une ombre ondoyante, la sienne. On voit bien qu’avec «Victim of Love», il enfonce lentement ses clous, il screame dans le groove, il laboure son champ comme jadis les esclaves labouraient le champ du patron blanc. Mais il s’arrache de sa condition en screamant comme un diable hirsute. Pour un peu, il laverait presque les péchés des blancs en sauvant sa dignité.

Il revient en 2016 avec énorme album : Changes. Un album sourd, profond, chargé de mystère, luxuriant, à l’image de la forêt africaine dont il provient. C’est là qu’on trouve le fameux «God Bless America» qui prête tellement à confusion. En écoutant ça, la première réaction est de traiter Charles de fayot. Comment peut-il rendre hommage à un pays aussi raciste que le sien ? Heureusement, il passe au heavy funk avec «Good To Be Back Home». Il sonne comme Lee Fields, so good, et travaille son funk sous le boisseau. Il poisse le groove, il motive sa force motrice, il ravale la façade du funk, il nivelle la groove par le bas du sillon. Son dicton pourrait être : heavy as hell. S’ensuit un «Nobody But You» aussi fruité qu’un vieux hit Stax. Charles gueule dans son micro, au milieu des coups de trompettes, il hurle comme un goret qui voit approcher le boucher, il semble même battre tous les records de scream. Pour ça, il devrait figurer dans le Guinness Book. Il nous sert une nouvelle séquence de heavy Soul avec «Ain’t Gonna Give It Up». Grâce à lui, la Soul n’a jamais été aussi vivace. Il s’arrache la glotte dans «Changes». Il chante au râpé de devenir intensif et offre le spectacle de somptueuses descentes chromatiques - I’m going through changes - Il continue de raconter son histoire et il screame à n’en plus finir. Encore un hit de funky r’n’b avec «Ain’t It A Sin» hanté par des chœurs épars et complètement dépareillés. En pur génie de la Soul, Charles arrondit les angles du riff cabossé, ça claque des mains ici et là et bien sûr, c’est beaucoup trop beau pour être vrai, alors on y revient aussitôt, histoire de vérifier qu’il ne s’agissait pas d’un rêve. Il charge bien sa barque avec «Crazy For Your Love». Charles est un mec qui fonce, il ne réfléchit pas, il reste dans l’action du groove, il entre dans la légende comme jadis les généraux entraient dans Rome, au retour des campagnes victorieuses aux frontières de l’Empire. Il rend hommage à Otis avec un «You Think I Don’t Know» monté sur un pur beat popotin et derrière, les filles font des chœurs indécents de splendeur morose. Charles chante tout à la pire arrache et n’en finit plus de restituer à cette vieille Soul sa grandeur originelle.

Signé : Cazengler, Bradley écrémé

Charles Bradley. Disparu le 23 septembre 2017

Charles Bradley. No Time For Dreaming. Dunham 2011

Charles Bradley. Victim Of Love. Daptone Records 2013

Charles Bradley. Changes. Daptone Records 2016

Poull Brien. Charles Bradley. Soul Of America. DVD 2012

 

*

J'ai terrassé le Dragon. Tel Siegfried dans l'Opéra de Wagner. J'ai donc enfin la possibilité d'entendre le chant des oiseaux. La vérité historique m'oblige à préciser que le monstre qui s'est lâchement attaqué à mon héroïque personne était d'un gabarit un tout peu petit moins volumineux que le mastodonte de Siegfried, un de ces animaux sauvages communément appelé microbe. Mais tenace et virulent, m'a maintenu tout fébrile à la maison et m'a privé de Crazy Cavan à Thoury. Mais j'ai fini par en venir à bout après maintes ingurgitations de médecinales lampées de moonshine. Bref ce soir la Teuf-Teuf avale la chaussée d'un pneu glorieux en direction de

TROYES / 25 – 11 – 2017

3 B

SLAP DOOWAP

 

Froid pré-polaire sur la bonne ville de Troyes. Le réconfort du rocker qui s'engouffre dans le 3 B ne tarde guère. Slap DooWap entame sa balance. Sont tout beaux dans leur uniforme bicolore qui les fait ressembler à des fourmis rouges. Celles qui piquent. Se calent sur Folsom Prison, un régal, Fab est aux manettes et nous l'on est toute oreilles, pêchu et prometteur. En attendant que le bar se remplisse vous me permettrez un rapide

MEMENTO ORTHOGRAPHIQUE

Ecrivez bien Slap DooWap. Tout en gardant à l'esprit que le combo est beaucoup plus Slap que DooWap, d'où l'erreur funeste à éviter, ce n'est pas DouxVap, mais DooWap. Pas avec deux eaux. Dormantes. Mais avec un double zéro, chevrotine meurtrière. Le V initial, se double, ne se vaporise pas en crachin ténu, ne se vapote pas en fumée légère, W comme Warrior, Wargame, ça se wattise autour de vingt-cinq mille ampères vampiriques, impossible de rester assis sur cette chaise. Electrique. Voyez, un simple rappel orthographique, et déjà vous entrevoyez le style de musique.

SLAP DOOWAP

Avant de les entendre vous les voyez. Sont jeunes. Tous les quatre. Le sang neuf est un élément assez rare dans le rockabilly hexagonal. Est nécessaire pour la survie et la continuation de cette musique. Rien de pire que la codification muséale. L'est bon de maltraiter les vieux meubles. Sans ménagement. Les décaper et si nécessaire en reléguer quelques uns au placard Maintenant écoutez nos quatre fous en liberté. Vous remplissent les écoutilles et les mirettes. L'annoncent sans ambages dès la longue introduction instrumentale I'm Gonna Win That Race, le genre de conduite qui déplaît fortement à la municipalité parisienne, les voies sur berges à fond sans limite de vitesse, sont pourtant encore très smarts dans leurs tuniques noires à liserets rouges. Chics but choc ! D'abord un son, inhabituel. Nous provient d'un instrument généralement plus discret. La rythmique de Boo Lee. Une takamine d'or. Qui ne dort pas. Devrait accompagner, soutenir les autres, et la voici devant, mélodique et enlevée, en proie aux expertes mains baladeuses de Boo Lee le bolide, sous sa casquette plate, sourire facétieux et joie de vivre. Voudrait bien faire la course en tête, pas de chance, MyMy le Kid est sur ses talons, lui mord les jarrets. Contrebasse noire comme la nuit, et lui - aussi sous sa casquette plate – le soleil éblouissant qui bouscule les ténèbres. L'a la basse jappante, insistante et redondante, le chien courant qui n'arrête pas de vous cingler de sa voix rien que pour le plaisir de vous empêcher de goûter à la sérénité de vivre. Lucky Wild au micro, sa Gretsch canarde à l'orange, crâneuse et cochranesque, ricoche et décoche des sticks de riffs dont les flèches inquisitrices vous traversent la moelle et les tripes, l'a la gouaille du medecine show man qui vous vend son eau lustrale au venin de crotale au prix exact du montant de votre paye, nous traite de troyens de pacotille, nous titille et nous destroye le timbre vocal car l'on s'égosille pour lui prouver le contraire. La colonne de mercure se hisse en trois minutes tout en haut du thermomètre. Et c'est là qu'ils sortent le grand jeu. Theâtral. Représentation rockabilly. Les deux casquettes sont incapables de rester en place plus d'une demi-seconde avec leur instrument stabilisé. Boo Lee se livre à des exercices de barre-fixe sur le manche de son acoustique, l'astique salement, la penche vers la terre et vous avez l'impression qu'il dévale une pente enneigée sur sa luge, s'arrête brutalement au bord du précipice et se précipite dans l'autre sens, remonte la côte comme un film rembobiné à l'envers, n'oublie pas son plus beau sourire pour le public et un autre en catimini à MyMy Kid. Parlons-en de Mimique Kid. Joue davantage avec son visage qu'avec ses doigts. Ce n'est pas qu'il s'emmêle les dents et le nez dans le cordier, c'est que ses expressions traduisent les subtilités du scénario. Un comix mouvementé, toutes les attitudes rockab défilent sur sa figure, un dessin animé démantibulé, l'œil fringuant qui vous attire les filles aussi sûrement que du papier tue-mouches, le ricanement exacerbé du type qui exhibe ses gencives pour une marque de dentifrice, et surtout cet air ahuri du faraud qui n'en croit pas ses yeux, vous ouvre la bouche en rond à vous avaler sans sourciller, et sans triche, un œuf d'autruche, le blanc, le jaune et la coquille, d'un seul coup. C'est parti dans le délire, les phalanges cliquètent dans les cordes, solo en montagnes russes, un coup j'étire la note, un coup je l'étrille pile comme l'on épile un scottish. Par pitié arrêtez cet élastique ! Alors Lucky Wild dépose sa Gretsch, passe derrière notre épileptique et tourne dans son dos la manivelle imaginaire qui commande les synapses du cerveau. Un peu rouillé, pousse et ahane comme un équipage de goélette au guindeau, mais ses efforts sont récompensés, quelques soubresauts, quelques ratés, quelques emballements pléthoriques et voici notre Grand-Ma qui bourdonne enfin selon les codifications les plus strictes du rockabilly à l'usage des gentlemen bien élevés.

Lecteurs kr'tnteurs, je ne vous fais plus attendre, je sais que dès que traîne une Gretsh dans un coin, vous lui adressez des persillades d'œillades impatientes, des yeux de Chimène et de merlans frits, vous mourrez d'envie de l'entendre sonner, je ne veux point avoir votre mort sur la conscience, je m'exécute. Donc dans les mains d'un sauvage chanceux. Slap DooWap nous régale ce soir d'un répertoire de classiques. Possèdent des morceaux à eux, n'attirent point trop l'attention sur leurs bébés, préfèrent qu'ils passent comme une lettre à la poste entre deux vaches sacrées. Sont en train d'enregistrer leur premier album, montrent un peu mais ne dévoilent pas tout. A la manière des jupes fendues qui fulgurent le galbe idéen d'une jambe de fille mutine, le temps d'un éclair qui vous laisse chocolat. Pas le plus facile pour une lead guitar. L'autoroute est ouverte et hyper-fréquentée, depuis soixante dix piges des guitaros qui font leur sprint sur C'mon Everybody vous en avez trois centaines dans votre mémoire surencombrée. Faut avoir son jeu à soi. Ce n'est pas la quinte flush qui vous ouvre la victoire de la renommée au poker, mais la manière avec laquelle vous l'étalez, ce geste de la main qui n'appartient qu'à vous, qui vous surclasse, vous met en exergue, vous retranche de la foule des tâcherons du vil négoce. Certains veulent la monnaie, et de très rares aristocrates misent sur l'élégance de l'originalité. Je qualifierai le jeu de Lucky Wild comme étant d'impromptue précision. Vous azimute la pauvre Miss Molly en deux minutes réglementaires. Vous marque le good goal Golly entre les poteaux, depuis le milieu du terrain. Net, sans bavure. Circulez, c'est déjà fini, plus rien à voir. Coup franc au fond du filet. Mais sur le Cochran, vous êtes bercés par le balancement métronomique du train, et pffutt ! tout s'arrête, un halètement de bigsby qui vous dégonfle les rails, les autres ne sont plus là, liste des abonnés absents, à peine si Mi Fly consent à signaler sa présence d'un tapotement évasif, vous êtes descendus sur la voix. Zioup ! la loco-lead repart encore plus rapidement qu'elle ne s'était arrêtée. El les autres se ruent à sa suite sans se faire attendre.

Lucky Wild est chanceux - pères de famille soyez attentifs, ne s'était pas jeté sur le micro qu'un vol de jeunes filles s'est illico porté sur le devant de la scène – l'a la niaque, une voix solide, en béton précontraint dont la solidité est accrue par l'élasticité, l'a dû naître sans poumons car je ne l'ai jamais vu marquer signe d'essoufflement. Sait jouer de sa voix, dessine avec ses cordes vocales, fabuleux sur les Stray Cats, si vous l'entendiez vous ne pourriez jamais plus admirer un chat batifoler sur les toits. Nous en a donné une version vertigineuse. Matou qui miaule sur la tuile cassée et qui se rattrape par un poil de sa moustache à la gouttière. Boo Lee lui a davantage que six cordes sur sa guitare, chante aussi, pas assez, et souffle dans son harmonica, le porte à la manière de Bob Dylan, puis se déleste de son support, vous l'enfourne dans sa bouche en vieux bluesman affamé et bonjour le boogie shuffle d'enfer dans les grandes plaines des territoires cheyennes. MyMy Kid en profite pour faire de la patinette autour de la Mère-Grand, s'adonne à des étirements de jambes en tous sens, démonstration de savate d'apaches parisiens, essaie de grimper dessus, mais l'est trop grand, sa tête cogne au plafond, alors redescend et se couche sur le flanc de la Old Lady et gigote de ses quatre pattes en l'air, tel un scarabée renversé sur le dos qui essaie de retrouver son équilibre...

Slap DooWasp adore les chevauchées, vous rifflent le riff au poney express. Il y a longtemps qu'ils ont délaissé leurs uniformes. Sauf Mi Fly obstrué par les silhouettes dégingandées de ses camarades, a droit tout de même à ses deux quarts d'heure de gloire. Deux soli de batterie grandeur nature, lui tout seul au turbin et à la turbine, les autres fair-play sur le côté pour qu'il soit visible. Ne s'en tamponne pas le coquillard, ne vous expédie pas le pensum en pension, ne découpe pas les temps, les roule en continu comme le tonnerre de Zeus, orage sec et foudre en poudre, l'a les baguettes qui volent et qui se posent avec la lourdeur d'un bombardier qui apponte un porte-avion, repart d'un vol lourd de coléoptère ivre de pollen, et vous distribue les bombes comme le Père Noël ses cadeaux. Vous ouvrez le paquet, ça explose, c'est si bon que vous guettez le suivant. Sinon l'a la tape mercenaire, les bras près du corps les avants-bras au-dessus des toms, bosse et brosse à attraper une thrombose pour les trois autres, les paillettes de la gloire ruissellent sur eux et lui saigne et marne dans l'ombre, ravi des broussailles de nos rugissements enthousiastes qui l'accompagnent.

Trois sets, un tout long, un tout court, et un dernier demandé par Dame Béatrice, parce qu'au 3 B la clientèle raffole du rock'n'roll. Des enfants gâtés, vous leur donnez la main, vous bouffent le reste du corps. Si ça n'avait tenu qu'à nous, on n'aurait même pas retrouvé un os. Slap DooWap nous a comblés. On a même failli voir Dieu par deux fois, à la fin des deux derniers sets, nous retiendrons la première, une version acoustique de I Saw the Light tous en chœur, face au comptoir, les anges sont descendus et se sont mis à clignoter sur les étagères derrière Béatrice, mais non ce n'étaient que les bouteilles de Jack et de Ballantines... Là-haut Hank William a dû apprécier l'ambiance...

Damie Chad.

 

GARAGELAND

NICOLAS UNGEMUTH

( HOËBEKE / Avril 2009 )

 

J'ai tiqué deux fois. Sur Ungemuth d'abord. Me méfie de lui. Le genre de mec à faire plutôt Uzi-Uzi que Guili-Guili avec les artistes. Cartonne dur. L'est un peu du genre je tire d'abord, je vérifie après si c'est bien le bon que j'ai eu. Entendez, s'il était aussi mauvais que je le pensais. Remarquez que par les temps qui courent, au tir instinctif vous avez davantage de chance de tirer sur un tocard que sur un mec respectable. D'ailleurs quand il les attend au tournant, ça fait mal. Par exemple quand il jette au rencart la ménagerie de Fauve ( en papier mâché ) on ne peut qu'applaudir. Pas moi qui irai pleurer sur les toits quand il exécute à bout portant Daft Punk. Tous les dégoûts sont dans la nature. S'en est fait une spécialité, dans Rock & Folk il s'amuse à dégommer les vieilles statues. Le boy aime bien se faire haïr. Même pas du masochisme. De la jouissance. Se délecte de porter le trouble dans les certitudes. Un jeu marrant, mais attention entre semer le doute et jouer le rôle de Socrate à la petite semaine l'existe une marge, un abîme. J'ai pas apprécié quand il a décrété que les écrits de Jim Morrison c'est du caca de vache en poudre. Aussi quand je vois son nom, je me méfie. Un peu étonné de ce livre consacré au Garage, mais enfin nul n'est parfait.

Ensuite sur le nom du gars qui a écrit la préface. Andrew Loog Oldham. Un pedigree à vous faire pâlir d'envie. L'on voyait son nom sur les quarante-cinq tours des Stones qui l'ont viré en 67. Les mauvais esprits disent que tout ce que les Stones ont produit de bon, c'était sous sa houlette. Ils exagèrent. Mais l'était là dans le bon timing. Vous pensez bien que je n'ai rien contre Andrew, sinon une dette de reconnaissance. Sais aussi que sur son label Immediate Record de 65 à 70 il a donné le micro à quelques lingots d'or : Rod Stewart, Chris Farlowe, Humble Pie et bien d'autres... Clapton, Page et Beck ont assuré de multiples sessions dans ses séances studio alors que je n'ai jamais pu les avoir dans mon salon. Ne serait-ce que pour prendre le thé. Je ne suis pas jaloux mais enfin si je reconnais à Mister Loog Oldham un rôle non négligeable dans le rock anglais post-Beatles, sa contribution au rock Garage me semble moins évidente.

Encore faudrait-il s'entendre sur la définition de rock garage. Pour moi j'entrevois ces adolescents boutonneux – c'est comme pour les soldats de Napoléon, ne doit pas manquer un bouton, même de guêtre, à leur costume - de la petite middle-class blanche qui dans le garage de la maison s'adonnaient aux turbulentes joies du rock'n'roll. Palliaient leurs insuffisances musicales en tapant dur, en grattant vite, en gueulant dans le micro. Beaucoup de déchets, et peu d'élus. Evidemment la scène se passe dans la grande Amérique. Au début des années soixante. On les a redécouverts en même temps que se déployait le punk. On a extendu le domaine de la lutte garage depuis : en gros tout ce qui fait du bruit, tout ce qui est inconnu, tout ce qui est culte, est garage. Remarquez comme il n'est pas facile de rester inconnu quand on est devenu culte – et il va de soi que ces trois conditions valent pour toutes les latitudes terrestres. En théorie il se pourrait qu'il existât du garage Péruvien ou Ivoirien. Même si je n'en ai jamais entendu. Petit exercice pratique : d'après vous, a-ton le droit d'accoler l'étiquette garage au groupe français Extraballe ? Ne répondez pas, vous avez déjà fait tilt !

Bref quand j'ai ouvert le bouquin m'attendais à une révélation à chaque page. De fait ce sera une toutes les deux pages, car celle de droite est dévolue à la reproduction couleur d'une ( voire de la ) pochette qui correspond au combo présenté sur à gauche. Si pour vous c'est l'inverse, c'est que vous tenez le livre à l'envers. J'ai tout lu patiemment, de A à Y – les groupes sont classés par ordre alphabétique. Si je ne sais suis pas allé jusqu'à la fin de l'alphabet c'est de la faute à Nicolas Ungemuth, n'a pas voulu pour des raisons que j'ignore chroniquer les Zombies.

Je vous devine, cruels lecteurs, écroulés de rire, ce pauvre Damie Chad il classe les Zombies parmi le Garage, l'est en burn out, faut l'interner tout de suite ! Si vous voulez, mais alors Procol Harum, The Remains, Barry Ryan, Sandie Shaw, Small Faces, The Smokes, The Sorrows, Spencer Davis Group, Dusty Springfield, Cat Stevens, Rod Stewart, Them, Tomorrow, The Troggs, Geno Washington, Yarbirds, vous les rangez sur quelle étagère ? Dans le rock anglais, in the sixties, our poor very tired Damie ! Z'oui, moi z'auzi ! Le malheur c'est que l'Ungemuth, il les expédie dans le land du garage, et je vous épargne la liste entière. Sûr qu'il y a quelques américains qui méritent leur logo garage comme The Kingsmen, The Trashmen, ou Sam the Sham & Pharaohs, mais c'est rempli d'anglais qui ont fait avec plus ou moins de succès les beaux jours du Swinging London! Tenez par exemple Cilla Black, les Kings, quant aux Amerloques du genre The Bee Gees... Ô Maître Chad vénéré, excuse nos rires stupides, passe-nous ce livre étrange afin que nos cervelles soient encore édifiées par la justesse et la finesse de tes analyses !

Dix minutes plus tard. Ô Immense Maître Chad Vénéré, du haut de ta puissance intellectuelle et de ta sérénité magnanime daigneras-tu porter ton regard aigu sur les lettres rouges de la couverture : Mod, Freakbeat, R&B et Pop 1964 – 1968 : la naissance du cool. Certes disciples attentifs et pointilleux, je n'avais point vu, ceci explique toute une partie de mes reproches. Les englishes qui écoutent du Rhythm and Blues, qui se transforment en Mod, et leur musique Freakbeat qui flirte avec ce qui deviendra le Psyché, cela se tient, mais alors que viennent faire les Ricains et pourquoi appeler ce book garageland car en quoi le garage est-il cool ? Méfiez-vous disciples bien-aimés, l'on n'attrape pas le rock sauvage avec des cigarettes mentholées. Ce Nicolas Ungemuth n'est pas franc du collier ! D'autant plus dangereux qu'il écrit bien et que l'on ne s'ennuie pas en lisant ces petites chros. Sont même parfois instructives. Mais n'en disons pas davantage de bien. Cela pourrait lui monter à la tête.

Damie Chad.

LA MEMOIRE DU PEUPLE NOIR

CLAUDE FLEOUTER

( Rock & Folk / Albin Michel / 1979 )

 

En chroniquant le bouquin de Claude Fléouter sur Johnny, voici quinze jours, m'étais aperçu qu'il avait publié un book sur la musique noire dans la légendaire collection de Rock'n'Folk, dirigée par Jacques Vassal. Vassal tenait la rubrique Folk dans le canard qui cancanait de si agréable façon en ces heureux temps. Je n'étais pas un aficionado forcené de sa folkleuse rubrique – Vassal n'était pas le suzerain de mes préférences - mais Stones, Led Zeppelin, Doors et autres sucettes pimentées figuraient aux catalogues de ce partenariat éditorial d'un genre nouveau pour l'époque. Un livre que je n'ai pas ! me désolais-je - chaque artefact rock que vous ne possédez pas est un coup de couteau planté au plein milieu du cœur du rocker. Et voici que descendu au garage – c'est là où commence et finit le rock – que parcourant d'un regard distrait, néanmoins inquisiteur, mes surplus bouquiniers, le nom de Cléouter s'en vînt à scintiller sur ma rétine surprise.

Et bingo ! La Mémoire du Peuple Noir ! Il n'est de pire être humain que le riche qui se croit pauvre !

Un max de pages de garde remplies de blanc, des marges extra-larges, des photographies grand format, une police pour non-voyants, une épaisseur maigrichonne, à première vue cela sent le vite-fait, mal-fait. Après lecture, je reviens sur mon jugement, intéressant et instructif, en réalité le livre est une transcription de quatre documentaires télévisés réalisés par Claude Fléouter, ce qui explique que brutalement le personnage que l'on suivait disparaisse sans préavis, l'on a simplement changé de séquence filmique, la scène terminée l'on passe à une autre sans avertissement ce qui n'est pas sans produire une sensation des plus décousues... Un prologue qui nous plonge dans le triangle maudit, pas celui des Bermudes, l'autre plus commercial qui nous mène de Nantes aux Etats-Unis en passant prendre cargaison de bois d'ébène en Afrique... Les quatre parties suivantes nous baladent aux Etats-Unis, en Jamaïque, au Nigeria, au Brésil, il est bon de ne pas oublier que le livre s'achève à la fin des années soixante-dix.

USA / BLUES

Tout de suite en pays de connaissance avec deux légendes du Delta, John Lee Hooker et Big Joe Williams. L'on s'attarde sur le gros Joe. Vit encore dans une caravane. John Lee a réussi, beau costumes et jolies femmes, Big Joe est un vieillard qui pète la forme, n'éprouve aucun remords, aucun regret de cette existence difficile, y puise énergie farouche et en tire folle fierté. Le blues lui colle toujours à la peau. En joue tous les soirs. Sur sa guitare à neuf cordes. L' a rajouté la neuvième parce que certains guitaristes parvenaient à se dépatouiller avec huit. C'est cela le blues, on se respecte, mais dans la surenchère. Parfois un pistolet au fond de la poche s'avère plus utile qu'un dollar... A appris le métier avec une troupe de Medecine Show, a couru le Delta avec Sony Boy Williamson, le I , celui qui fut assassiné en 1948 avec un pic à glace par une froide nuit d'hiver de Chicago, l'a tâté du pénitencier aux côtés de Leadbelly, l'a été l'ami de Furry Lewis, une jambe en moins et une guitare offerte par W. C. Handy, l'a connu la dèche à Saint Louis avec Leroy Carr, l'a connu tout le monde. Jusqu'à cette rencontre insolite à Chicago avec un autre monde : Bob Dylan. Etait-ce en 1957 ou en 1963, Dylan avait-il six ans ( ? ) ou seize ans ? Les historiens se déchirent et proposent d'autres dates, toujours est-il qu'il reste des enregistrements, et une mention de Dylan dans ses Chroniques qui en certifie l'authenticité.

Rapide évocation de Johnnie Lewis qui dans sa jeunesse a bouffé de la vache enragée en compagnie de Big Joe Williams, Furry Lewis et Brownie McGhee, est passé de Memphis à Chicago ce qui ne l'a guère enrichi puisque à plus de soixante-dix balais il monte encore les échelles, survit grâce à sa petite entreprise de peinture... une vie exemplaire qui part du Delta et migre vers Chicago, le peuple noir s'extirpe de la boue noire de l'esclavage et trouve un travail mieux rémunéré plus au nord...

Changement de lieu, nous voici à New York, la population noire s'entasse dans les chambres de Harlem, loyers exorbitants – les pièces sont louées par tranches de huit heures – mais entre 1910 et 1941 ( entrée en guerre des USA ) le quartier vit son âge d'or et d'art, nous avons déjà évoqué à plusieurs reprises dans KR'TNT ! le mouvement de la Renaissance Littéraire, mais c'est aussi en ces années heureuses ( tout est relatif ) que la musique s'infléchit, le blues est peu à peu supplanté par le jazz. Du Cotton Club à Broadway, l'on s'amuse, l'on chante, l'on danse, Count Basie emmené par John Hammond marque les esprits...

Mais Harlem devient la victime de son propre succès. De plus en plus de monde afflue dès la fin de la guerre dans les villes à la recherche d'une meilleure situation. L'on veut du travail, on récolte le chômage, l'insatisfaction gagne la jeunesse. Dans les élites noires des voix dissonantes se font entendre : Elijah Muhammad qui plaide pour une séparation, Malcom X de plus en plus radical, Luther King qui finira assassiné et Jesse Jakson qui pense que les noirs doivent s'inscrire dans l'économie américaine. Notre révérend est le représentant par excellence de cette bourgeoisie noire qui prend son essor et qui en oublie ses frères dans la misère. Les noirs ne sont pas exempts des contradictions de classe... Les colères s'exacerbent, le trafic de drogue engendre la structuration des gangs, l'avenir s'annonce plus noir que jamais. Chicago reste la dernière forteresse du blues, mais le public s'en détourne... Seuls les blancs s'en viennent visiter ces ruines mémorables.

JAMAÏQUE

La séquence s'ouvre sur Joseph Hill et Culture, un des groupes essentiels du reggae mais très vite la connaissance des faits historiques nécessaires à la compréhension de la germination de cette musique prend le dessus. Les noirs furent emmenés par les Espagnols qui possédaient l'île. Quand les anglais les en chassent ils libèrent les esclaves qui se réfugient dans le centre montagneux. Ils se regroupent, prennent le nom de Maroons, se groupent en villages libres et mènent une guérilla longtemps victorieuse à l'encontre des Anglais. Il faudra plus d'un siècle aux sujets de sa très gracieuse Majesté pour en venir à bout... Treize mille blancs imposeront leur suprématie malgré de nombreuses révoltes à 200 000 esclaves. L'esclavage sera aboli en 1834 mais pas la misère. La religion servira de palliatif. Ajoutez-y l'usage immodéré de la ganjha et vous comprendrez pourquoi Marx la surnommait l'opium du peuple. Les missionnaires ne réussirent qu'à moitié à imposer le dieu très chrétien. Les souvenirs africains furent considérés comme des éléments intellectuels de révolte politico-messianique. Marcus Garvey fut le théoricien de ce retour phantasmatique à l'Ethiopie Biblique associé à la figure historique du Roi Sélassié...

Claude Fléouter nous entraîne en des cérémonies des plus pittoresques : Dinkimini, Kumina, Pocomania : danses, transes, évocation du Dieu-Araignée, traditions religieuses issues de plusieurs ethnies africaines... Lorsque la réalité est décevante, vivez le rêve...

NIGERIA

Plongée en plein coeur de Lagos, tumultueuse capitale du Nigeria où l'on ne prend même pas le temps de dégager des chaussées les cadavres des piétons écrasés par les voitures. Sont réduits en charpie par le passage incessant des pneus en quatre jours. Le pays est riche, bizarrement l'argent ne suit pas les saintes lois libérales du ruissellement, par on ne sait quel inexplicable phénomène les milliards générés par les gisements pétrolifères se retrouvent dans les coffres des multinationales et des banques suisses. Cette étrange dérivation financière continue aujourd'hui encore, quarante ans après la parution du livre.

Cette partie est surtout consacrée à Fela Anikulapo Kuti. Enfin à la première partie de sa vie. Ce qui est dommage car la seconde s'inscrit dans la suite logique de la première. Fils de la bourgeoisie locale parti faire ses études de médecine à Londres, il tourne mal. Se met au jazz. Ce qui vous en conviendrez n'augure rien de bon pour son avenir. Peu de succès, mais lors d'un voyage aux USA il rencontre une militante des Black Panthers qui l'initie à la réflexion politique. Comprend si bien la leçon que rentré au Nigéria il se fait très vite détester par les militaires au pouvoir. Passons sur la zike, une espèce de tourbillonnement tapageur et cuivré very funky, par contre les paroles qui dénoncent les fauteurs de misère ne passent pas. La police l'arrête, le tabasse, le torture. Ce genre de facéties ne le rebutent point. Il persévère dans son erreur. L'a fondé autour de sa maison, la Kalakutta Republik, un endroit charmant, l'on y chante; l'on y fume, l'on s'y câline à en-veux-tu-en-voilà – lui-même s'est marié avec les vingt-sept femmes de sa suite orchestrale... Vous conviendrez aisément que les mesures de salubrité publique que le gouvernement dut prendre s'avéraient nécessaires. La maison fut détruite, l'on en profita par jeter par la fenêtre sa mère âgée de près de quatre-vingt ans. N'était-elle pas responsable au premier chef de la naissance de ce trublion ? Exilé, emprisonné, maltraité, il finira par mourir d'épuisement en 1997. Les militaires sont des gens sympathiques et peu rancuniers, décrètent quatre jours de deuil national... Depuis sa mort, les choses ne se sont pas améliorées au Nigeria... même la France s'intéresse à ce pays de cocagne. Pardon aux ressources nigériennes...

BRESIL

Ne reste plus que dix pages pour le Brésil. Colonisé par le Portugal. Trop maigre pour un tel mastodonte géographique. Les esclaves s'échappent et forment des mocambos, de simples villages libres. Seront réduits, mais si la religion chrétienne parvient à museler cet esprit de révolte, elle subit en contre-partie une forte teinture syncrétique. Des danses, des chants, des rituels peu catholiques fleurissent : Maracutu, Embolada, Copoeira, Candomblé... résurgences africaines qui mêlent animisme et sport de combat... C'est à la fin du dix-neuvième siècle qu'apparaît la samba... elle suit la migration des pauvres de Bahia vers l'Eldorado de Rio de Janeiro... Une institution populaire érigée en culture nationale. La soupape de sécurité des favelas...

Au total quand on y réfléchit : peu de musique, beaucoup de misère. Noire.

Damie Chad.

 

MERCURE INSOLENT

F.J. OSSANG

( Coll : La Fabrique du Sens

/ ARMAND COLIN / 2013 )

 

Nous sommes loin de Generation Néant ( voir KR'TNT ! 340 du 21 / 09 2017 ), ce n'est pas le chanteur de MKB ( Fraction Provisoire ) qui prend la plume ici mais le cinéaste de L'Affaire des Divisions Morituri, pas le poëte non plus, mais l'artiste méditant. Un fait divers ( sur les continents cernés ) est à l'origine de cette introspection extropective, une brève informative que la plupart des rockers n'auront pas relevée. D'ici une dizaine d'années les pistes des enregistrements dolby-stéréo se seront d'elles-mêmes effacées. Des milliers de films renvoyés à l'âge glorieux du Muet par l'usure des choses. De quoi inquiéter les cinéastes. Le ministère de la Culture n'a qu'un conseil à proposer pour pallier le désastre annoncé : avant que la catastrophe ne soit effective transposer un exemplaire de chaque œuvre en argentique. De quoi faire rigoler F. J. Ossang, guerrier émérite de l'argentique et du blanc et noir. La nouvelle ne le porte pas à rire. Malgré le titre qui fait appel à l'insolence de Mercure, c'est plutôt la lourde tristesse de Saturne qui accable Ossang. Se lance dans une sombre méditation sur l'état du monde. Qui va mal. Mais cela vous ne l'ignorez pas. Ce n'est pas le plus grave. Que notre société se casse la figure serait plutôt une bonne nouvelle. Mais le drame réside que ce dérèglement absolu influe sur notre mental. Le monde court à sa perte et la vie de l'artiste dans cette période agonique n'a plus de sens. Ossang reprend la vieille question d'Hölderlin, pourquoi des poëtes en ces temps de détresse, en l'adaptant à sa spécificité de cinéaste. Position critique : la vidéo, le numérique, les réseaux sociaux fournissent chaque jour pléthore d'images insignifiantes, la quantité recouvre les derniers chemins cinématographiques qui tentent de faire sens. Tout s'égalise. L'uniformité individuelle submerge toute tentative de mise en images réflexive. Le livre n'est pas gai. Au travers de courts paragraphes l'auteur fait part de ses difficultés à trouver des financements nécessaires pour son prochain film. Ses créations exigeantes n'attirent point le public. Les circuits de distributions et d'attribution d'avances sont aux mains de petits soldats du libéralisme à l'esprit obtus et tordu, soumis aux rigueurs du profit à court terme. Il y a longtemps que perso j'en ai tiré la conclusion qu'un minimum relatif d'autonomie absolue quant à la diffusion d'une réalisation quelconque est nécessaire. Impérative, sans quoi vous êtes pieds et mains liés, dépendants des autres, la pire chose qui puisse vous arriver. Sinon prenez garde, le soleil noir de la mélancolie vous guette. Do it yourself. Diy or Dye ! La lucidité ne suffit pas. Les sables marécageux du découragement vous avaleront volontiers. Et ce livre n'y échappe pas. Montée du nihilisme et désespoir. L'on y sent un Ossang désabusé et émoussé. Moment de crise. Effondrement de l'enthousiasme. Malgré le titre, les Dieux ont déserté. Et l'homme d'os friable et de sang séché se souvient qu'il n'est qu'un homme. Quand vous doutez de vos mythologies intérieures, vous avez beau appeler vos écrivains préférés à la rescousse, ils ne se révèlent guère efficaces. Rien ne sert de se vouer à Dieu ou au diable. Faut toujours avoir deux ( et même plusieurs ) sorties à son terrier. Les niches écologiques de survie sont aléatoires. Toujours un plan B dans sa sacoche. En tant que cinéaste F. J. Ossang doit pouvoir nous concocter une telle ligne de fuite. Dégagement et percée. Défixation d'abcès. Pour mieux rebondir dans son propre univers.

Damie Chad.

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