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16/03/2016

KR'TNT ! ¤ 273 : ALLEN TOUSSAINT / JEAN-FRANCOIS JACQ / ELVIS CADILLAC / CRASBIRDS / ZINES

 

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 273

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

17 / 03 / 2016

 


ALLEN TOUSSAINT 

JEAN-FRANCOIS JACQ

ELVIS CADILLAC / CRASHBIRDS 

ZINES 

 

CACHEZ CE TOUSSAINT QUE

JE NE SAURAIS VOIR


Qui mieux qu’Etta James peut présenter Allen Toussaint, l’un des artistes clés de l’histoire de la musique américaine ?

Etta sortait à peine des pattes de Jerry Wexler avec lequel elle avait enregistré l’énorme «Deep In The Night» quand MCA lui proposa un contrat. Elle fut d’autant plus ravie qu’Allen proposait de produire son prochain album à la Nouvelle Orleans. Ravie, oui, car elle avait une sorte de béguin pour lui. Elle s’installa dans un petit hôtel rococo du Quartier Français et attendit le coup de fil d’Allen. Rien, pas de nouvelles ni dans la soirée ni le lendemain matin. Le lendemain après-midi on lui remit un pli avec une cassette. Dans le petit mot qui accompagnait la cassette, Allen lui disait qu’il allait vite la contacter. Elle connaissait Allen depuis longtemps et elle savait qu’il était à la fois très spirituel, très sexy, même funky, et qu’il avait un goût très fin en matière de vêtements. Elle le savait riche. Il vivait comme un prince - Well if I can be a prima donna, Allen can be Mr Cool - Elle poireauta toute la semaine et commençait à perdre patience - Getting madder by the minute.

Au bar de l’hôtel, elle entendait des rumeurs à propose de soirées, mais les soirées d’Allen étaient toujours privées - Everything about Toussaint was private - Pour la consoler, Allen lui faisait porter de fleurs, des bonbons et des petits mots d’excuse. Son chauffeur venait même la chercher en limousine pour l’emmener dans un restaurant chic où on lui servait les spécialités de la Nouvelle Orleans. Mais au bout de deux semaines, Etta sentit qu’elle commençait à devenir dingue - I was going a little nuts. I still hadn’t laid eyes on Mr. Cool - Puis un soir elle entendit le barman dire qu’Allen était arrivé dans une fête, juste en face de l’hôtel. Au moment où elle arriva, elle vit partir la Rolls d’Allen. Elle sauta dans un taxi et demanda au chauffeur de suivre la Rolls. Ils arrivèrent devant la propriété d’Allen et entrèrent dans le parc à la suite de la Rolls. Allen sortit de sa Rolls et lança : «Etta ! Quel bonheur de te voir !». Mais elle n’était pas d’humeur à badiner : «Arrête ton char, Benhur, faut qu’on cause !». Il la fit entrer chez lui et la conduisit dans son studio. Il y trônait un grand piano à queue. Elle vit qu’il portait des sandales comme Jésus et que ses orteils étaient particulièrement bien soignés. Quand il enleva son veston, elle vit qu’il portait une chemise sur mesure. Il alla au bar et servit deux verres de cognac Louis XIV. Il parla un peu de Jésus, mais Etta n’était pas d’humeur à badiner. Alors Allen s’inquiéta. Il lui demanda la raison de sa colère. C’est là qu’elle explosa - Goddamnit Allen ! - Elle lui reprocha de l’avoir fait poireauter deux semaines dans un hôtel - Who the hell do you think you are ? - Elle l’accusa de ne s’intéresser qu’à son nombril, elle annonça qu’elle avait autre chose à faire et qu’elle en avait marre de ses conneries. Allen qui commençait à chercher des notes au piano l’encouragea à continuer de s’énerver - That’s great ! - Etta devint blanche - What’s great ? - Il lui demanda de continuer à s’énerver toute seule - Don’t stop ! - Mais cette fois il chantait la phrase, et il enchaîna - Don’t stop your teasing - Il composait une chanson sur le tas ! Etta n’en revint pas - The boy wrote a song. A beautiful song - C’est ainsi que Mr Cool prit Miss Prima Donna en main. Elle voyait ses mains courir sur le clavier et elle  était bouleversée - I like that groove. I like it a lot. Don’t stop !

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Ce cut allait se retrouver sur l’un des plus beaux albums d’Etta James, l’imbattable «Changes» produit par Allen Toussaint.

L’histoire artistique d’Allen Toussaint remonte au tout début des sixties. Joe Banashak cherchait un directeur artistique pour son label Minit. Il fit appel à Harold Battiste qui déclina l’offre mais qui proposa à sa place Allen Toussaint, un jeune pianiste virtuose, timide et réservé, qui avait été découvert par Dave Bartholomew et qui avait déjà joué pour Fats Domino. Allen composait alors à tours de bras et avec la bénédiction de Banashak, il signa sur Minit Irma Thomas et Ernie K-Doe. Bientôt les hits commencèrent à pulluler dans les charts, à commencer par «Ooh Poo Pah Doo» de Jessie Hill, enregistré au studio de Cosimo Matassa. Puis le fameux «Mother-in-law» interprété par Ernie K-Doe - Ernie was very theatrical character - Allen raconte qu’il était jaloux de James Brown. Allen composa aussi des hits fabuleux pour Irma Thomas - Her voice inspired me to write songs. It still does - et Aaron Neville. Puis Minit fut avalé par Imperial, qui fut à son tour avalé par Liberty.

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Allen se souvient aussi du bon temps qu’il passa avec Lee Dorsey au Sugar Bowl de Thibodaux, en Louisiane - We would go to clubs, we rode Harley-Davidsons together and we raced Cadillacs. We had a good time - Lee aimait bien chanter des paroles comiques - You could never write ‘Working In The Coal Mine’ for Luther Vandross or Teddy Pendergrass - Allen composait pour Lee Dorsey.

En 1970, il produisit trois albums majeurs : «Yes We Can» de Lee Dorsey, l’album d’Ernie K-Doe et «Toussaint», son premier album solo. En plus, Allen fricotait avec Dr John, Paul Simon et Patti LaBelle.

En 1973, Allen monta le label Sansu avec Marshall Sehorn et en créant le fameux Sea-Saint studio, il prit la suite de Cosimo Matassa et devint le point de mire du New Orleans sound - When Cosimo had to close his studio, we opened Sea-Saint - Comme house band, Allen avait les Meters, un groupe monté par Art Neville - He always had magic - Pour Allen, les Meters n’étaient pas un groupe ordinaire - They were making history - Ils accompagnent d’ailleurs Dr John sur «The Right Place» et «Desitively Boonaroo». Sur Sansu, Allen signa Betty Harris, Benny Spellman et Diamond Joe. Des tas d’Anglais commencèrent à traverser l’Atlantique pour venir enregistrer au Sea-Saint : Robert Palmer, Jess Roden, Frankie Miller - Frankie Miller, I could write forever for him. And he’s not an imitator.

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Ses débuts discographiques remontent à 1958, avec «The Wild Sound Of New Orleans». Il se faisait alors appeler Tousan. Il ne jouait que des instros et quelques uns comme «Whirlaway» étaient particulièrement endiablés. Sa virtuosité éclatait à tous les coins de rue.

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En 1992, Bear Family fit paraître l’intégrale des Tousan Sessions et on retrouvait cette ambiance typique des brass bands de la Nouvelle Orleans, funéraires et joyeux à la fois. S’il fallait en retenir quelques uns, alors ce serait «Nashua», extrêmement emballant, ou «Moo Moo» joué sur un beau thème d’orgue, ou même «A Lazy Day», étrange et doux, joué au petit piano et soufflé au doux du sax. On sentait alors une patte indéniable.

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L’affaire se corse avec la parution en 1970 de son premier album «Toussaint», sur Scepter, le label des Shirelles. C’est avec cet album qu’il installe sa légende, car «From A Whisper To A Scream» est ce qu’on appelle une mélodie immédiate. On sent dès l’intro que son groove s’inscrit dans le marbre du temps. Ce n’est pas un groove ordinaire, il s’agit au contraire d’un groove diabolique qui flatte les fusibles, qui va là où aucun doigt ne va, c’est une science de l’intrinsèque qui n’appartient qu’à lui. Avec «Chokin’ Kind», on reste dans le meilleur groove de nonchalance qui soit et on comprend à ce moment-là qu’on a dans les pattes un énorme album. Ce cut est mélodique en diable, visité par des notes de basse de bas de manche, et dans les cœurs on retrouve Venetta Fields qui fut l’une des prestigieuses Ikettes, ainsi que Merry Clayton. Ces deux reines font des merveilles. En bout de face, on tombe sur un «Everything I Do Gonna Be Funky» digne du grand Pops. De l’autre côté, Allen ne propose que des instros, mais c’est du très haut de gamme, comme ce «Cast Your Fate To The Wind» qui est connu comme le loup blanc des steppes ou encore «Number Nine», une merveille universelle.

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Au dos de la pochette de «Life Love And Faith» paru en 1972, on nous rappelle qu’Allen adore bricoler sur le 8 pistes de Cosimo et rouler en Harley. Les Meters accompagnent Allen sur ce disque qui sonne forcément très funk. Zig et George sortent le grand jeu. Rappelons qu’il s’agit là de l’une des sections rythmiques les plus légendaires de l’histoire du rock. Et ça swingue dès «Victims of Darkness». On passe à la pure funky motion avec «Am I Expecting Too Much». Si vous voulez danser le jerk du crabe des cocotiers, alors il faut écouter «Goin’ Down», un heavy groove de rock au son mordant, doo doo whap, riffé à la sauce New Orleans, avec un piquant effroyable. Allen semble darder ses rayons jusqu’à l’horizon de tous les mythes. D’autres énormités guettent l’amateur de booty en B, par exemple cet effarant «Soul Sister» - Hey you with the curly bush on your head baby - et les filles qui font Thank you brothah thank you baby - On se régale aussi d’«I’ve Got To Convince Myself» plus poppy, admirablement rythmé à l’épisodique, les instruments interviennent par petites phases successives dans le respect du swing. On pense à Pops, bien sûr. Oh et puis ce «Gone Too Far» et sa belle partie de guitare ! Allen termine ce fantastique album avec «Electricity». Il branche sa mélodie sur le groove et ça prend des allures de hit interplanétaire. C’est joué au pouet de George Porter, et derrière ça gicle à coups de demi-mesures et de Hey qui rappellent les Four Tops.

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«Southern Nights» est un album clé pour deux raisons. Pour sa pochette d’abord qui évoque cette paix à laquelle Allen enfant fut habitué. Grâce à ses parents, il put goûter aux bienfaits du paradis et c’est précisément ce qu’il raconte dans le morceau titre qui est de la magie pure. C’est presque exotique, au sens où Jean Gabin parle de la Chine dans «Un Singe En Hiver». Il semble que la mélodie s’inspire involontairement du «Honey Pie» des Beatles. Bizarrement, le cut suivant qui s’appelle «You Will Not Lose» sonne comme un cut des Beatles. On retrouve bien évidemment les Meters sur ce bel album. De vieux relents de Congo Square remontent dans «Worldwide» et cette incroyable pièce de funk qu’est «Country John» est emmenée en balade par l’autre fou, George Porter. On sent ces corrélations nouvelles et affreusement modernistes. On se régalera aussi de «Basic Lady», un r’n’b bien senti et alerte, avec, serti dans la fin de cut, le thème mélodique de «Southern Nights». Mais tout est irrésistible sur ce disque. Un cut comme «When The Party’s Over» n’a l’air de rien comme ça avec son émincé de groove de bonne guerre, mais quand on a des musiciens d’exception au cul du beat, ça change la mise, Arthémise.

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Dernier album de l’âge d’or, voilà «Motion» paru en 1978 et produit par Jerry Wexler. Allen attaque avec le «Night People» qu’il avait composé pour Lee Dorsey, un funky strut effectif. On retrouve Etta james et Bonnie Raitt dans les backing ! Elles font des hanging out extraordinaires ! Avec «Lover Of Love», Allen fait de la pop de soul et chante avec une finesse de ton sucré. Il laisse planer le doute sur ses syllabes. Si on apprécie le groove de satin jaune, alors il faut écouter «To Be With You» - You are the beauty that catches every eye yeah yeah - C’est violonné comme dans un rêve. En B, il revient à la funky motion avec «Viva La Money», bien épaulé par Etta et Bonnie, alors attention, c’est le cut des rêves les plus fous. Allen joue les charmeurs avec «Declaration of Love», revient à la pop de soul cuivrée avec «Happiness», où il frôle de Stevie Wonder et termine avec un chef-d’œuvre de good time music intitulé «The Optimism Blues», accompagné par l’immense Venetta Fields.

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«Connected» paru en 1996 reste un album solide, qu’il démarre avec de la good time music d’élégance suprême, «Pure Uncut Love». Le hit de l’album est probablement «Funky Bars», un instro digne des Meters. Il tape dans ses compos célèbres comme «Get Out Of My Life Woman», dont Lee Doesey avait fait un hit. Le morceau titre est lui aussi très pimpant. Allen s’amuse bien avec son histoire de connection. Son «Aign Nyee» est assez africain dans l’esprit. Il fait de la cosmic Africana, comme Taj Mahal. Il chante «In Your Love» à l’extrême délicatesse du bonheur de vivre à la Nouvelle Orleans. Il chinoise son effet mélodique dans un souci de raffinement complaisant de bonne guerre mais aussi de bonne augure. S’ensuit un nouvel instro, «All Of It», solide comme le phare du bout du monde et on tombe ensuite sur une merveille absolue, «Wrong Number» - Everytime my telephone rings/ I’m scared to death - C’est un slowah de charme extrême qu’il chante d’une voix luisante de mille promesses. Les filles qui l’appellent sont des filles qui se trompent de numéro, alors Allen répond «wrong number, sorry goodbye». Il fait les Drifters à lui tout seul. Imparable.

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«The Bright Mississippi» paru en 2009 est un album étrangement calme. Comme par hasard, le morceau titre est une compo de Monk. Allen revient aux sources du jazz New Orleans («Egyptian Fantasy», «Singing The Blues») et à St James («Dear Old Southland»). Avec «West End Blues», on est dans un autre monde, le retour aux sources du jazz américain, mais le jazz de blues. C’est toute la mélancolie d’une autre époque, une musique à la fois languide et funéraire. C’est terrible. On sent le Quartier français dans «Blue Drag», c’est sacrément velouté et joué dans un esprit de mystère complet, pas loin de ce que fait David Lynch quand il touche à la Nouvelle Orleans. Il faut aussi entendre «Just A Closer Walk With Thee», qui sent la nostalgie, grâce à la clarinette magique. Oh, il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Avec le morceau titre, il va au tatapoum du rempart, c’est du gumbo de fanfare ! Incroyable, c’est chatoyant et plein comme un œuf. C’est joué à l’ancienne dans le foutraque de beat de grosse caisse. Tout simplement incroyable ! On retrouve le jazz de trompette bouchée à l’émeri dans «Day Dream» et on tombe plus loin sur un «Solitude» gratté aux notes millésimées. Il laisse le jeu se faire dans la lumière du soir, comme au temps béni des Southern Nights. C’est une sorte de magie qui n’existe nulle pat ailleurs. Allen pianote dans l’atmosphère délibérée d’un gratté d’éparpillement. C’est unique dans l’histoire de l’éparpillement. Il redit à travers ça qu’il a tout son temps, même si la mort approche, mais au fond ce n’est pas si grave, car de toute façon les notes coulent comme des gouttes d’or dans le groove des dieux du paradis. Allen le saint joue avec un certain Marc Ribot qui gratte sa gratte au paradis de la flibuste, loin, là-bas au large de tout, dans l’univers des rivières de diamant. On peut seulement rêver, car ce monde n’est pas le nôtre.

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«Songbook» fait nécessairement partie des disques de l’île déserte. On y entend Allen créer les conditions de l’intimisme avec des chansons intemporelles, comme ce «It’s Raining» qu’il composa pour Irma Thomas en 1962. On retrouve des traces de Coal Mine dans l’excellent «Who’s Gonna Help Brother Get Further» et la fameuse soft shoe approach dans «Holy Cow». Belle expression, tant il est vrai qu’on peut marcher sur des œufs élégamment. On retrouve aussi le fantastique balladif «Freedom For The Stallion» que tout le monde a repris, de Lee Dorsey à Boz Scaggs en passant par Three Dog Night. Avec «St James Infirmary», on retombe dans le funéraire joyeux qui colle si bien à la Nouvelle Orleans et l’admirable petit groove de «Soul Sister». Tout aussi magnifique, voilà «Old Records» chanté en duo avec Irma. Il fait un festival de cajun avec «I Could Eat Crawfish Everyday» - laissez bon temps rouler, I could eat crawfish everey day - Pure magie de la Nouvelle Orleans, telle que la décrit aussi Dr John dans son album «Gumbo». Il rend ensuite un hommage vibrant à New York avec «There’s No Place Like New York». Notons au passage que sur la pochette, Allen est sapé comme un prince, et sur une autre photo, à l’intérieur de la pochette, il pose le pied sur le pare-choc de sa Rolls pour bien nous montrer qu’il porte toujours des sandales, comme au temps béni de l’épisode Etta James, dans le Quartier français. Et là on arrive à une sorte de chef-d’œuvre qui franchement dépasse tout ce qu’on peut imaginer : une version longue de «Southern Nights», où il relate dans le détail son idyllic childhood spent in the Louisiana country side. Il parle plusieurs langues, il évoque sa mère Noami Neville, my father Clarence, et il revient sur the spirit of the song. - It’s like a movie for me, a story of what happened when I was 6 or 7 - C’est hallucinant - Hank you - Good Lord, écoutez cette version car comme Marvin dans «What’s Going On» ou Monk dans «Crepuscule With Nellie», Allen Toussaint y sonne comme Dieu.

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Attention, il faut prendre les compiles qui le concernent très au sérieux, à commencer par l’indispensable «A Bit Of New Orleans» paru sur NYNO Records en 1998. Allen y fait deux brèves apparitions, et il laisse le champ libre à d’incroyables artistes. On se croirait revenu au temps de la pétaudière de Cosimo Matassa. On tombe rapidement sur un nommé James Andrews et son «Got Me A New Love Thing». C’est du gras de la Nouvelle Orleans, un fabuleux chanteur et des chœurs de mecs à la traîne. Voilà un cut pris à la meilleure décontracte du monde et le solo de trompette vient encore repousser les frontières de l’admirabilité des choses ! Wow, les chœurs sont une véritable bénédiction. Ce qui suit est encore pire : Raymond Myles avec «Jesus Is The Baddest Man In Town». Voilà le gospel des enfers, la pure démence de la latence. C’est certainement le plus gros coup de gospel batch qu’on ait entendu ici bas, c’est équivalent à l’énergie d’une armée qui monte à l’assaut des remparts ennemis, oui, car le gospel de Raymond explose la nef et la voûte et tout le saint-frusquin. Et voilà Raymond qui entre dans le groove comme un empereur sur son char, et il chante à la perfe démoniaque. Au dessus ? Rien ! Il incarne le firmament ! On assiste là à l’écrasante victoire de la beauté pure et soudain une folle arrive pour chanter à l’arrache, alors ça explose de plus belle dans l’église, comme chez Aretha. Il n’existe rien de plus spectaculaire que le gospel batch. Raymond chante au feeling pur comme Marvin. Il remonte le flux à contre-courant et fulgure pour l’éternité. On tombe plus loin sur un fabuleux coup de r’n’b, Larry Hamilton avec «Black Hub». Il chante ça sous le boisseau et ça tourne aussitôt à l’énormité, dans les règles de l’art avec des filles qui font a-ahhh, ah-ahhh et des ohh qui en disent long sur l’élasticité groovitale. C’est à se damner. On entend plus loin un certain Wallace Johnson jouer comme Albert Collins, et le New Birth Brass Band tape «Smoke That Fire» au cha-cha-cha africain. Encore une perle de r’n’b avec Oliver Morgan et son «It’s All About You», un cut digne des hits de Rufus Thomas, mais en plus énorme, et chanté à la vraie voix, comme si c’était possible. Accompagné par Tricia Boutté, Allen Toussaint referme la marche avec «Sweet Dreams», pure merveille romantique montée sur l’une de ces mélodies dont il a le secret. Il va toujours chercher des grooves incroyablement purs.

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En 2007, Ace/Kent a publié une belle compile intitulée «What Is Success (The Scepter And Bell Recordings)». On y retrouve le premier album d’Allen paru sur Scepter et tous ces singles qu’on ne peut plus acheter dans les Monoprix comme avant. On le sait, Allen vise systématiquement l’élongation maximale du groove et pas mal de morceaux sonnent comme ceux de Leon Russell qu’on entendait à l’époque. On retrouve même des petits échos du Midnight Rambler de Stones dans «From A Whisper To A Scream». On retrouve aussi le fabuleux «Number Nine», un instro de rêve, mélodique et enjoué. Et plus loin une version chaude de «Working In The Coal Mine» où Venetta Fields et Merry Clayon font des ravages. Encore un groove de rêve avec «I’ve Got That Feeling Now» et trouve vers la fin une version dynamique de «Tequila» jouée aux congas et au piano.

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Fantastique compile aussi que ce «Rolling With The Punches. The Allen Toussaint Songbook» paru chez Ace récemment. On y entend chanter la crème de la crème de la Nouvelle Orleans. À commencer par Ernie K Doe avec «Here Come The Girls» qui sonne comme l’une des pires pépites de juke qu’il soit donné d’entendre ici bas. C’est battu au tambour militaire et Ernie chante avec tout le pathos des Temptations. Sacré Ernie, c’est un cadeau. Et puis voilà Boz Scaggs qui chante lui aussi comme les Temptations. Quel sacré groover ! Avec «Hercules», on voit bien qu’il raffole de cette soul magique. Notre bonne Bonnie s’y met aussi. Avec «What Is Succcess», elle groove comme tous les saints du paradis. Lee Dorsey est bien entendu celui qu’il faut suivre en priorité. C’est lui la bête. La preuve ? «Occapella». Aaron Neville chante toujours comme un ange et on retrouve le génie interprétatif de Don Covay avec «Everything I Do Gonh Be Funky». Il sait indéniablement booster le booty, c’est un prince et il s’appuie sur l’un des plus beaux beats de tous les temps. On reste chez les géants de cette scène avec les Meters et «Ride Your Poney», pur génie, Zingaboo bat comme un diable et George Porter suit au strutting. Allen Toussaint prend «Soul Sister» à la bonne franquette du groove symbolique. C’est véritablement énorme et chargé de tout le feeeling de la terre. Voilà qu’arrive ensuite un autre géant, Solomon Burke, avec «Get Out Of My Life Woman». C’est suivi à coups de trombone. Encore une pure énormité. De toute façon, cette compile est atrocement dense. Tout est bon, là-dessus. D’autres immenses interprètes comme Irma Thomas, Frankie Miller et les Pointer Sisters suivent. Et puis on tombe sur une pure pépite de juke : «Fortune Teller» par Benny Spellman. Un merveilleux groove de mambo joué au plus profond du pathos des Caraïbes et complètement secoué au sableur. Bill Medley des Righteous Brothers prend «Freedom For The Stallion» au plus profond de son baryton et Robert Palmer secoue les cocotiers avec «Sneakin Sally Thru The Alley», accompagné bien sûr par les Meters. Maria Muldaur fait un carton avec «Brickyard Blues». Elle dispose d’une vraie voix et elle prend tout de suite le cut à la bonne hauteur. Elle chante avec un chien épouvantable. Elle est sans aucun doute la Honky Tonk woman de rêve. Lowell George chante lui aussi d’une belle voix d’écorché vif. Quand on entend «What Do You Want The Girl To Do», il sonnerait presque comme un smooth black dandy. Ça donne une pure merveille de luminosité et d’incitation au rêve de groove. Finalement, ces trois blancs (Lowell, Boz et Frankie) s’en sortent avec les honneurs, mais des trois, c’est Lowell le meilleur. Il embarque son truc très haut dans les contreforts épidermiques. Dans son interview de 2014 pour Uncut, Allen rend un vibrant hommage à Lowell George - Lowell George was one of the hippest guys I met in my life - Allen dit qu’il était encore jeune et qu’il avait la philosophie et la maturité d’un vieil homme. Allen adorait sa fréquentation. S’ensuit «I’ll Be Rolling» par Millie Jackon. On sent la présence d’une voix prégnante et on retrouve la suprématie de la grandeur millique. Quelle immense chanteuse ! Lee Dorsey revient faire un tour de «Holy Cow» et Glen Campbell ferme la marche avec une version de «Southern Nights». Il en fait de la good time music et ce sera l’un de ses seuls hits en 50 ans de carrière. Ça sonne comme un cut de l’Album Blanc des Beatles. L’ombre de «Honey Pie» repasse. C’est la même chose.

Signé : Cazengler Toussaint glin-glin..

Tousan. The Wild Sound Of New Orleans. RCA 1958

Allen Toussaint. Toussaint. Scepter Records 1970

Allen Toussaint. Life Love And Faith. WEA 1972

Allen Toussaint. Southern Nights. Reprise Records 1975

Allen Toussaint. Motion. Warner Bros. Records 1978

Allen Toussaint. Connected. NYNO Records 1996

Allen Toussaint & Friends. A Bit Of New Orleans. NYNO Records 1998

Allen Toussaint. The Bright Mississippi. Nonesuch 2009

Allen Toussaint. Songbook. Rounder Records 2013

Allen Toussaint. What Is Success (The Scepter And Bell Recordings). Kent Records 2007

Allen Toussaint. The Complete Tousan Sessions. Bear Family Records 1992

Rolling With The Punches. The Allen Toussaint Songbook. Ace Records 2012

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The Blues Magazine #11. January 2014. In The Right Place by Alice Clark

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Uncut #214. July 2014. Allen Toussaint by Richard Williams


FRAGMENTS D'UN AMOUR SUPRÊME

JEAN-FRANCOIS JACQ


( Editions Unicité / 1° Trimestre 2016 )

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Déchiré. Déchirant. Un livre dont on ne sort pas intact. De Jean-François Jacq nous avons déjà chroniqué Bijou : Vie et Mort d'un Groupe Passion et deux écrits biographiques intitulés Heurt Limite et Hémorragie à l'Errance, ( in KR'TNT 252 du 22 / 10 / 15 ) deux livres pas particulièrement musicaux mais il est des existences bien plus rock que de nombreux morceaux dûment enregistrés sur disque... Certains naissent avec une cuiller en bois de rose dans la bouche. Poétique manière de dire que de la vie ils ne connaîtront que les épines. Les plus acérées. Faut un sacré courage quand on est mal parti. Désamour des parents et très tôt, la rue, la faim, le froid, le mépris... Très beau quand c'est raconté dans un roman de Dickens, très dérangeant quand c'est un de nos contemporains qui témoigne. A part que ce n'est pas un témoignage. En des conditions sordides Jean-François Jacq a réalisé la grande opération alchimique, il a transformé le plomb de de la souffrance humaine en or poétique. L'emploie des mots qui ne ronronnent pas en de beaux alexandrins alanguis sur les coussins du canapé, sont des chats efflanqués l'échine couverte d'ulcères et de pustules, qui bavent et griffent avant de s'enfoncer dans les ténèbres des nuits les plus noires. Des textes borderline, des pèse-nerfs à la Antonin Artaud, une écriture du corps, écorché et supplicié. Littérature limite.

Fragments d'un Amour Suprême, le troisième tome de la trilogie maudite. L'Amour Suprême, la musique de Coltrane ce souffle divin continu, ce trait de feu qui vous brûle toujours plus profondément et le fantôme de Villiers de L'Isle-Adam, l'auteur des Contes Cruels – tout un programme - qui dormait dans les maisons en construction et faisait office de punching ball vivant dans un cours de boxe... il est des patronages qui ne pardonnent pas. C'est pour cela que certains les méritent.

Le livre se résume en trois lignes. Jean-François Jacq rencontre Daniel, l'amour de sa vie – c'est fou comme, présenté ainsi, cela fait tarte. Vivront un peu moins de six mois ensemble. La récidive du cancer de Daniel mettra un point final à cette histoire. A cette relation. A cette embellie. Pas vraiment joyeux. L'on a envie de passer à autre chose. Triste, mais tout compte-fait, on n'y peut rien. Les arrangements de la lâcheté...

Mais le problème n'est pas là. Réside dans la plaie béante. Celle de la vie. Celle de l'écriture. Attention parfois les mots sont des fils de fer barbelés. Posons le décor : une petite ville de province, peuplée d'ignorance et de bêtise. Crasse intellectuelle et rognures pourrissantes d'affectivités tronquées. Pour les personnages vous connaissez déjà : Daniel et Jean-François. Deux destins parallèles. Deux lignes brisées. Deux miroirs. Daniel n'est qu'un gamin amoché par la vie. Jean-François tout aussi cabossé mais qui possède sa niche écologique de survie aléatoire. Difficile de faire avec moins.

Manque une ombre au tableau. La misère. Ce n'est pas une abstraction. Considérez-la comme une matière fécale qui emplit et empuante le monde de nos héros. Très fatigués. Peu fringants. Ne se battent pas pour les beaux yeux des grands principes. Se collètent avec les réalités sordides. Le manque d'argent, le manque d'entregent, le manque de tout. Le manque de rien aussi. N'ont qu'une arme pour se défendre : leur solitude. Le couple primordial reconstitué se suffit à lui-même. N'ont besoin de personne d'autre. L'œuf cosmique originel terminera en omelette tragique.

Descente aux Enfers. Dantesque. La pauvreté ne réside pas uniquement dans le bas de laine percé de nos économies. L'a ses quartiers dans la tête des gens. Que ce soit celle du lumpen-prolétariat, ou celle de l'élite de la nation. Dans les deux cas, c'est à hurler. L'envie de s'emparer d'un fusil et de tirer dans le tas. Mais en faisant attention à ne pas rater la cible. Cela ne règle pas les problèmes mais vous aurez l'excuse d'avoir été emporté par vos impressions de lecture. La suffisance est partout, que ce soit dans le quart-monde ou dans le staff supérieur des services hospitaliers. L'est généreux, notre auteur, ne le dit jamais explicitement, ne tombe pas dans le piège de la dénonciation sociologique. Reste au plus près de l'os de l'amour. la misère attire les vautours voraces qui se nourrissent de votre chair sanguinolente. Les aigles royaux aussi, qui vous conchient sur la gueule uniquement parce que vous faites partie des misérables.

Pauvres amants, il ne leur reste que quelques parcelles de bonheur volées au temps qui fuit, à la mort inexorable qui s'avance. Rares fragmences, dans ce torrent de boue qui coule et emporte tout au fond de la tombe. Fermez les yeux, écarquillez-les, cela ne changera rien à l'affaire.

Deux individus emportés comme des fétus de paille, pris dans une logique existentielle qui les dépasse. Une histoire individuelle, personnelle qui ne regarde qu'eux. L'écriture de Jean-François Jacq agit comme un révélateur. C'est la cruauté de notre société qui est mise en exergue. Dans toutes ses strates. Dans son fonctionnement intime. Effet de loupe grossissante sur la laideur du monde. Ces Fragments d'un Amour Suprême sont destructifs. Ne laissent qu'un champ de ruines. Après leur lecture vous ne pouvez plus croire en l'opérativité efficiente de la rédemption amoureuse. Quant au réconfort que pourrait vous apporter la collectivité, vous comprenez vite que ce n'est qu'un leurre, un mythe, une consolation pour les esprits calibrés des midinettes. L'innocent, le faible, le fragile sont condamnés. Sont étouffés par le nœud de serpents qui leur sert de matrice. C'est ce qui vous a enfanté qui vous tue. Lentement, mais sûrement.

Une romance avec paroles de colère en sourdine, vieille d'un tiers de siècle. Jean-François Jacq a survécu. Sans mélo. Avec fierté et dignité. Car ce qui vous tue, vous rend aussi plus fort. L'urne funéraire de Daniel repose dans son colombarium. Mais le mélange est hybride, des deux côtés de la pierre tombale. Un peu de l'un et un peu de l'autre. Daniel se promène encore dans notre monde porté comme un fœtus de vie palpitante dans la tête de Jean-François Jacq, et ce dernier possède un fragment de lui, entièrement mort, en résidence perpétuelle dans les cendres du néant. Ces Fragments d'un Amour Suprême, sont et d'outre-tombe, et d'outre-vie. Ne sont pas un simple livre mais un objet auréolé de néant posé comme un bibelot animé sur les crédences de nos existences. Transmutation métaphysique de la physique des corps. Réalisation orphique.

Âmes insensibles s'abstenir, vous y perdriez votre sérénité.

Un grand livre.

Damie Chad.

 


ELVIS CADILLAC

KING FROM CHARLEROI

NADINE MONFILS

( Editions fleuve / Mars 2016 )

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Elle a la frite et elle est belge. Nadine Monfils a déjà publié une trentaine de romans. Sa bibliographie fait rêver : un Nickel Blues en 2013, Contes pour Petites Filles Perverses en 2005 aux éditions de La Musardine – signe de qualité puisqu'ils publient les textes érotiques de Pierre Louÿs – et sa série aux titres désopilants Mémé Cornemuse. Rien qu'à ce court énoncé, vous l'avez compris elle n'écrit pas des bouquins dans lesquels on s'ennuie. Et puis les rockers c'est comme les chiens de Pavlov, vous mettez Elvis dans le titre et une cadillac rose sur la couverture, ils sortent leur porte monnaie sans réfléchir une nano seconde. Tout juste s'ils ne lèvent pas la patte sur les jantes de la berline pour marquer d'un pis appropriateur leur contentement.

Ne peux pas vous résumer l'intrigue, ce serait gâcher votre plaisir. Ne vous donne que le strict minimum : l'anniversaire d'Olivia octogénaire, la réunion d'un panier de crabes, pardon je voulais dire d'une famille, en fait comme ils sont friqués ce serait plutôt des langoustes - qui tourne mal. Pour la parenté, car pour le lecteur c'est la franche rigolade. Je vous rassure le récit est très moral, les bons se récompensent eux-mêmes et les méchants sont punis par là où ils pêchent. Ne vous réjouissez pas trop vite, une fois le bouquin refermé vous vous dites que Nadine Monfils ne partage pas une vision très optimiste quant à l'état de notre société. Ne répondez pas que vous aussi, vous pensez que blablabla, blablabla... Ce n'est que le premier étage de la fusée. La communauté humaine n'est que les ramassis de la totalité des individualités. Et si le niveau ne s'élève pas bien haut selon notre auteur c'est que les unités qui la composent ne pèsent pas lourd. Développe une vision de l'individu plutôt noire, le truc à faire passer Le Monde comme Volonté et Représentation de Schopenhauer pour le prospectus de vos prochaines vacances sur une île paradisiaque du Club Méditerranée.

Vous vous en moquez, ce qui vous intéresse, c'est la Cadillac. Elle n'est pas à vendre. Son propriétaire y tient comme à la prunelle de ses yeux. Normal, c'est un rocker. Un vrai. Un pur. Tout petit il a été traumatisé. Pas parce que sa mère l'a abandonné dans un restaurant. Une petite misère de la vie, le genre d'évènement qui ne vous empêche pas un jour d'entendre un bon disque d'Elvis Presley. N'en faut pas plus pour orienter une vie. Le petit Elvis, réalisera son rêve, deviendra le King de Charleroi. Le Presley local, le Pelvis du pauvre. Fait partie de ces personnages que l'on n'aime guère. Au mieux, on les plaint, l'on s'apitoie sur leur déficit de personnalité. On explique leur regrettable travers avec les fumeuses théories de Tonton Sigmund... Au final l'on préfère en rire, s'en moquer, s'en gausser. Une façon d'évacuer la gêne que le fan ressent devant ces caricatures, non pas de ses idole, mais de lui-même. Le sosie n'est peut-être pas un misérable clone, une grossière décalcomanie d'un rêve inatteignable. Pourquoi ne serait-il pas une suprême forme d'appropriation, une incarnation christique faite homme ? Si le ridicule – entendez par ce mot le rire jaune des imbéciles qui ont peur de ne plus être leur propre nullité - ne tuait pas, le monde serait vraisemblablement peuplé de millions d'Elvis.

En tout cas, l'Elvis de Nadine Monfils ne se prend pas pour Presley. Connaît ses limites. N'est pas Elvis, n'est pas sa réincarnation, n'est pas son imitation, l'est simplement un gars qui vit sa vie selon son idole. Point à la ligne. Chacun son rôle, certains sont électriciens, d'autres docteurs en physique nucléaire, ou gardienne d'immeuble, lui l'est un gars qui n'a rien trouvé de mieux que d'être l'Elvis de Charleroi. Ne se prend pas pour dieu le père. N'en a ni la voix, ni le physique. Anime les mariages, les communions et les enterrements. N'en veut pas davantage. Son appart, sa chienne, sa Cadillac, bouffer et croûter tous les jours, que voulez-vous de plus ? Se contente de peu, mais possède l'essentiel. Et peut-être même l'absolu.

Si Nadine Monfils avait voulu écrire une thèse, sans doute l'aurait-elle intitulée : Défense et Illustration du Sosie, et se serait-elle enfoncée dans de sordides développements psycho-sociologiques que personne n'aurait jamais lus – surtout pas les membres avachis de son jury de thèse qui lui auraient attribué son titre de docteur... car connaissant la vie universitaire elle n'aurait pas oublié de leur faire à chacun une petite pipe en bois de bite molle avant la remise du prix. Mais c'eût été moins désopilant pour nous pauvres lecteurs privés de gâterie. Je parle du roman, bande de saguoins aux idées mal / bien ( rayez la mention inutile ) placées. De toutes les manières Elvis a suscité dans la littérature mondiale nombre de romans phantasmatiques. Vous pouvez poser celui-ci sur la dessus de la pile.

Damie Chad.

 

LIVE IN DEAD CITY

CRASHBIRDS


BLACK THURSDAY / STEAMROLLER / NO LEFT NO RIGHT / DEAD CITY / I WANT TO KILL YOU / NO FUN FOR PUNKS / HARD JOB / A PERFECT WORLD / THE LIONS / NEON BAR / SOMEONE TO HATE / MONEY / SPANISH BLUES.


Vocals & Rhythm Guitar : DELPHINE VIANE / Lead Guitar & Crashbox : PIERRE LEHOULIER.

Production : Crash Association. Enregistré live en mars 2015.

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Magnifique pochette. Deux pauvres corbeaux sur leur branche, interdits de villégiature dans la Cité Morte. Mur de briques impitoyable à l'arrière. Votre âme apitoyée compose déjà le numéro de la SPA ornithologique que vous remarquez les grosses lunettes de motard qu' arborent nos corbacks perchés. La donne change. Les deux petits malheureux zoziaux transis de froid que personne n'aime se parent du farouche statut des asociaux, des guerriers urbains, des résistants de l'ultime heure qui s'obstinent à squatter les espaces interdits de la civilisation occidentale agonisante. Une belle métaphore de la survie du rock and roll en nos sociétés déchiquetées par le profit.

Tout cela révélé par le seul logo du groupe. Moins célèbre que la langue des Stones mais tout aussi efficace. Les Crashbirds le déclinent aussi sur leurs affiches et flyers de concerts. Une parfaite réussite : rien qu'en voyant le logo vous entendez le groupe. Un totem.


Black Thursday : guitares grondantes qui bousculent le son, la voix de Delphine Viane qui plane comme un écho menaçant au-dessus du désastre. Une intro comme on les aime sonnante et trébuchante. C'est nous qui tombons. Steamroller : Delphine allume le feu, un binaire appuyé qui martèle la cadence, elle chante comme on jette du sel sur les épaules de suppliciés, et sur la fin la guitare de Pierre Lehoulier se taille de vaste espaces cisaillés de ferrailles cadencées. No Left No Right : la guitare qui sonne comme une charge de cavalerie, la crash box qui martèle le pas des chevaux, Delphine crie d'exaltation et d'exultation, séquences rythmiques qui se suivent et s'emmêlent comme une couronne d'épines. Dead City : morceau titre, balancé à outrance, saturé de guitares et la voix de Delphine mène et accentue la transe. Solitude des grandes cités lovecraftiennes abandonnées au milieu des déserts interdits, la menace qui rampe partout, qu'il faut combattre quand elle vous saute à la gorge. Infâmes gargouillis de guitares. Parfois la vie est une erreur. Abominable délectation. I Want to Kill You : une chanson d'amour qui tue, un blues de mort, réveil au petit matin blême, cette envie de sang qui vous prend, faut l'étancher dans les flaques d'hémoglobine du premier venu, comme du dernier arrivé, votre vie est un hall de gare, envie folle de délivrer un billet pour l'au-delà... Pierre pave le chemin de toutes les bonnes raisons de vos mauvaises intentions et Delphine s'introduit en vous comme la lame transperçante du couteau. Si ma guitare était un fusil chantaient autrefois les folkleux, ne croyaient pas si bien dire. No Fun For Punk : pas de pitié. Le titre précédent le laissait présager. Pierre abat les riffs comme des coups de hache. Delphine s'est muée en l'essaim d'abeilles tueuses qui obscurcit votre esprit et vous poursuit dans vos derniers retranchements. Delphine au volant, hystérique qui hurle par la fenêtre ouverte et Pierre qui klaxonne pour vous avertir qu'ils vont vous écraser. Hard Job : dur travail, les guitares furieuses s'en donnent à cœur joie, parfois elles se taisent et puis reviennent en trombe bientôt épaulées par Delphine qui vous assène ses lyrics comme l'on maudit la vie dans les rituels vaudous. Le cri du coq qu'on égorge, et le tam-tam de la guitare de Pierre qui massacre à la tronçonneuse tout ce qui dépasse autour. C'est ça le rock and roll. A Perfect World : un velouté de guitare juste pour le début, Delphine pose trop de questions pour que le jour se termine aussi bien que le titre l'annonce. La beauté féline du tigre n'a jamais bridé sa cruauté. Ici tout n'est que crime, lucre et volupté. Pierre déroule des arpèges ensorceleurs. L'idée du paradis est une histoire qui a mal fini. Ne soyez pas dupes. Neon Bar : encore une sombre histoire. Fiez-vous à la voix de la prêtresse delphique pour vous y retrouver. Vous montre le chemin. Tout ce qui brille n'est pas de l'or mais c'est ainsi que l'on apprend la vie, à grands coups de guitares sur la gueule. The Lions : sont lâchés dans l'arène. Spectacle flamboyant et néronien. Delphine reprend la main. De fer. Balaie tout devant elle. Chante comme une déesse et les méchantes bestioles soumises et subjuguées lui lèchent les santiags. Someone to Hate : du solide dans ce monde de brutes, une branche à laquelle se raccrocher, tant que vous avez quelque chose à haïr vous savez que votre vie a enfin un but. Comme par hasard le rythme s'accélère, tout le monde est pressé de trouver son destin et de le coincer dans la ruelle la plus sombre des désirs inavouables. Money : l'argent, Delphine miaule après le manque et Pierre écrase ses frustrations à grands coups de guitares, un peu comme quand vous brisez les devantures de banque pour vous servir. Z'ont dû ouvrir un coffre aux pépites d'or car la suite est un joyeux charivari. Aux petits oiseaux les mains pleines. Musique amorale. Spanish Blues : il y a bien comme un air de fandango qui traîne par le fond, mais l'on est bien plus près de guitares qui pleurent le rock and roll et qui déferlent le blues. A elle toute seule Delphine se charge des chœurs rupestres, lamentations sauvages et hurlements psalmodiés, du scat-rock de belle facture. Vous laissent exsangues.


Un disque rempli à ras bord de bruit et de fureur. Direct live. Débordant d'énergie et de violence crûe. Des guitares à manger les murs, et une voix à scalper les voisins. Rien à jeter. Pas un morceau au-dessous du niveau de l'océan en furie. Si vous n'aimez pas, c'est que vous n'aimez pas le rock and roll.

Damie Chad.


ZINES / TU VERRAS

( Trailer et vidéo sur YouTube / Février 2016 )


Certains l'affirment, le rap ne serait que l'ultime métamorphose du blues. Cela se défend. Surtout vu de l'Amérique. Le Delta finissant par se jeter dans la mer du ghetto. Oui mais par ici, nous sommes loin de Chicago ou de New York. N'empêche que depuis plus de vingt ans le rap s'est installé dans nos banlieues. Puis un peu partout. Sur les ondes, dans la mode, par la danse. L'est apparu comme un cri de rage et de révolte, puis l'a été doucement grignoté par le milieu ambiant. Douce France au climat tempéré. S'est assagi, s'est adouci, s'est acclimaté. Pas la peine de hennir de rire, suffit de voir la distance idéologique qui sépare les groupes de danse country de la génération américaine des Outlaws pour se dire que personne n'est à l'abri de telles mésaventures. Ce n'est qu'un exemple, nous pourrions en citer d'autres plus dérangeants pour un public rock. Doit rester quelques irréductibles dans les caves mais en règle générale sur les média l'on est passé des apels aux meurtres – calqués sur les gangs amerloques – aux désirs d'insertion par le biais de la réussite sociale et musicale... Pris par une soudaine curiosité, m'en suis allé sur YouTube voir et écouter ce qu'y déposent les adolescents d'aujourd'hui. Tout un continent, suffit d'un peu de curiosité. Ne vais pas tout vous raconter parce que je préfère, et de loin, le rock and roll, parce que j'ai choisi Zines.

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Zines ( prononcez zainès ), premier morceau, tout chaud, de deux minots de quinze ans. Totalisent près de trois mille écoutes en quelques jours. Enregistré au studio Blackvoice de Sartrouville. D'abord vous saute aux yeux l'objet-vidéo. Beau montage. Suites entrecoupées d'images. Couleur + noir et blanc. Deux décors entremêlés. Lac automnal de banlieue ocre et fond de murs bétonnés tagués de blanc. Deux silhouettes de gamins qui gesticulent. Côte à côte, décalés, en opposition, superposés, ballets d'images virevoltantes. Etrangement c'est le découpage visuel qui rythme le morceau.

Z'ont aussi soigné la bande-son. La musique en arrière, comme un rideau de fond. Ne s'appuient pas sur elle pour déployer leurs lyrics. L'est un peu comme le générique d'un film. Ont simplement essayé de mettre en scène toutes ces heures passées dans les chambres ou les garages à répéter mille fois les gestes vus à la télé et sur le net. C'est cette recherche instinctive de simplicité, ce refus de faire comme les idoles confirmées, de se cantonner à leur seule expérience si jeune, si immature qu'elle soit, qui donne au clip cet aspect de fraîcheur et d'authenticité qui retient l'attention.

Du chant, mais aussi de la danse. Jeux de mains ( mais pas de vilains ) très étudiés. Un véritable ballet d'attitudes et de gestes symboliques. De très courtes séquences qui s'enchaînent et qui se bousculent, les yeux des visionneurs  partent en vrille à tenter de se retrouver dans le labyrinthe de cette étonnante scénographie. Utilisent l'alphabet réécrit d'une tectonic extrêmement stylisée dont la fluidité contraste avec les brisures des prises de vue. Ce léger hiatus entre la gestuelle et sa transmission visuelle n'est pas étranger au charme de l'ensemble.

Mais c'est au tournant du flow et aux virages des lyrics que l'on attend le rappeur. Musique qui en a sous le code, qui impose la délimitation d'un ring mental et intellectuel dont il ne faut pas dépasser les cordes. Deux voix encore jeunes, mais qui ne se débrouillent pas mal du tout. Qui surtout évitent de se manger l'une l'autre. Ensemble, seules, ou côte-à-côte, chacune garde son tempo sans chercher à se cannibaliser. Frères mais pas ennemis. Interventions vocales mais pas punitives.

Pour les paroles, l'on est loin des messages de haine et de rébellion. Des rêves d'ados qui ont envie de devenir connus. De s'évader de leur quotidien morose de lycéen et de collégien. Auprès de leurs pairs et plus si affinités. Avec un arrière-fond, de mauvaise conscience, une interrogation sur l'efficience du rap actuel. Essaient de se situer par rapport aux cadors du moment. Existentiellement, entre Justin Bieber et Mesrine, la route est large. Même s'ils n'entrevoient pas vers où elle mène.

Faudra suivre ce qu'ils feront par la suite. Leur trajet risque d'être symbolique de toute une génération.

Damie Chad.

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