01/09/2017
KR'TNT ! ¤ 337 : GLEN CAMPBELL / PRETTY THINGS / SIDESTONE / ASAYTON / POGO CAR CRASH CONTROL / RONNIE BIRD / BIG BOPPER / CRAMPS
KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 337
A ROCKLIT PRODUCTION
31 / 08 / 2017
GLEN CAMPBELL / PRETTY THINGS SIDESTONE / ASAYTON POGO CAR CRASH CONTROL / RONNIE BIRD BIG BOPPER / CRAMPS |
TEXTE + PHOTOS SUR :
http://chroniquesdepourpre.hautetfort.com/archive/2017/08/index.html
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Campbell se fait la belle
Glen Campbell vient de casser sa pipe. On l’aimait bien, mais sans plus. Il entrait dans certaines discothèque sur la foi d’un épisode légendaire : il avait en effet remplacé Brian Wilson dans les Beach Boys, pour les tournées. Moins m’as-tu-vu que les autres, Brian préférait passer son temps en studio. Glen Campbell eut aussi l’immense privilège d’accompagner Ricky Nelson. En fait, Glen Campbell fut une sorte de proto-Zelig puisqu’on le retrouve quasiment dans tous les gros trucs enregistrés en Californie durant les early sixties - ça va des Ronettes aux Monkees en passant par Elvis, les Righteous Brothers, Pet Sounds et même Sinatra - Il faisait partie du fameux Wrecking Crew, cette clique de surdoués qu’on faisait jouer partout - et dont Leon Russell fit aussi partie. Bon, le détail de tout ça se trouve maintenant sur wiki.
Mais comme beaucoup d’Américains attirés par la bonne fortune, Glen Campbell allait bouffer à tous les râteliers, pop, country, variété, tout ce que le ventre mou de l’Amérique musicale peut présenter de plus hideux. Et pour corser l’affaire, il en rajoutait, avec son physique de séducteur à la gomme, avec ses petits cheveux blonds bien peignés et ses dents bien brossées. Ce bellâtre n’aurait jamais pu faire le métier de pirate.
Si vous voulez piquer une bonne crise d’agacement, c’est très simple : procurez-vous ce beau pressage américain qui s’appelle By The Time I Get To Phoenix. Comme vous êtes cultivé, vous avez reconnu le titre d’un très grand hit de Jimmy Webb, repris ailleurs par Solomon Burke, Dionne Warwick, ou encore par l’immensément immense Isaac Hayes, et là c’est quelque chose, car il s’agit du coup de chapeau d’un géant à un autre géant. Mais revenons à notre mouton. Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie : Glen Campbell susurrer Phoenix d’une petite voix de blanc bien peigné. Pas la moindre trace de feeling. On se demande ce que Jimmy Webb a pu penser en entendant ça à la radio. Oui, parce que ça passait dans toutes les radios, forcément ! Plus c’est moche et plus ça marche. On écoute cette version avec un genre de stupéfaction : Campbell ne fait rien passer, pas le moindre petit trémolo d’émotion. C’est comme s’il était asexué. Le pire est à venir : il tape ensuite dans l’intapable avec «Homeward Bound». Il tape dans Paul Simon, d’accord, il chante juste, d’accord, mais il transforme ce chef-d’œuvre d’émotivité harmonique en pop de Prisunic. Alors que la version originale plane sur l’âme comme l’ombre d’un songe et donne la chair de poule. Glen Campbell a en gros le même problème que Lou Rawls : il y a quelque chose dans leur ton qui ne passe pas. Et ces mauvaises impressions se confirment avec les cuts suivants. Il s’y révèle atrocement inconsistant. Il se vautre même dans la country californienne, la pire qui soit. On a vraiment l’impression de marcher dans une grosse merde de chien. Cet imbécile se croit à Nashville. On bâille tellement qu’on finirait bien par s’en décrocher la mâchoire. Voilà, c’est tout ce qu’on peut détester dans la pop américaine, le côté propre sur soi, bien orchestré, l’American dream pour ménagères mal baisées. Avec ce genre de disque, Glen Campbell se situe à l’opposé de Lee Hazlewood et de Fred Neil.
Mais avant d’être le piètre chanteur que l’on sait, Campbell est l’un des rois de la douze. Il existe un album intitulé Gentle On My Mind - paru la même année, en 1967, et le morceau titre semble être son gros hit - sur lequel il fait sonner sa douze, alors on dresse l’oreille. Il envoie Gentle rouler vers l’horizon, dans une belle ambiance de folk-rock dynamique. Le problème est que Gentle sonne un peu trop comme l’«Everybody’s Talking» de Fred Neil. Il semble que Campbell ait connu plus de succès que le pauvre Fred, dont le hit fut heureusement popularisé grâce à Midnight Cowboy, l’impérissable film de John Schlesinger, et à la voix toute aussi magique d’Harry Nilsson. Pour revenir à notre mouton, «It’s Over» présente aussi de beaux atours, avec un gros son de douze par dessus la soupe aux violoncelles. On voit que Campbell cherche désespérément à ouvrir des horizons, mais ce privilège revient aux géants. On trouve aussi du très beau son de douze dans «Just Another Man». Campbell reste dans sa pop de pseudo-grands espaces et cultive sa petite ferveur avec une belle opiniâtreté. Il finit l’A avec «You’re My World», une insondable mièvrerie reprise en français par Richard Anthony et Michèle Torr. Quand on a dit ça, on a tout dit. En fait, Glen Campbell tape dans ce qu’on appelle la sunshine pop, cette pop ultra-commerciale qui fait rêver les cœurs sensibles. Il passe de cut romantique en balade richement orchestrée, il explore l’intimisme et le chaud dans le cou en caressant les courbes avantageuses de sa muse qui ronfle. Et pour finir, il tape dans la belle mare d’eau de rose de Roy Orbison avec «Cryin’».
Mais il y a un mais. Il existe un album de Glen Campbell pour lequel on se damnerait volontiers pour l’éternité. Oui, le fameux Bobbie Gentry & Glen Campbell ! Ils posent tous les deux en pied, sur la pochette, Glen porte un col roulé blanc à la Steve McQueen et Bobbie se déhanche dans un ensemble bleu turquoise incroyablement excentrique, le genre de truc que seule une Américaine ose porter, avec des plis d’un mauvais goût absolu aux cuisses, mais quelle décontraction ! Il se niche sur cet album quelques pure merveilles, et là on ne rigole plus. En fait, c’est Bobbie qui sauve l’album. Notamment dans cette version démente de «Gentle On My Mind», amenée aux gratouillis de guitare. Bobbie se joint à Glen sur les back roads by the rivers of memory d’échappées belles et elle éclate soudain la gueule des atomes du rock. Bobbie Gentry est la Venus des temps modernes. Elle sent bon l’immortalité. Alors ça fait bander Glen qui se met à chanter enfin avec du tempérament, et même comme un dieu ailé, filant au-dessus des grands espaces américains. Car c’est cette imagerie que draine Gentle. Si on aime la magie des duos, c’est là que ça se passe. Et pour aller plus loin : c’est cette version démente qu’il faut aller écouter chaque fois qu’on perd confiance dans la vie. Il s’y passe quelque chose de shamanique qui aide à continuer encore un peu. Et le fait que Bobbie fasse bander Glen a quelque chose de révélateur, au sens où l’entendaient les mystiques de l’Antiquité. L’autre coup de Trafalgar se trouve de l’autre côté : «Morning Glory». C’est une compo de Bobbie. On devrait plutôt employer le mot groove. Bon, le morning glory, tout le monde sait ce que ça signifie. C’est l’érection du réveil. Alors Glen minaude - Good morning morning glory - Il a une trique d’enfer et il a de la chance, le beau Glen puisqu’il se prélasse dans le groove douillet et bien tiède de la belle Bobbie. Elle minaude à son tour - Good morning sweet baby/ I love you even more today - C’est un fabuleux shoot de sensualité, du pur sexe. Glen a la voix qui chuinte. On le sait, certaines caresses ne pardonnent pas.
Bon, trêve de conneries. «Morning Glory» est en réalité une chanson d’amour incroyablement belle. Glen demande à Bobbie où ses rêves l’ont emmené pendant la nuit - C’est d’une infinie délicatesse - Sorry but I have to wake you - Il veut la réveiller pour retrouver la lumière de son regard et elle lui répond qu’elle l’aime chaque jour davantage. Elle lui dit que chaque fois qu’il s’endort, elle est jalouse des rêves qui l’emmènent loin d’elle - Come on darling time to get up - Il est temps d’aller prendre le petit déjeuner. On ne sait plus si Bobbie Gentry est une sorcière où une déesse. Les deux, sans doute.
Dans «Little Green Apples», Glen sort sa plus belle voix de mâle chaleureux et protecteur. Bobbie entre dans la chanson au deuxième couplet et ramène un peu de sensualité dans cette histoire de pommes vertes. Comme Chrissie Hynde, Bobbie fut il y a quarante ans la fiancée qu’on rêvait d’avoir. Et quand elle prend un couplet toute seule, alors la chanson bascule dans un abîme de magie. Ils finissent cet album miraculeux avec une autre reprise de Paul Simon, l’immense «Scarborough Fair». Bobbie épouse littéralement le génie mélodique de Paul Simon. L’ambiance reste un peu moyen-âgeuse, au sens anglais de la chose, mais elle shoote tellement de feeling dans le cul ridé du Moyen-Age qu’on s’en effare. Et la version finit par aller se perdre dans l’ombilic des limbes, là-bas, dans cette dimension où erre encore le fantôme d’Artaud le Momo.
Signé : Cazengler, Glen Campbille
Glen Campbell. Disparu le 8 août 2017
Glen Campbell. Gentle On My Mind. Capitol Records 1967
Glen Campbell. By The Time I get To Phoenix. Capitol Records 1967
Bobbie Gentry And Glen Campbell. Capitol Records 1968
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Oh You Pretty Things - Part Two
Il faut vraiment adorer les Pretties pour aller s’enfermer dans l’étuve du Petit Bain au soir d’un jour d’été particulièrement chaud. Mais en même temps, il faut se hâter, car les Pretties ne pourront pas continuer très longtemps. Ils jouent le meilleur British beat d’Angleterre depuis plus de cinquante ans. On s’attend donc à voir monter sur scène des pépères rincés par les excès et le dos brisé par le poids de la légende. Pas du tout. L’incroyable de la chose, c’est que leur énergie est parfaitement intacte. Ils awsomisent le petit peuple.
Bien sûr, on se pose la question, assis dans la rame qui descend jusqu’à la grande bibliothèque : quel est aujourd’hui le sens d’un tel concert ? On entend maintenant parler ici et là de rock de vieux. Et même de rock de vieux pour les vieux. Et tous les vieux passent à la casserole : Chuck, Jerry Lee, les Groovies. On a entendu des horreurs. Même sur Brian James ! Au bar, après le set, des gens le trouvaient tout simplement pathétique. Pourtant, il avait joué comme au premier jour des Damned, avec tout le vif argent d’un new-roser kramerisé. Au précédent concert des Pretties (Petit Bain aussi), deux mecs derrière rigolaient de bon cœur en voyant arriver Dick Taylor sur scène. On en est là. Et on attend. On attend quoi ? On attend que les choses reprennent du sens.
C’est justement par Dick Taylor que les choses reprennent tout leur sens. Ce vétéran de toutes les guerres ressemble plus à un retraité de la fonction publique qu’à un légendaire guitariste de rock, mais il fait le show comme très peu de gens savent le faire. Il joue sur d’antiques demi-caisses avec une sorte de son incroyablement agressif. Il joue tout au fil mélodique sur des structures extrêmement classiques, celles de «Mona» et de «Big Boss Man», par exemple, mais il joue avec une pugnacité unique au monde. Il faut le voir claquer ses notes à la volée et jeter par moments des petits coups d’œil sur les premiers rangs. Sur scène, Dick Taylor semble rajeunir. Il joue avec une telle énergie qu’il finirait bien par fasciner. Sa main droite semble ralentie, il claque ses notes à une certaine distance, et puis soudain, il fait ce que les flics appellent une descente, il part en solo sur une gamme classique, mais attention, dans les pattes de Dick Taylor, ça devient quelques chose de fantastique, de vivant, d’unique. Il sort un son qui bouffe tout. Ce petit homme joue comme un ogre, il développe un volume extraordinaire, c’est même quelque chose qui frise le surnaturel, comme si l’énormité du son le dépassait. Il joue avec un vieux méthodisme à l’Anglaise, terriblement efficace. Voilà ce qui s’appelle claquer un solo. On comprend subitement d’où sort le mythe des Pretties.
Les grands guitaristes anglais ont tous un son ou une façon de jouer qui permet de les identifier immédiatement : Keith Richards et sa façon de battre les accords, Eddie Phillips et sa façon de pousser les notes à l’orgasme, Pete Townshend et sa façon de mixer la mélodie et le débraillé - sharp and wild - Jimmy Page et sa façon de galvaniser les walkiries, Jeff Beck et sa façon de brusquer les événements, George Harrison et sa façon de sublimer le fil d’argent d’une mélodie, Steve Jones et sa façon de transformer le plomb en or, James Du Cann et sa façon de faire rôtir le son en enfer, Nick Saloman et sa façon de labourer les terres éternelles, Brian James et sa façon de transporter le feu sacré dans la nuit préhistorique. Il faut bien sûr ajouter Dick Taylor et sa façon de cent fois sur le métier remettre son ouvrage et, accessoirement, de jouer les solos les plus dévastateurs qu’on ait entendus ici bas depuis le temps béni de «Baron Saturday».
Justement, c’est la pochette de SF Sorrow qu’on voit peinte sur la grosse caisse. Et c’est «SF Sorrow Is Born» que chante l’impeccable Phil May, toujours dédié corps et âme aux Pretties, comme il le fut toute sa vie. Phil May reste un modèle de constance qui n’en finit plus de faire réfléchir. Et de fasciner. Cet homme n’a jamais dévié sa trajectoire d’un seul millimètre : les Pretties ou rien, et si certains de ses amis lâchent la rampe à un moment donné, Phil May retrouve des gens pour continuer l’aventure. Oui, il faut ici absolument parler d’aventure, d’aventure psychédélique et d’aventure humaine, d’aventure intellectuelle et d’aventure tout court, c’est-à-dire le contraire du commerce. Les Pretties n’ont jamais vendu leur cul et c’est ce qui fait leur grandeur. Comme Link Wray, les Downliners Sect, Wild Billy Childish et d’autres héros condamnés à la semi-obscurité, les Pretties ont su maintenir le cap de leur choix. Évidemment, c’est beaucoup moins compliqué quand on a des chansons. En cinquante ans, les Pretties ont réussi à accumuler un joli tas de hits, et en concert, on en prend vraiment plein la barbe, car tout est bien, surtout les vieux hits de l’âge d’or, à commencer par «Midnight To Six Man» et l’indétrônable «Rosalyn» de fin de non-recevoir. Mais le set menace d’exploser à plusieurs reprises, et notamment lorsqu’ils retapent dans SF Sorrow avec ce chef-d’œuvre psyché qu’est «I See You», car Dick Taylor l’emmène au firmament avec un spécimen solotique hallucinant de véracité cosmologique, il construit note à note les marches de cristal sonique qui emmènent les cervelles jusqu’aux cimes, il nous fait ce cadeau, cet homme nous montre à quoi ressemble le rock anglais lorsqu’il est violemment inspiré, virulent et mauvais comme une teigne, lorsqu’il respire par tous ses pores, lorsqu’il brûle d’un feu et qu’il brûle encore bien qu’ayant tout brûlé, qu’il brûle encore même trop même mal, qu’il brûle encore pour atteindre à s’en écarteler les cartilages du privilège cartésien, qu’il brûle encore dans l’ardent soleil des projecteurs, et c’est là dans cet instant précis qu’on boit à la source du rock anglais. Comme Ray Davies, Pete Townshend et Jeff Beck, Dick Taylor est un prodigieux survivant. Il survit avec un imposant panache. Ces gens-là ne sont pas là par hasard.
Ils bouclent le set avec un «LSD» monumental dans lequel ils fondent l’or un autre chef-d’œuvre tiré de SF Sorrow, «Old Man Going», l’un de ces hits anciens que les anglais taxent de minor hits, mais qui collent à la cervelle comme le sparadrap du capitaine Haddock. SF Sorrow et le White Album des Beatles ont laissé les traces les plus profondes dans les imaginaires en jachère de certains adolescents. En ce qui me concerne, je ne connais pas d’albums plus parfaits que ces deux-là.
Phil May annonce à un moment d’une voix blanche un vieux hit : It’s called «Come See Me». George Woosey attaque l’intro en la, quatre notes, sol sale, fa fuzz, do dur, sibem et bhammm ! If you wanna love me baby/ Come see me, là tu as les Pretties dans toute leur fuckin’ sale grandeur intemporelle. Tu te retournes et tu vois tout le monde gueuler baby I’m your man car c’est l’hymne de la victoire.
Signé : Cazengler, pretty singe
Pretty Things. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 6 juillet 2017
ACHIL' CAFE
FOIX / 14 - 07 - 2017
SIDESTONE / ASAYTON
Trouver du rock en Ariège n’est guère aisé. Par ces soirs de feux d’artifice, faut se rabattre sur les valeurs sûres. Ce sera donc l’Achil' Café - guitares et photos de concerts accrochées aux murs, idéalement placé à l’entrée de la bonne ville de Foix - en cette soirée de fête nationale le hangar salvateur n’hésite pas à proposer - désolé pour les amateurs d’accordéon amusette - deux groupes, rock et métal. De quoi nous reposer des ferveurs populaires qui tout le long de la journée ont paralysé la cité préfectorale, ville étape du Tour de France. Quelle misère d’entrevoir ces milliers de personnes parquées derrière des barrières s’égosiller et s’agiter pour attraper au vol porte-clefs, casquettes aux logos de la grande distribution, stylos bille et autres infantiles hochets publicitaires... alors qu’il serait si simple de réquisitionner son dû dans des magasins bourrés de marchandises… C’est vraisemblablement pour éviter le spectre funeste de ce cauchemar de ré-appropriation collective que la société de consommation organise à dates fixes ces jours d’aumônes et de distributions de pacotilles. Tant que le peuple s’amuse et ne lit pas Kropotkine ne sommes-nous pas en route pour le meilleur des mondes ? Dans l’attente de la prise de nouvelles Bastille, écoutons cette douce musique porteuse de tumultes prophétiques que devrait toujours être le rock and roll !
SIDESTONE
Première apparition publique révèlera Paul Rescanières dès la fin du morceau introductif The Weathering de The Last Train. L’a de l’allure le grand Paul, tout de noir vêtu, sa longue taille casée sous son chapeau de feutre et une voix bien en place, pas du tout désagréable, qu’il peut moduler à loisir. Compatissante et dramatique sur le Don’t Cry des Guns and Roses mais capable de growler avec conviction par exemple sur Killing in the Name de Rage Against the Machine. Des reprises uniquement. Les compos sont en cours d’élaboration, butent sur les lyrics m’avoueront-ils, z’ont raison de prendre leur temps, ne s’agit pas d’aligner de simples paroles passe-partout, faut transcrire une vision du monde qui fasse différence et étamine de ralliement. Sont jeunes et le groupe n’a que deux mois. Sont encore dans le creuset des amalgames individuels. Harmoniser les origines et infléchir une direction commune. En attendant se débrouillent bien. Romain Isabal nettement rock, guitare grondante et bouffées de riffs assourdissants, l’est l’estoc qui abat les arbres, taille le chemin, détermine les différentes étapes structurelles des morceaux. C’est que derrière sa batterie Nathan Todeschini use d’une frappe plus subtile. Ne fracasse pas les breaks, laisse la scansion rythmique courir sur son ère, enchaîne les temps plus qu’il ne les marque. N’est point féru de fortes ponctuations, préfère les suspensions ternaires qui laissent toujours comme un vide à remplir que s’en vient combler la basse insinuante de Théo Barbat, un jeu d‘eau qui coule, empreint d’une fausse sérénité. Une bête serpentaire tapie dans les broussailles quasi invisible mais aux crochets venimeux. Cette dichotomie entre le rentre-dedans des guitares - car en plus du chant Paul assure aussi la seconde guitare - et la section rythmique n’est pas étrangère au charme induit par le groupe. Cela crée un déséquilibre harmonieux assez fascinant. Les applaudissements crépitent et à peine s’apprêtent-ils à quitter la scène que le public conquis exige un rappel. Un superbe Paranoid qui emporte tous les suffrages.
Pour un premier concert Sidestone s’est montré à la hauteur. Un choix de titres très générationnel : Linkin’ Park, Muse, Red Hot Chili Peper, System of a Dawn - tout ce que je n’écoute pas - mais traités à leurs manières, parties de guitares réincarnées et assise rythmique personnalisée. L’on sent la jeunesse du groupe et l’on devine que tout cela est destiné à évoluer, faudra les revoir dans six mois. Nous sont entrés dans l’oreille et n’avons pas envie qu’ils en ressortent.
ASAYTON
Les groupes se suivent et ne se ressemblent pas. Tout le contraire du précédent. Un trio de trois grands gaillards assurés de leur fait. Au point, au choc. Un metal frontal calibré à la tonne. Un batteur pour l’estampage, un bassiste pour la houille du four, et une guitare qui vous moule à la louche des riffs d’acier trempé. Les titres parlent d’eux-mêmes et annoncent le programme : Destroyed, Fear, Arma, Sadistic, The Anger… bande-son pour film catastrophe. Rien à redire, défilent devant vous comme un régiment de blindés qui montent au front. Le guitariste se charge du chant. Vous assène le vocal sans aménité. Articule de toutes ses forces. Presque trop brutal, on l'aurait préféré parsemé de chuintements de djent maladif, mais non ça résonne comme des coups de pilon sur des structures de fonte. A la réflexion ce type d’énonciation éjective semblerait davantage approprié pour du punk. Asayton vous assome sans rémission. Le groupe quitte la scène sans préavis. Leurs morceaux se terminent systématiquement au moment où vous vous y attendez le moins. Le public surpris ne réclamera pas de rappel. Asayton vous estabousille sans merci. Manque un soupçon d’âme qui ferait toute la différence entre méchanceté gratuite et cruauté désirée.
Damie Chad.
POGO CAR CRASH CONTROL
Caroline de Kergariou, l’auteure de la monumentale radiographie du punk chroniquée dans la trois cent trente-troisième livraison de KR’TNT ! du 15 / 06 / 2017, sur France Culture ce mercredi 26 juillet entre treize et quatorze heures ! Evidemment toute chose échappant à la perfection elle n’est point seule. C’est la dernière mode radiophonique : jamais un invité sans un deuxième. Au journaliste de mener les deux interviews de front. Mode insupportable qui consiste à établir des liens improbables entre des univers qui ne sont même pas parallèles. Parfois, mieux vaut jamais que Plutarque ! Cette fois-ci l’objet promotionnel est de taille, rien de moins que Pierre Christin le scénariste de la BD Valérian. Rappelons que le film qu’en a tiré Luc Besson a coûté plus de deux cents millions de dollars et qu’il serait bon que les petits français comblent quelque peu de leurs modestes oboles le déficit d’exploitation occasionné par le peu d’appétence du public américain pour ces aventures étoilées à leurs yeux étiolées. Autant dire que Caroline héritera de la portion congrue. Plein feu sur Valérian. Ajoutez à cela que dès que le journaliste consent à employer le mot punk c’est aussitôt pour demander à Christin si sa BD n’est pas punk, si Valérian n’est pas un punk de l’espace, si lui-même n’est pas un punk qui s’ignore… le pauvre Christin essaie tant bien que mal de jongler avec ce chewing gum qui lui colle aux mains. Quant à Caroline de Kergariou elle passe le peu de temps qui lui est imparti à renflouer les questions bateaux ( échoués ) que notre journaliste lui fait de temps en temps l’aumône de lui adresser. Heureusement quelques disques viennent interrompre la logorrhée verbale de notre animateur. Nous aurons droit aux Slits - obligatoire pour la tarte à la crème marronnière de la revendication féministe valériale et punktoséidale - au dernier disque des Boomtown Rats, et à Pogo Car Crash Control à qui Caroline de Kergariou refuse d’attribuer l’étiquette garantie cent pour cent punk, sous prétexte que les paroles lui semblent manquer de second degré. Elle a raison, tout en ayant tort. De l’eau a coulé sous le London Bridge depuis la première explosion punk, et les P3C ont tété aussi à bien d’autres mamelles nourricières apparues en quarante ans, la pureté punk est devenue un label frelaté... Leurs paroles à l’emporte-pièce métaphysique touchent au plus lointain, à ce qu’Edgar Poe définissait en tant qu’esthétique du grotesque. Qui fut au fondement du romantisme allemand et anglais. Un courant artistique et littéraire souterrain qui prend racine dans les décors boursoufflés de la Maison Dorée néronienne. Arabesque et Grotesque disait Poe, Nietzsche corrigera en Apollinien et Dionysiaque. Mais la nomenclature poesque nous semble beaucoup plus pertinente - peut-être de par leur commune nativité amerloque - pour qualifier le rock and roll. Et les Pogo Car Trash Control nous paraissent importants car ils ont d’instinct retrouvé cette veine séminale de l'arrêt volte face aux données instantanée de la vie. Sans pour autant céder à la tentation nihiliste. Un bien étroit sentier de feu sur deux à-pics vertigineux.
Damie Chad
RONNIE BIRD
LE ROCK EN V. F.
DIDIER DELINOTTE
& MANUEL RABASSE
( Camion Blanc / Juin 2017 )
Ronnie Bird ! Déjà présent dès la livraison 47 du 08 / 04 / 2011 de KR'TNT ! Puis la 215ième du 12 / 12 / 2014 pour une longue interview parue dans JBM, et enfin voici pas très longtemps dans le 325 du 20 / 04 / 2017 nous chroniquions En Direct ! 25 cm paru chez Jukebox Magazine... Et donc ce livre inespéré de Didier Delinotte et Manuel Rabasse qui écrivit en des temps lointains dans Best.
Un genre de couverture à damier que nous n'apprécions guère mais qui doit avoir la préférence de Didier Delinotte puisque dans la même collection ses livres précédents dédiés aux Kinks, aux Flamin' Groovies, aux Pretty Things, aux Byrds, à Procol Harum et à Arthur Lee de Love arborent une même présentation. Mais Bo Diddley nous a avertis, You can't Judge a book just looking the cover ! Surtout qu'en l'occurrence ce serait injuste.
Parler de Ronnie Bird n'est guère facile. Le principal fautif étant avant tout Ronnie lui-même. Une carrière courte, un effacement volontaire, quelques apparitions erratiques... Pas de quoi composer un pavé. Le livre n'atteint pas les deux cents pages. Et pourtant depuis Sad Soul, son dernier disque en 1969, Ronnie n'a jamais disparu de la mémoire de ses fans. Je peux en témoigner. Les mauvais esprits diront qu'il a davantage gravé le disque mémoriel de sa mince cohorte d'admirateurs transis que bouleversé son époque.
N'a pas eu de chance Ronnie, l'est arrivé après la bataille. Le showbiz avait mis de l'ordre dans le poulailler. De l'explosion rock du début des années 60, ne restaient que Johnny Hallyday, Eddy Mitchell et Dick Rivers. Tous les autres sont entassés dans les anonymes poubelles de l'histoire. Les trois cadors ont dû pas mal louvoyer pour ne pas couler. C'est que la place devenait restreinte. La poignée de pionniers américains qui avaient été les tutélaires figures de proue du rock hexagonal devaient céder le terrain devant l'invasion anglaise. Le public rock n'étant pas majoritaire, entre la vieille garde rock'n'rollesque et la génération montante portée par la vague british, restait peu de monde pour jeter son dévolu sur les nouveaux rockers français. Entre parenthèses une fois que vous aviez nommé Ronnie Bird et Noël Deschamps, vous restait trois doigts de la main dont vous ne saviez que faire.
Le livre retrace à merveille les débuts de Ronnie, synthétise parfaitement les efforts de l'Oiseau, du lycée à l'enregistrement de son premier disque. Ronnie n'est pas le genre d'artiste à s'imposer du premier coup. Les amis, les connaissances, les circonstances, tout se ligue en sa faveur, mais il arrive en quelque sorte de guingois dans le milieu professionnel. Admis mais pas reconnu. Ne sera jamais le patron. C'est qu'il emprunte un chemin difficile et il donne l'impression de poursuivre un but sans avoir une idée précise de l'endroit où il veut arriver. Part du vieux rock, son premier titre Adieu à un Ami est très symptomatique, hommage à Buddy Holly avec Mickey Baker – un des guitaristes historiques qui a contribué à la naissance du rock – et recherche d'un son qui soit différent des commencements de cette musique. L'Oiseau à l'intuition qu'il faut explorer les noirceurs originaires du blues, mais l'a du mal à réaliser la synthèse entre le rock mélodique de Holly qui influencera les Beatles et le rhythm'n'blues des Rolling Stones. Les quatre super 45 Tours enregistrés chez Decca lui permettront réaliser la cristallisation alchimique. La voix et les guitares. Finit par comprendre qu'il ne suffit pas d'articuler, de découper les paroles suivant les pointillés de la structure grammaticale mais de les jeter dans le magma du son. L'est le premier en France à avoir des guitares qui marchent à l'électricité. Elle m'attend – fabuleuse reprise du Last Time des Stones – le foldingue Fais Attention piqué aux Nashville Teens et le Où va-t-elle ? emprunté aux Hollies, sont des musts. Y aurait-il eu un véritable producteur et un staff intelligent derrière, Ronnie était sauvé. Ne manquait plus qu'à créer quelques originaux et à poursuivre dans cette voie royale.
Mais il n'y eut pas. Ronnie fonce et personne autour de lui ne réfléchit. Court les émissions de télévision et les concerts. L'aurait mieux valu stabiliser un groupe de musiciens autour de lui et payer des heures de studio pour travailler et progresser. Mais Decca a mieux à faire. Ronnie change de crèmerie. Se retrouve chez Philips. Marché de dupe. La maison d'Hallyday ne versera pas un franc sur sa nouvelle acquisition. Cela tombe au plus mauvais moment. Echaudé par le quart de succès remporté par la première partie de sa carrière, au lieu de tenir ferme sur ses positions électriques Ronnie cherche une autre formule. Pré-psyché – pro-pop si vous êtes cruel – Le Pivert, Les Filles en Sucre d'Orge, c'est joli, c'est gentil, c'est marrant, c'est mignon, c'est entraînant, mais ce n'est pas vraiment Rock. Se fait doubler par des chanteurs qui n'ont pas le cul entre la chaise rock – sur laquelle est assis son public – et le fauteuil pop – sur lequel se prélasse l'intellingentsia rock typiquement française qui cherche à tout prix à coller à la dernière tendance du marché... Genre d'attitude qui conduit à la catastrophe. Se fait doubler et reléguer dans les oubliettes par Antoine, Polnareff, voire Julien Clerc.
C'est la fin. L'enregistre un dernier simple, en 1969, en anglais Sad Soul, un chef d'oeuvre... Et c'en est fini de Ronnie Bird. N'a même pas vingt-cinq ans mais il a marqué le rock français d'une empreinte indissoluble.
Ne part pas sans raison. Reconnu responsable d'un accident de voiture qui a amoché très vilainement un de ses musiciens, les assurances lui demandent de régler les dédommagements... Donne dans l'alimentaire participe durant près de quatre ans aux représentations des comédies musicales Hair et Jésus Christ Super Star. Notre rocker passe dans le camp des hippies. Encore pire que Johnny avec San Francisco ! Les fans font profil bas... Ronnie lui-même s'enfuit, fait le tour du monde, se fixe à New-York, vivote de petits boulots et trouve enfin un job de caméraman à la télévision... L' a fait une croix sur son passé de rocker. L'a entassé quelques projets – tous foirés – avec Micky Jones et Tomy Brown... En 1982 il sort une horreur sans nom, un album de world music – n'ai jamais pu l'écouter en entier – réussit à écrire les paroles d'un hit pour Ray Charles, ce qui est nettement plus gratifiant...
Mais en France, les fans de la première heure ne sont pas encore rassasiés et les rééditions s'enchaînent et bientôt l'on passe aux démos, aux enregistrements publics, aux émissions télé des années soixante et jusqu'aux interviewes d'époque... Notre homme a vieilli, l'atteint les soixante-dix balais, s'est toujours défendu de céder à la nostalgie. Une attitude semblable à Eddy Mitchell des plus circonspects quand on lui rappelle très riches heures des Chaussettes Noires. Difficile d'être quand on a été. Mais Ronnie ne se prévaut d'aucun privilège. Refuse d'endosser le statut de hasbeen. Conçoit sa vie comme un itinéraire qui n'appartient qu'à lui. Discrétion aristocratique chez cet homme qui n'éprouve ni regret ni amertume. Didier Delinotte et Manuel Rabasse nous tracent le portrait d'un oiseau migrateur. L'a quitté le nid du rock'n'roll depuis longtemps et il n'y est jamais revenu. Vous pouvez le regretter, mais c'est votre problème. Une fois que vous aurez compris et admis cela, vous vous sentirez mieux dans votre peau puisque vous n'aurez plus besoin de quelqu'un d'autre pour remplir votre vie. Vous serez comme l'Oiseau libre dans sa tête, libre dans son vol.
Une des figures les plus attachantes du rock français. Un livre pas très épais mais profond. Pour tous les fans de Ronnie et pour ceux qui veulent comprendre l'étrange magie que dégage ce parcours trop tôt tronqué.
Damie Chad.
NOT FADE AWAY
JIM DODGE
( Cambourakis Editions / Novembre 2011 )
Dodge, un nom prédestiné pour la route. D’ailleurs le roman n’est pas sans évoquer le fameux On the Road de Jack Kerouac. Un trajet de long en large au travers des Etats-Unis, mais Not Fade Away traverse deux états. Je ne fais ici aucune allusion au découpage géographique des States mais à ce que les philosophes nomment les états de conscience de l’être, ici aussi générationnels. Deux dates qui vous permettront de saisir la miroitante signifiance de la phrase précédente. 1956, 1965. Aucune erreur interprétative sur la seconde. Celle de la conquête de l’Amérique par les groupes anglais. Penchez davantage vers les Stones que pour les Beatles, le titre vous y invite. Quant à 1956, ne vous attardez pas sur Presley et son Heartbreak Hotel. Certes cette date n’est pas choisie au hasard, elle participe bien du triomphe du rock ‘n’roll, de son imposition turgescente sur le monde, mais au début du roman George Gastin n’en est pas encore là.
George Gastin ne participe pas de la génération rock, mais de la précédente, celle des Beat. Se retrouve à vingt piges à San Francisco. Vient de Floride mais n’est pas un bleu de la veille. L’est déjà le roi de la dépanneuse. Le premier sur le lieu du dépannage. Fonce comme un malade, écrase la concurrence, carbure à la benzédrine. Mais à San Francisco, le garçon sauvage reçoit son éducation. Insémination culturelle. A base de jazz, de poésie, d’amour fou. En-dehors des normes. Et des lois. L’a trouvé un boulot pépère, peu d’heures de travail et payé cash. Une affaire qui roule sur l’or. Une arnaque à l’assurance. S’agit d’accidenter des voitures volées… Un jeu d’enfant pour lui. Une vie bien ordonnée quand on y pense. Mais faut rajouter une date fatidique. Tous les rockers la connaissent. Trois févier 1959. L’accident d’avion qui coûta la vie à Ritchie Valens, Buddy Holly et Big Bopper. Retenez bien ce dernier nom, c’est lui qui fera dérailler une existence si bien réglée.
C’est sa petite amie - rien de marital dans leur liaison, elle est libre comme l’air et son corps lui appartient - qui réagit à l’annonce radio du crash au petit matin de leur première nuit d’amour torride. L’en prend note dans sa tête mais sans plus. C’est plus tard, alors que Katherine fait un break de deux ans pour un voyage ethnologique en Amérique du Sud, que le souvenir fait tilt dans ses neurones. De manière aléatoire. Une bagnole à envoyer dans le fossé, pas n’importe laquelle, une Cadillac 59, une Eldorado blanche, 345 chevaux sous le chapeau. S’apprête à faire le job très consciencieusement lorsqu’il découvre une lettre d’amour dans la boîte à gants. Adressée au Big Bopper par la propriétaire, une vioque millionnaire, touchée par la grâce du rock and roll, qui avait décidé d’offrir ce somptueux cadeau à l’immortel créateur de Chantilly Lace. Le destin en avait décidé autrement. Disparition brutale du Bopper, suivie de près par celle de la généreuse donatrice… la teuf-teuf reste bloquée durant plusieurs années dans son box jusqu’à la résolution de la succession. Atterrit enfin dans les mains du gang des voitures…
C’est là que George pète une durite. Vraisemblablement sous l’effet subliminalement romantique du manque de sa copine… Décide de parfaire le geste dévotionnel de la millionnaire en allant brûler la Cadillac sur la tombe du Big Bopper. Deux gros hics à l’encontre de cette folle décision, ignore en quel endroit est enterré le Bopper, et le fait que peut-être ses commanditaires n’aimeront pas ce changement de programme quant à la fumeuse liquidation de la tire… On ne plaisante guère dans les organisations criminelles, les rockers se remettront en mémoire le cadavre de Bobby Fuller que l’on retrouva intact mais les os méticuleusement réduits en miettes. Vous avez beau combattre la loi, que ce soit la fédérale ou celle de la maffia vous êtes sûr de perdre…
Trêve de bavardage notre héros s’embarque pour l'hommagiale odyssée. A fortes vitesses, celle de la voiture et celle de son cœur qui palpite au rythme des cachous de speed qu’il avale à pleines poignées. Relisez l’autobiographie de Johnny Cash pour savoir quels dommages psychiques un trop grand abus de ces magiques pilules peut causer… Notons que notre héros aura en prime le bonheur de dégoter au hasard de ses tribulations une collection de simples rock’rolliens des plus ébouriffants et une sono tonitruante idéale pour écouter à plein volume les classiques de notre musique préférée.
Il y a une grande différence entre le Sur la Route de Kerouac, et ce Not Fade Away de Jim Dodge. Quand vous les comparez vous vous dites que le premier est un agréable parcours touristique, une aventurette de dépliant. Le Not Fade Away est beaucoup plus déjanté. Toute la différence entre une impro jazz qui s’étire sur une heure trente et le Great Balls of Fire de Jerry Lou qui vous dynamite le monde en deux minutes. Vous laisse découvrir la picaresque anabase de George Gastin. Au début tout se passe bien. La Cad avale les kilomètres à fond de train, comme il se doit. Et puis tout se dédouble. Z’avez l’impression qu’il y a deux voitures qui roulent en sens inverse l’une de l’autre, sur la même voie et vous comprenez vite que le crash final finira bien par scratcher. Deux voyages. L’un sur le bitume et l’autre dans la tête. L’exotérique et l’ésotérique. Les rencontres sur la route. Une improbable collection de frappadingues qui nous valent des scènes délirantes de haute cocasserie. Peut-être des possibles imaginatifs de George…
D’autant plus que la structure du roman agit comme celle de deux miroirs qui se regardent. Et le lecteur ne peut s’empêcher de rire. La cavalcade burlesque de George est un récit dans le récit. Un dépanneur fantôme - c’est écrit sur son camion - qui s’en vient gratuitement sans qu’on le lui ait demandé, surgi d’on ne sait où - au secours d’un gars dans la mouise profonde, fauché comme les blés… Le mec sympa qui déroule son histoire sur des centaines de pages… S’exprime avec clarté et précision. Détails et explications fournies à gogo. Les faits et les hypothèses funambulesques. Ne vous cache rien. Ne se présente pas sans passer sous silence ses défauts, ses manques, ses points faibles, ses erreurs. Pas d’autoglorification. Sans masochisme auto-culpabilatoire non plus.
Le bouquin refermé, vous restez quelques temps sous l’effet jouissif qu’il a produit. Mais au bout d’un moment les questions vous assaillent. Drôles de fins. Au pluriel. Car les deux récits sont d'ontologie évanescente. Se dissipent comme l’essence s’évapore au soleil. Vous manque à chaque fois la dernière pièce du puzzle. Le narrateur vous refile son explication : George Gastin n’est qu’un fantôme. Explication irrationnelle mais qui verrouille l’intrigue. Problème toutefois, lors de sa folle équipée le fantôme de George Gastin est souvent à ses côtés. Peut-être préfèreriez-vous employer le terme de double. Moins tranchant. Une simple auto-représentation psychique. Votre surmoi psychanalytique - dans le roman totalement dévasté par la folie – en roue libre. Raccrochez-vous à une explication plus simple : notre héros est-il redescendu de son trip expérimental de l’acide lysurgique ? A ce compte-là faudrait parler d’une transmission inter-consciençuelle entre les deux narrateurs. Ou alors sont-ils un seul et même personnage ? D’où cette question insidieuse : pourquoi se dédouble-t-il ? Et vous rentrez dans un jeu fascinant de réponses sans questions qui illimitent le roman. A vous de combattre ce minotaure à deux têtes labyrinthiques. Ce qui est sûr c’est que ce livre est un sublime hommage à Ritchie Valens, Buddy Holly et Big Bopper. Les rockers se doivent de le lire.
Damie Chad.
MEDIUM LES JOURS DE PLUIE
LOUIS-STEPHANE ULYSSE
( Le Serpent à Plumes / 2015 )
Foultringue. Normal. Ça cause des Cramps. Avec un tel sujet vous ne voudriez tout de même pas vous attendre à un truc pour retraité pas trop vite le matin doucement le soir. Donc un berzingue qui part dans tous les sens. Tout de suite très mal. Notre héros fait le grand hop. Non ce n'est pas Lux Interior qui se catapulte en saut de l'ange sans filet depuis la scène dans le public. Beaucoup plus mortel, notre héros Schoulberg – Schoul pour les intimes – se laisse aller. Quinze étages plus bas. Un moment de déprime. On le comprend, travaille dans une maison de disques, l'est obligé de produire de la soupe infâme – de l'after-techno-eighties. Pour un peu l'on sauterait avec lui. Comme nous sommes juste au début du roman, il se fait très mal, mais il en réchappe. Rien d'irréparable mais le goût à rien.
Convalescence. Ça tombe bien, le mouton noir de la famille l'invite en Californie. Son oncle qui s'est enfui de l'ennui sociétal programmé -dodo, boulot, métro – pour vivre le rêve hippie au soleil de Californie. Peut-être a-t-il connu des moments intenses mais au final, retiré dans sa maison – Los Angeles – entouré d'un serviteur asiatique qui sait à peine parler et d'une vieille beautiful people déplumée aux copines déjantées - l'est un tantinet atrabilaire, désabusé et tyrannique. Une forte personnalité. Que tout le monde adore. Schoul en premier. Réciproque. Lorsque le tonton passe l'arme à gauche il lègue la maison à son neveu.
Schoul passe sa vie à ne rien faire, traîne souvent dans la librairie d'occase de Schalzner. Ce qui nous permet de nous tenir au courant de tous les faits divers typiquement américains consignés dans le stock des antiques revues d'occasion, vous savez ces genres d'individus tordus style tueurs en série ou fous furieux à la Hasil Adkins... ou ces émissions de télé loufoquo-crétinisantes de Ghoulardi qui eurent une influence prépondérante sur le développement mental de Lux Interior. Oui on y arrive, enfin !
A la fin, plutôt. Car quand Lux apparaît – c'est trop tard. L'est en train de mourir. Le rock'n'roll perd un de ses mythes. Et Poison Ivy son amour. Va lui falloir survivre à cette séparation et Schoul va l'aider. C'est qu'entre temps Schoul a trouvé du boulot. L'a monté une arnaque. Qui marche. Qui rapporte. Inspiré par ses doctes lectures il est devenu devin. Vous prédit l'avenir. El les clients reviennent et payent sans ciller...
Voyez comme le hasard agence les évènements. Lux est en ville. En compagnie de Big Bopper. Oui je sais, ils sont morts. Tous les deux. Big Bopper en 1959, avec Buddy Holly, mais ils traînent en ville. Vous ne vous êtes jamais demandé ce que font les morts quand ils sont morts ? Ben, ils déambulent dans les mêmes lieux que vous. Vous ne les voyez pas, vous ne les sentez pas. Si vous désirez communiquer avec eux, rien de plus simple, trouvez-vous un bon médium. Exactement pareil pour les morts. Lux hante la maison dans laquelle Poison Ivy reste inconsolable. Elle comprend que Lux est là mais comment lui parler ?
Etrange et soudaine métamorphose : notre faux devin se transforme en vrai médium. Finit par s'installer chez Lux et Ivy. N'a pas grand-chose à faire. Sa seule présence dans la maison suffit pour que les amants aient la faculté de se rejoindre. Que font-ils enfermés tous deux seuls dans leur chambre ? Causent, chuchotent, lecteurs nécrophiles vous n'en saurez pas plus. Ivy revit. Elle qui traversait une sévère dépression reprend du poil de la bête rousse. La présence de Lux n'est plus nécessaire. Il se retire. Les amants se retrouveront dans l'autre monde...
Une indéfectible amitié relie désormais Poison Ivy et Schoul. Ce qui n'exclut pas la grande fâcherie... Ivy ressort dans le monde et Schoul qui s'ennuie se console en effectuant ce que nous appellerons des voyages dans l'astral – futur et passé – ce qui nous vaudra de grandes scènes hilarantes. Nous arrêterons là notre rapide résumé. Vous reste encore plein de rebondissements et de mystères à éclaircir. Le livre se termine sur une grande sarabande des plus cocasses.
Mais si vous prenez le temps de réfléchir, vous vous apercevez que Louis-Stéphane sous couvert d'humour noir, d'ironie désabusée et de joyeux cynisme aborde les deux thèmes existentiels essentiels. La mort et le désir. Ni paradis, ni enfer ne vous attendent. Etrangement la vie a aussi peu d'attrait pour les morts que la mort pour les vivants. Deux réalités différentes, un même ennui. Si après son plongeon Schoul ne meurt pas, c'est que cela n'a pas beaucoup d'importance, la vie ne vaut guère mieux que la mort... Avers ou envers, la médaille comporte deux revers. Pas vraiment un optimiste Louis-Stéphane Ulysse.
Le plus dur quand vous n'êtes pas mort, c'est qu'il vous reste à vivre. C'est là que les ennuis commencent. De votre faute. Et par celle des autres. Le cas d'Ivy est exemplaire. Elle ne peut vivre sans Lux, mais elle parvient à s'en détacher. L'a des désirs comme tout le monde. Et puis il y a le désir des autres. Celui du fan absolu qui n'a de cesse de vous canibaliser. Ou alors l'autre, plus courtois qui n'ose pas toucher à l'idole... A moins que la mort ne soit la solution qui permette de résoudre les contradictions !
Un roman résolument rock, empli de portraits de vieux bluesmen et de jeunes rockers... mine de rien l'on suit toute la carrière des Cramps qui en sont les véritables héros. Et qui pose le problème du rapport charnel sublimé ( ou réalisé ) que le fan entretient au travers de la musique avec ses stars. La vie serait-elle une grande substitution ? Ou une prostitution généralisée ? Très malin Louis-Stéphane Ulysse. Soulève les questions sans les nommer. Beaucoup de rock'n'roll et très peu de sexe. En tout cas mortel.
Et en plus Big Bopper ! De quoi vous plaindriez-vous puisque l'on vous offre la chantilly ( sur la g)lace.
Damie Chad.
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