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19/11/2014

KR'TNT ! ¤ 210. SHARON JONES / BLONDSTONE / BIGELOW BIGHORNS / DORIAN'S GRACE / COFFIN ON TYRES / JOHNNY HALLYDAY

 

KR'TNT ! ¤ 210

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

20 / 11 / 2014

 

 

SHARON JONES / BLONDSTONE / BIGELOW BIGHORNS / COFFIN ON TYRES / DORIAN'S GRACE / JOHNNY HALLYDAY

 

 

LE 106 / ROUEN ( 76 ) / 01 – 11 - 2014

 

SHARON JONES

 

SHARON LA PATRONNE

 

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Sharon Jones, c’est Zorrotte ! Elle sort tout droit de la nuit et à la pointe de l’épée, elle signe d’un S qui veut dire Sharon, Soul Queen des temps modernes. Mais attention, elle n’est pas seule. Les Dap-Kings - house-band de Daptone Records - l’accompagnent. Sharon et cette fière équipe ont entrepris de redorer le blason de la soul, la vraie, celle des sixties, et les cinq albums qu’ils ont mis en boîte sont là pour témoigner de leur éclatante réussite.

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Comme Dionne Warwick, Sharon fut découverte alors qu’elle faisait des backing vocals pour Lee Fieds, une célébrité du funk - Oh, qui c’est celle-là ? Fuck ! Elle chante bien ! - Alors, on lui demande de passer devant, de chanter un truc et pouf, c’est parti.

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Comme Sharon était devenue ces derniers temps une sorte de bête de foire chouchoutée par la presse institutionnelle, on s’en méfiait instinctivement. Pas question d’aller téléramer dans les salles parisiennes ni d’aller fureter dans les ruines fnacochères. Comme je faisais part de mes réticences à un bon ami, il m’a simplement répondu : Va la voir !

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Coup de chance, elle passait dans le coin.

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La grande salle du 106 était quasiment pleine. Les Dap-Kings commencèrent par s’installer. Grosse équipe, trois mecs aux cuivres dont un noir, un percu blanc, un batteur blanc, un bassman blanc, et deux guitaristes : Joseph Crispiano qui joue le chef de revue blanche et l’extraordinaire Binky Griptite qui sonne comme le guitariste des Famous Flames. Deux belles blackettes firent irruption. La pulpeuse Starr Duncan dansait comme Aretha dans son restaurant et Saundra Williams nous jerkait le bulbe avec ses magnifiques mouvements de hanches. À elles deux, elles auraient pu faire tout le show, tellement elles groovaient bien. Elles avaient derrière elles un fantastique orchestre digne de la Stax Revue et des Famous Flames. On commençait à retrouver nos marques et ça devenait particulièrement excitant. Elles firent deux ou trois morceaux de r’n’b assez haut de gamme. On se demandait si Sharon allait pouvoir surpasser ses deux choristes. Avec son faux air de Spike Lee, Binky Griptite annonça Sharon Jones et les deux grosses choristes rejoignirent leur place sur une petite estrade, derrière les cuivres. On vit arriver une petite bonne femme aux cheveux courts, vêtue d’une simple robe bleue. L’anti-diva. Elle mit aussitôt une pression terrible. Ah t’as voulu voir Maubeuge ? T’as pas vu Maubeuge mais la Soul Sister Number One, baby, rien de moins, car ce petit bout de femme tirait son orchestre avec la puissance d’une locomotive à vapeur. Elle dansait, elle shoutait, elle fumait, elle screamait, elle râlait, elle pulsait, il sortait du petit corps rabougri de cette femme toute la vie du monde. Elle ressuscitait en vrac la soul magique de Stax et les diableries de James Brown, avec le même panache et la même énergie, et à certains moments, on allait même jusqu’à se demander si elle n’était pas encore meilleure que tous les autres. Elle jetait dans la balance tout le chien de sa chienne, elle tirait de son ventre une niaque terrible. Elle approchait du bord de la scène et on voyait brûler quelque chose de terrible au fond des ténèbres de son regard. Cette petite bonne femme était littéralement possédée par la grandeur de la soul, comme peut l’être Vigon, mais elle livrait sa version qui est à la fois explosive et primitive. Tout reposait intégralement sur elle. Elle shoutait comme Tina au temps de la Revue et comme Etta James au temps d’Argo, elle faisait Sam & Dave à elle toute seule, elle Pickettait à la vie à la mort et elle Otissait comme une cinglée. Elle naviguait exactement au même niveau que tous les géants qui ont fait l’histoire de la musique noire américaine. Cette petite bonne femme fonctionnait comme une machine infernale, elle ne s’arrêtait jamais, elle dansait le vaudou des temps reculés, elle vibrait d’imprécations et jetait tout son corps dans la bataille sans aucune retenue, elle enlevait ses sandales, on la voyait se désarticuler en rythme, elle dégoulinait de sueur et elle libérait tous les démons de la Soul. Stupéfiant ! Oui, elle était tellement spectaculaire qu’elle provoquait de l’émotion. Et pas de la petite émotion à trois sous. Non il s’agissait de quelque chose de particulièrement intense qui touchait des zones oubliées du cerveau. Il est important de bien le noter, car c’est assez rare. Je me souviens d’avoir vu un homme âgé en larmes au pied de la scène où chantait Martha Reeves. Sharon était tellement dans la vie qu’elle faisait monter les gens sur scène pour qu’ils dansent avec elle, d’abord un jeune black avec lequel elle rendit hommage aux dieux africains de l’amour puis un peu plus tard, une ribambelle de jeunes filles explosées du bonheur de danser avec une star comme Sharon Jones. Et là, on atteignit des sommets, comme lorsque Iggy fit monter les gens sur scène pour «No Fun», au temps de la reformation des Stooges avec les frères Asheton. Curieusement, les morceaux lents firent partie de ceux qui agitaient le plus les os du bassin. Ces musiciens groovaient si bien qu’on partait chaque fois au quart de tour. Puis il y eut cet infernal hommage à James Brown qui tint tout le monde en haleine, car Sharon Jones a du génie et tout le monde le sentait. S’installa alors dans l’immense salle une fantastique atmosphère de communion. Puis elle disparut comme elle était apparue, avec discrétion. Ce fut une stupéfiante leçon d’humilité.

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Dans une interview, le journaliste demande à Sharon d’expliquer comment elle se prépare avant de monter sur scène. Elle répond : «You just go out and do your best !» Tu y vas et tu fais de ton mieux. Elle ajoute qu’elle ne fait pas tout ça pour de l’argent, mais pour l’amour de la musique - you’re not there for the money, you’re doing it for the love of the music - et dans ce cas très précis, on la croit sur parole. Ailleurs dans l’interview, elle confirme qu’elle vient de frôler la mort à cause d’un petit cancer. Mais à présent tout va bien. Sur scène, elle n’avait pas l’air d’une convalescente.

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Comme toujours, ce sont les albums qui ramènent aux réalités. Alors avis à tous les amateurs de soul pure : écoutez les albums de Sharon Jones, car c’est de la balle.

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«Dap-Dippin’ With Sharon Jones & The Dap-Kings» date de 2002. Après une intro monstrueuse, on entre dans le vif du sujet avec «Eat A Thing On My Mind» qui est un r’n’b merveilleusement primitif, dans l’esprit des grooves sauvages d’antan, ceux des Famous Flames et ce n’est pas rien que de le dire. Bosco Mann nous sort une descente de basse digne de Bootsy Collins. Sharon nous tient par la barbichette. Il faut voir comme elle amène son truc ! Arrive un solo de sax en tut-tut et ça bass-matique sec derrière. Deuxième choc soul avec «What Have You Done For Me», étrange pièce de beat transversal, montée sur une architecture moderniste qui s’étend au dessus du monde et Sharon y ramène toute la rage du r’n’b staxy, baby - Oh yeah yeah - le riffing des Famous Flames secoue sérieusement l’ensemble et on sent bien à ce moment précis qu’on écoute le plus gros disque de r’n’b des temps modernes. Encore une occasion rêvée de tomber de sa chaise avec «The Dap Dop», pièce sortie de l’église de la soul orthodoxe. Sharon fait sa James, elle fait sa Miss Dynamite, pas moins. Elle ramène dans notre pauvre époque en voie de rabougrissement la grandeur de la soul américaine, aidée par des coups de basse déments. C’est la soul de juke à l’état le plus pur. Encore une monstruosité funky avec «Got To Be The Way It Is». C’est une bénédiction de plus pour l’amateur de gros beat. Ce funk mortel sort du larynx d’une sphinxe. On danse avec un manque d’air. Elle défait tout. Son funk se veut furieux, dévastateur et sans répit, comme celui de James à l’Apollo. Pur génie. Elle y revient sans cesse. Elle est imprégnée des deux génies à la fois, celui de James et celui de Stax. Elle est THE function at the junction - All the boogaloo yeah ! Et ce disque n’en finit plus de vomir des énormités. «Ain’t It Hard» est digne de Sam & Dave, «Pick It Up Lay It In The Cut» revêt les apparats d’une fantastique évanescence de basse funk. Sharon est une femme puissante. Elle explose l’édifice du funk parce qu’elle chante à pleine voix. Si on apprécie James Brown, alors on se prosternera devant Sharon Jones.

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Son deuxième album, «Naturally» est aussi agité. Avec «Natural Born Love», Sharon va chercher l’énormité des sons d’antan. Elle renoue avec l’explosivité de la soul des catacombes. Elle fait ensuite un duo avec Lee Fields, «Stranded In Your Love». On frappe à la porte. Elle demande : «Who is it ?» et une voix de baryton sensuel répond : «It’s me baby !» Le mec rentre à la maison. Il explique qu’on lui a volé sa voiture - Somebody stole my car/ Ah just came back - Groove dément à la clé. Ah la garce, il faut voir comme elle nous tord l’oreille. Elle chante avec la pire des inspirations - They stole my heart in Mobile/ Now I’m stranded in your love - Lee Fields fait le rappeur et Sharon s’y met elle aussi. Alors ils font de ce groove de bon aloi une pièce de génie, avec une diction diaboliquement dingue de dureté doomique. On a là un duo d’une invraisemblable modernité. Ils vont au maximum de ce que permet l’art du groove. Lee Fields chante avec toute la grandeur d’action blacky - Now I’m standing in your love - Peu de groovers atteignent un tel niveau. Encore un pur jus de pulsion adéquate dans «My Man Is A Mean Man», qui prend vite les atours d’une belle énormité soufflée à la trompette. Sharon y va et rien sur cette terre ne peut l’arrêter. Comme c’est à tomber, alors on tombe. On est encore une fois confronté au problème de la densité : ne comptez pas sur le répit, car sur ce disque tout est bon. Elle fait une reprise de Woody Guthrie, «This Land Is Your Land», qui devient un groove progressif à la mesure lente, monté sur un beat popotin très décalé et Sharon y va franco de port. S’ensuit un funk de folle, «Your Thing Is A Drag», monté sur une descente de basse dévastatrice. C’est claqué aux cloches de Padoue dans la gadoue du funk et ça devient le temps d’un funk le meilleur funk de l’histoire du funk. Elle est dessus, et c’est réellement stupéfiant. Ils couronnent le tout d’un final astronomique. On n’en finirait plus d’épiloguer sur la classe de Sharon Jones. C’est ça le problème.

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«100 Days 100 Nights» ? Même topo. On prend les mêmes et on recommence. Il faut absolument entendre «Nobody’s Baby» au moins une fois dans sa vie, ne serait-ce que pour l’intro de basse et l’entrée de Sharon dans le lagon du groove - Ah Ah Ah - Elle le prend admirablement, à la mode de Stax, avec une voix bien fêlée. Elle fait son groove popotin à l’Aretha. S’ensuit un «Tell Me» chauffé aux chœurs et aux gammes de basse. Sharon nous ramène à la maison, c’est-à-dire chez Stax, et nous lui en serons tous éternellement reconnaissants. Elle connaît les arcanes de Stax. Elle groove dans l’or du beat. «Be Easy» est aussi infernal que le reste. Elle attaque encore au timbre fêlé et va chercher l’inaccessible étoile de la soul. Puis elle passe au r’n’b joyeux avec «When The Other Foot Drops Uncle» et nous embarque dans une sorte de Magical Mystery Tour. Elle ponctue à l’onction et elle fait sa Soul Queen d’antho à Toto. Elle est tout simplement juteuse, et même beaucoup plus sexy qu’Aretha. Elle va au Stax avec une classe faramineuse. Elle attaque «Something’s Changed» avec une ardeur sharonnique. Elle se pose bien sur sa voix. Elle groove en demi-teinte et affine toujours plus son art. On a là une pièce de r’n’b des temps modernes arrangée à la caribéenne. Du grand luxe. Elle frise le Doris Troy. Puis elle refait un slow d’Otis, «Humble Me» et on revient ensuite aux monstruosités avec un «Keep On Looking» monté sur un beat qui vaut tout l’or du monde. Elle termine cet album à fumerolles avec un «Answer Me» rampant. C’est staxé à la folie, fantastique de tenue et d’à-propos. Sharon nous mène par le bout du nez et on adore ça.

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L’album «I Learned The Hard Way» recèle une pépite nommée «Money». C’est une belle pièce insidieuse de groove urbain d’émeute des sens. Sharon le bouffe tout cru, en poussant des cris racés et définitifs. Elle redevient l’espace d’un cut une bête de juke pluridisciplinaire. On trouve pas mal de morceaux groovy sur cet album d’obédience paisible. Sharon ne prend plus de risques avec le beat, «I Learned The Hard Way» repose et «Better Things» sonne comme un groove de plage coconut bien sucré. Sharon adore ces petits airs légers qui sentent bon le bikini vert et la peau hâlée, les bijoux en plastique et les palmes bleues.

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On sent encore une petite baisse de régime à l’écoute de«Give The People What They Want» paru l’an passé. Pourtant le premier cut met bien l’eau à la bouche. Les Dap-Kings embarquent «Retreat» au gros bataclan de soul et de chœurs d’écho vachard. Sharon chevauche sa croupe de soul avec le port altier d’usage et file droit sur l’horizon. Quelle merveilleuse cavalcade de glotte folle ! S’ensuit une autre petite merveille, «Stranger To My Happiness». Derrière Sharon, ça ronfle dans les trompettes. Elle s’installe une fois de plus au cœur du mythe de la soul sixties, mais elle tape aussi dans l’approche tarabiscotée d’une soul évoluée et elle finit par éclater la coque du beat. «You’ll Be Lonely» sonne aussi comme une bonne vieille soul de fond de cave, une soul effarante de véracité casuistique. Back to the sixties, honey ! Sharon se sent incroyablement proche d’Otis, car «Now I See» sonne comme un hit d’Otis. Mais le reste de l’album est moins spectaculaire. Elle finit avec un vieux coucou étranglé de séduction postiche, «Slow Down Love» et elle se laisse un peu aller, mais qui osera le lui reprocher ?

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«Soul Time» est une autre caverne d’Ali-Baba pour les fervents amateurs de soul music, un disque que vous allez classer à côté de tous les classiques Stax ou Vee-Jay. Cette compile est bourrée à craquer de hits fantasmagoriques. Sharon part en vrille dans le fonk - comme dirait Dr John - avec «Guenine Pt 1» suivi de «Guenine Pt 2», swingués jusqu’au coccyx du fondement paradoxal, tel que défini par Paracelse le viking. Ces deux cuts sont de véritables nettoyeurs de conduits auditifs. De véritables aplatisseurs de neurones. Sharon est une bonne, on l’aura bien compris. On a parfois l’impression qu’elle enfonce des clous. Mais en rythme. Elle passe au groove de blues progressif avec l’incroyable «He Said I Can». Elle prend son truc à l’arracherie soul-queenesque de haut vol. Sharon sait tirer sur une corde, pas la peine de lui expliquer comment on s’y prend. Ça la ferait marrer. Elle ne lâche jamais prise, comme on a pu le constater pendant ses quatre-vingt dix minutes de set. Cette femme a comme on dit chez les charpentiers de marine la vie chevillée au corps. Et paf, on tombe sur une fucking insanity, «I’m Not Gonna Cry», une sorte de soul tribale issue des forêts inexplorées des hauts plateaux africains. Elle ramène sa fraise avec un aplomb sidérant et derrière elle, les mighty Dap-Kings jouent le fonk à l’Africaine. Wow, baby, ça jerke tout seul dans les godasses. Tout vient des percus. C’est d’une finesse qui honore Gou, le dieu de la guerre et du fer travaillé, et dont la statue en métal ramenée du Togo fascinait tant Apollinaire. Gou ne ramène pas sa bobine par hasard, car forcément, quand on parle de Sharon Jones, on parle de mythologie. Elle tient bien sa boutique et ça gri-grite sec autour d’elle. Elle retient ses pleurs - Mmm I’m not gonna cry - Cette diablesse embrase les imaginaires et elle le fait avec une dose de véracité qui emporte la raison. Elle lance ensuite un petit appel à l’insurrection avec «What If We All Stopped Paying Taxes», mais c’est une insurrection à la Mister Dynamite. Voilà bien ce qu’il faut appeler le plus gros fonk politique de tous les temps. C’est une fabuleuse partie de jambes en l’air, de très haut de gamme, si haut qu’on le perd de vue. Les Dap-Kings chauffent le funk jusqu’au point de non-retour, c’est-à-dire la fission de l’atome - Stop corruption and injustice/ It’s up to you ! Awite ! - Sharon charge la barque et ça tangue. Pas le petit tangage du lac des Cygnes, mais plutôt celui du Cap Horn. Puis on sera à nouveau frappé de plein fouet par sa classe, à l’écoute de «Setting In». Car madame joue la carte du slow torride et elle précipite les danseurs dans des conjonctures d’humidité abdominale. C’est fait pour. Pas la peine de rougir. Elle vole ensuite dans les plumes du r’n’b avec «Ain’t No Chimneys In The Projects», toujours plus fantastique - There ain’t no chimney - Alors elle explose tous nos pauvres concepts et l’artiste apparaît à nu dans toute la gloire de son humanité, comme c’est arrivé à plusieurs reprises sur scène. Il y a quelque chose de divin - en tous les cas de spirituellement supérieur - chez cette petite bonne femme. Lorsque dans ses mémoires, Dr John évoque les spiritual people de la Nouvelle Orleans - les reverend mothers - on pense aussitôt à Sharon Jones. Puis elle revient à l’enfer du r’n’b de choc avec «New Shoes» et elle atteint encore un sommet de la dinguerie. On a tout ce qu’on peut attendre de la vie avec ce cut : la son et la voix. On a aussi le génie de la soul et la pure énergie Stax mais enfoncée au marteau-pilon blasteur. Et elle envoie tout valdinguer dans la magie avec «Inspiration Information», un authentique groove de séduction formelle dont on ne peut se détacher. C’est dire si elle est bonne.

 

Saura-t-on dire un jour le génie de cette petite bonne femme ?

 

Signé : Cazengler, Sharon comme une queue de pelle

 

Sharon Jones. Le 106. Rouen (76). 1er novembre 2014

 

Sharon Jones & the Dap-Kings. Dap-Dippin’ With. Daptone Records 2002

 

Sharon Jones & the Dap-Kings. Naturally. Daptone Records 2005

 

Sharon Jones & the Dap-Kings. 100 Days 100 Nights. Daptone Records 2007

 

Sharon Jones & the Dap-Kings. I Learned The Hard Way. Daptone Records 2010

 

Sharon Jones & the Dap-Kings. Give The People What They Want. Daptone Records 2013

 

Sharon Jones & the Dap-Kings. Soul Time. Daptone Records 2010

 

15 – 11 – 14 / BUS PALLADIUM

 

BIGELOW BIGHORNS / DORIAN'S GRACE

 

BLONDSTONE / COFFIN ON TYRES

 

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Le plan B. Nécessaire, dans le neurone droit du parfait rocker. M'étais concocté un week end de rêve, soirée avec les divines Jallies le vendredi soir, à Montargis, et trois groupes de rockab venus des quatre coins de l'Europe pour le samedi à Villeneuve Saint George. Le dimanche au chaud, les pieds sur les chenets de la cheminée pour concocter les articles, l'a fallu tout revoir au dernier moment. Des circonstances indépendantes de ma volonté personnelle, comme on annonçait autrefois à la télévision, d'où la nécessité de recourir à l'indispensable plan B de substitution. Une véritable stratégie napoléonienne, si je ne peux pas attaquer par la droite, je passerai par la gauche. Fidèle comme un vieux grognard de l'Empire la teuf-teuf m'ouvre le chemin de la capitale et me laisse pas très loin de la Place Blanche. Comme je suis en mission rock and roll commandée mon corps reste de marbre lorsque je passe fièrement devant sex-shops, boutiques de lingerie féminine coquine, distributeurs de cassettes et de films pornocratiques, pour m'arrêter finalement devant le Bus Palladium.

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Le Bus Palladium ! Un endroit mythique du rock français. Ouvert depuis 1965, fréquenté par Johnny Hallyday, Jimmy Hendrix et Jim Morrison qui a poussé le bon goût jusqu'à y trépasser d'une overdose dans les toilettes. Attention, je ne vais pas m'empiffrer au resto, je suis un rocker, dans la salle réservée aux concerts, quatre groupes pour six euros, in Paris, c'est du donné. J'hésite un peu lorsqu'à la caisse l'on me demande le nom du combo qui a motivé ma venue. A dire vrai, je n'en connais aucun, après trois secondes de réflexion le nom de Dorian's Grace affleure à ma mémoire. Merci Mister Gray, I have toujours été un grand fan d'Oscar Wilde.

 

Une salle assez grande si l'on tient compte du grand triangle avec tables et banquettes, située hors de l'axe central de la scène, un long bar sur la droite, un autre quasi confidentiel derrière l'imposante table de sono, et un large espace dégagé de tout mobilier par devant délimité par des piliers latéraux qui ne cachent pas la vue. Lorsque j'arrive les Bigelow Bighorns débutent leur set.

 

BIGELOW BIGHORNS

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Indéniable. Le chanteur, un screamer rock de derrière les fagots, attire l'oeil et l'oreille. Chante sans discontinuer. Une voix qui porte. Semble sortir d'un mégaphone plutôt que d'un microphone. L'on reste suspendu à ses lèvres. L'on ne comprend pas ce qu'il dit, mais ce qu'il raconte est passionnant. L'on serait prêt à rester là toute la nuit pour avoir la suite. Et puis derrière Nico Manroe, il y a Seb Baupré à la batterie. Il ne ponctue pas. Il assène tout du long. Pas le genre de gars primesautier qui change de plan comme de chemise. Un forgeron au crâne rasé qui tape sans discontinuer comme une brute. A tel point que parfois cela devient un peu monotone, mais un parfait contrepoint à la longue litanie d'aventures que fomente le gosier de Manroe. De chaque côté de la scène Bert Bigelow et Jeff Barusseau sont à la guitare. Envoient du loud stonerstone. N'essayez pas d'échapper au bombardement. Se font tout de même voler la vedette par Seb Baupré, barbiche diabolique et t-shirt à la croix de Malte de biker, un bassiste qui prend au sérieux le rôle du guitar hero, jambes écartées, posture de solo dévastateur jusqu'à finir couché par terre avec le chanteur de tout son long aussi, tous deux à effleurer d'un doigt les cordes de la basse, comme pour verser quelques larmes sur le rideau de feu que les trois acolytes n'en finissent pas d'entretenir par derrière. Ces grands garçons baraqués ouvrent magnifiquement le concert. Le public se densifie de plus en plus devant la scène. Une ambiance, une couleur, une atmosphère indéniables. Bigelow Bighorn nous emmène dans son univers particulier. Puissance et accaparement magnétique. Des sorciers du stoner age.

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DORIAN'S GRACE

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En théorie mon groupe préféré. Mais de la théorie à la pratique comme disait Oncle Bakounine à Tonton Marx, il y a de la marge. Sont quatre en chair et en os sur la scène, mais c'est les deux autres qui m'intéressaient, Dorian pour lui refaire son portrait et son créateur tutélaire, le génial auteur de De Profundis, l'amant génial de Lord Douglas. J'ai cherché, j'ai ouvert tout grand mes esgourdes, désolé mais je n'ai pas su trouver la moindre trace d'esthétisme paradoxal dans le set de Dorian's Grace. Pas plus de grâce que de Dorian d'ailleurs. Mais là, ça me gêne moins. Le rock précieux avec le petit doigt levé sur la cup of tea, une semi-gorgée, mais pas plus. Les Dorian's Grace doivent partager mes goûts car leur musique s'apparente davantage à uns vieille bouteille de scotch de quinze ans d'âge qu'à un fond d'eau chaude persillé.

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Un batteur torse-poil – un torse musclé d'éphèbe grec – une machine à en découdre. Pas une seconde d'arrêt. Incapable de vous refiler deux fois de suite le même plan. De l'imagination plein la caboche et de l'énergie à dépenser. Un gars qui ne s'économise pas. L'a intérêt parce que les trois autres, guitares et basse, galvanisés par son exemple vous aiguisent de ces lignes de riffs à vous trancher la carotide. Etrangement, je ne sais pourquoi et ce doit être une fausse piste, nos lascars sont vraisemblablement trop jeunes pour que le scud leur soit passé entre les mains, mais s'impose à moi une similitude de traitement des guitares avec certaines pistes du Very 'eavy, Very 'umble, le premier album d'Uriah Heep, cela me vient à l'esprit sans préavis alors que je n'ai pas écouté ce record depuis une trentaine d'années, mais faut se méfier des réminiscences dixit Platon, ce soir en farfouillant leur facebook, je vois qu'ils se revendiquent, entre autres d'Artic Monkeys, et il me semble qu'ainsi l'analogie prend tout de même quelque signifiance. N'ont pas attendu que je remonte le fil de mes intuitions, filochent à toute vitesse, et il est indéniable que le public aime ça. Moi itou.

 

( Photo prises sur leur face-book attribuées à Tonton )

 

BLONDSTONE

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Z'ont de la gueule. Rien à voir avec le look proto-débraillé des deux groupes précédents. Veste, chemise, cravate. Sanglés comme les Animals de 1964 sur leurs premières apparitions télé. Ne sont que trois. Le minimum syndical du groupe. Mais vont assurer comme les mineurs en grève sous Thatcher. A part qu'eux ils ne vont pas perdre la bataille. Pierre Barrier est aux drums. Redoutable et spectaculaire. Le Toscanini de la baguette rock. Ne peut pas faire feu de toute sa batterie, sans se dresser bien haut de toute sa grande taille, brandit son stick très haut comme un sabre de cavalerie juste avant de lancer la charge, et il vous la laisse retomber avec une force phénoménale, à desceller les yeux de topaze de la statue chryséléphantine de Zeus dans le temple d'Olympie. C'est simple avec Pierre Barrier, un battement égale un coup de tonnerre. Le problème c'est que les deux autres se plaisent à imiter, l'un la foudre et l'autre l'éclair.

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A fréquence ininterrompue. Perturbation climatique. Les orages désirés sont enfin au rendez-vous. Il pleut des pierres taillées dans le rock. Nicolas Boujot est à la basse comme d'autres sont à la mitrailleuse lourde. Peut envoyer tous les obus qu'il veut Pierre le grand sur ces caisses tous azimuts, le Nicolas il déflagre de l'hydrogène pur. Miracle d'acoustique maîtrisée malgré le tumulte de ses deux frères de pierre de sang, l'on n'entend que lui, ratisse au lance-flamme. Sans pitié, ni haine. L'amour du travail bien fait. L'est à lui tout seul les huit pattes de Sleipnir le coursier maléfique d'Odin le barbare.

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Le troisième cataphractaire n'est pas mal non plus. En son genre. Guitares stoner grunge. Avec un S, car par deux fois le roadie lui changera son instrument en plein morceau, l'est sûr que quand on joue sur les stromboliennes nuances des éruptions volcaniques faut avoir le matériel adapté. Ça part de tous les côtés, moteur à explosion atomique, le public se masse devant la scène et acclame la fantasmagorie luminescente de ces éclats de feu d'artifice sonore qui crépitent comme des avalanches d'étincelles de silex rockailleux à souhait.

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Shoot Shoot Shoot, Got this Thing, Rare And Strong, la set-list parle d'elle-même. Ces jeunes gens n'envoient pas de la béchamel congelée au lance-pierre. Font de l'export-rock en gros. Par tankers de cent mille tonnes. Un seul minuscule bémol, la voix d'Alex Astier qui se perd un peu dans le fracas de sa guitare. Surtout dans la première partie du set. Elle passe mieux sur les derniers morceaux au travers desquels la bonne vieille rythmique rock parvient à s'installer dans la tonitruance des effets époustouflants.

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Oulala ! C'est déjà fini. Le tsunami n'est plus mon ami, this the end. Comme tous les meilleures choses de ce monde, trop tôt, trop vite. Comme un vol de criquets affamés qui s'abattent sur un champ de blé. Ne reste plus rien après. Avant non plus. Passage de rage. Ravage sauvage. Save Our Souls. Comment survivre après un tel bonheur dans le crime ? Retenez leur nom, ils s'appellent Blondstone, ils viennent de la bonne ville de Nancy. Qu'ils nous disent en guise de brève épitaphe à leur illumination rimbaldienne. Un concert à marquer d'une pierre blonde. Sur le calendrier fastidieux de nos jours perdus.

 

( Photos de leurs facebook signées de Fabian Belleville, un super photographe )

 

COFFIN ON TYRES

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Moi j'aurais refusé de passer après Blondstone ou alors j'aurais imaginé un truc insensé comme un lancer de mygales sur les spectateurs. Encore mieux que le boa asthmatique d'Alice Cooper. Mais les Coffin on Tyres ça n'a pas l'air de les stresser. Pas pressés. Prennent leur temps pour installer leur matériel. Sont sûrs d'eux. N'ont pas besoin de sortir leur atout de pique de leur manche. Aux interpellations amicales qui les assaillent, n'est pas nécessaire d'être chercheur en sciences humaines pour comprendre que toute une partie du public sont des fans inconditionnels. Suffrage populaire acquis. Pas besoin de préparer un coup d'état quand le peuple se vautre à vos pieds.

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Commencent bien sagement. En sourdine. Deux guitares, une basse, un batteur. Bien sûr l'on n'est pas dupe de l'insensible gradation. Ça va monter doucement jusqu'à l'apocalyptique explosion. C'est écrit comme sur du papier à musique. Me suis trompé, c'est l'as de coeur qu'ils avaient mis de côté. L'arrive au moment où on ne s'y fiait pas. Ne surgit pas. C'est Geoff. Explosion de joie dans le public. Apparemment l'était attendu comme le messie. L'en impose avec ses tatouages sur le bras et son crâne rasé. Marche avec componction. Nous fait le coup du guru qui détient la vérité vraie. Regarde quelque part, une autre réalité derrière l'écran de fumée des apparences, que nous pauvres rampants stupides sommes incapables de percevoir. Pire d'imaginer. L'est l'intercesseur. L'est l'élu, choisi par la puissance céleste pour nous rapporter la parole sacrée. Ça a l'air de marcher, l'auditoire est suspendu à ses lèvres. Ne souffle pas un mot. Silence, je pense. C'est quand on le sort du four que le soufflet au fromage bombé comme un bouclier se dégonfle. L'a compris le truc. Pas question de jacter. Se contente de chanter. L'a raison car il possède une voix puissante et grave. Quand il a fini son couplet, il se tient immobile, les yeux très légèrement plissés à la Jim Morrison. Qui lui est bien dans un cercueil mais pas à roulettes. Peut-être est-il vrai que tous les bons poètes sont des poètes morts. Mais ceci est une autre histoire.

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Maintenant, il n'est pas tout seul. Sans doute le plus charismatique mais pas le plus essentiel. Bientôt je n'écoute plus que Sylvano. Un batteur comme j'en rêve. Sans trêve. Tignasse bouclée, une boule d'énergie pure. Un feu follet qui batifole dans un cimetière les nuits sans lune. Une frappe puissante, c'est lui qui délimite les terrains. Les autres n'ont plus qu'à suivre. La basse de Matt appuie lugubrement là où ça fait le plus mal, ambiances funèbres et grandes nécropoles sous la blême face de l'Hécate noire, les deux guitares se chargent de libérer la sarabande effrénée des zombies et des vampires. Attention, c'est du sérieux, on ne rigole pas. Si vous ne me croyez pas écoutez le récitatif de Geoff, c'est de l'anglais, on ne comprend pas, mais l'on pige vite qu'à tout instant l'heure est grave. Le temps des catastrophes est arrivé et l'on survit avec difficulté.

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Haute poésie. Un peu à la Swinburne. A part que tout le monde n'est pas Swinburne. Loin s'en faut. Le stuc et le kitch sont plus facilement accessibles. Les ambiances mélodramatiques c'est bien mais il ne faut pas qu'elles tournent mélodramatoc. Aussi de temps en temps Geoff et les guitares de Fab et Baptiste secouent le cocotier en carton-pâte des simili-opéras wagnériens. Geoff hurle comme un metalshouter sous amphé et les amplis résonnent de riffs cisaillés. Cinq minutes de défonce – du style, nous aussi on sait le faire – et puis l'on revient aux choses sérieuses, de la musique adipeuse qui se répand comme l'eau du Rhin à la fin de la tétralogie. Et Geoff qui vaticine comme en voix off pour nous annoncer que le plus grave est à venir. Brrr ! J'ai peur. Une trouille de citrouille.

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Je ne vous parle pas du public en transe. Marche dans toutes les combines. Atterré dans les passages angoissés, en liesse dans les rythmiques stoners. Heureusement qu'à chaque fois c'est Sylvano qui sauve la mise. Avec un tel batteur vous pouvez tout vous permettre. Cinq minutes à la Lovecraft, suivi de cinq minutes d'estrade de cirque. Arabesques et burlesque. Dantesque et grotesque. La première demi-heure du concert est comme une vaste fresque jamais terminée. Moments de douceurs et instants de violences alternent en longues phases quasi-théatrâlisée par le jeu de scène de Geoff. Parfois agenouillé au pied de l'estrade de la batterie, enfermé en lui-même comme la larve muette dans sa chrysalide, parfois voltigeant comme un papillon aux ailes brûlées par le feu du soleil.

 

Ce rock baroque qui se prend un peu trop au sérieux ne me convainc pas. Suis trop sensible à l'artifice de ce prog-stoner qui ne choisit pas son camp. Y en a pour tout le monde. Mais un rocker ne saurait s'assimiler à la commune humanité. Je décroche dix minutes avant la fin.

 

  ( photos prises sur le facebook, ne correspondant pas au concert, certaines signées par Romy Del Signore )

 

RECAPITULATION

 

Bonne soirée,

 

mais si je ne devais emporter qu'un seul groupe dans le désert, ce serait sans hésitation, BLONDSTONE !

 

Damie Chad.

 

 

JOHNNY HALLYDAYALAN CORIOLAN

 

JOHNNY

 

LES ANNEES SOIXANTE

 

FERRANDEZ / YANN et RIFF REB'S

 

BARU / YANN et BODART / ABIVEN

 

CAILLETEAU ET VATINE

 

( Mars 1992 – hors collection )

 

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Ne connaissais pas. L'ai trouvé sur un stand de brocante par hasard. Hors Collection, maison d'édition surtout célèbre pour sa bande dessinée – pas très bandante et pas très bien dessinée d'après moi – Calvin et Hobbes qui conte les mésaventures douce-amères d'un petit garçon avec sa peluche. Mais ils ont aussi une collection Musique, du grand public, monographies Stones, Beatles, U2, mais aussi des signatures, au moins trois bouquins de Florent Mazzoleni, spécialiste incontesté de l'or noir ( Afrique, soul, rhythm'n'blues ) et Bruno Blum amateur émérite du punk ( entre autres ). Un catalogue musical éclectique à explorer.

 

Alan Coriolan est surtout connu pour ses souvenirs autobiographiques recueillis dans son ouvrage Dans L'Ombre de Johnny paru en 1987 chez Carrère, témoignage de première main puisque pendant une vingtaine d'années il fut le secrétaire du first french singer rock King. Mais là, il ne s'est pas trop fatigué, le genre de projet où ce sont les autres qui font le boulot. L'a réuni huit auteurs de bande dessinée, à charge pour eux de nous scénariser et coloriser une tranche de vie de l'existence tapageuse de Johnny Hallyday. Avec un impératif horaire, ne pas dépasser les sixties, la décennie fabuleuse.

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Sont pratiquement tous tombés dans le piège. Jacques Ferrandez en premier, puisque c'est lui qui s'y colle en prunch. Comme l'on disait à l'époque dans les cours de récréation. Pas un hasard si ses Trente Ans Après portent en exergue quatre vers de Souvenirs Souvenirs. Le rock est une énorme machine à nostalgie. C'est un miroir magique. Vous y regardez dedans dans l'espoir d'entrevoir les mystères de l'autre côté de la réalité, et c'est toujours vous que vous voyez. Et si maintenant vous y cherchez l'éclat fugitif de votre idole, ce qui vous saute aux yeux, c'est un autre vous. Le gamin que vous étiez au bon vieux temps du rock and roll. Et peut-être pire dans le cas de Jacques Ferrandez, le gamin que vous n'avez jamais été. L'est né en 1955, et je doute qu'en 1960, il fut un johnnyphile patenté. S'est rattrapé par la suite puisqu'il commença à publier en compagnie de Rodolphe – la BD sur Gene Vincent c'est ce dernier, ainsi que le livre sur sa collection de disques, conférez-vous au kronics 09 ( 01/ 12 / 09 ) et 68 ( 13 / 10 / 11 ) de Kr'tnt – Ferrandez fut aussi mordu par le jazz puisque il adopta la contrebasse comme violon d'Ingres. Vous lirez cela comme les Vies Parallèles de Plutarque, celle de l'idole sur le sillon de droite, et celle de la survivance du fan, sur le canal droit de cette stéréo brouillée par les larmes du regret et de l'incomplétude des vies en sourdine, loin des lumières des plateaux.

 

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Yann et Riff Red's prennent la suite. Avec le pseudo du dernier, l'on s'attend à une ambiance rock à la rebel without a cause. N'avaient vraiment pas de cause à défendre. Tante Hélène est une triste pantalonnade, le genre de bouffonnerie qui ne fait pas rire, et vous ne pouvez même pas leur pardonner car ils savaient ce qu'ils faisaient. S'attaquent à un mythe, celui de l'adolescent turgescent et révolté mais ne s'envolent pas plus haut qu'une mite coincée dans le chandail d'une vieille dame.

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Baru nous réconcilie avec la BD. L'est né en 1947 et sait de quoi il parle. Pour ceux qui en douteraient reportez-vous à son album sur les origines du rock ( voir KR'TNT 63 du 08 / 09 / 11 ), c'est un connaisseur. Pourrait réciter le topo par coeur. L'ovni du rock qui s'écrase sur la société française, cette petite bourgeoisie stupide d'après guerre, satisfaite d'elle-même, prisonnière de ses propres carcans, de ses propres tabous. Coincée du cul, disons que c'est un péché véniel, mais aussi du cerveau et là c'est beaucoup plus gravos. Ne traite pas le sujet à la légère. La connerie humaine est un scandale, nécessite les gros plans. Pas question de la cacher en tout petit dans un coin de vignette. Aucune inquiétude, Johnny apparaît, et il crève la page. La laideur et la stupidité en paraissent encore plus ringardes et plus affreuses. Stériles pour tout dire. Et le scénario s'achève sur l'adolescent qui ferme le poing. Déclaration de guerre de la jeunesse à la sénilité du vieux monde. Qui déjà commence à courir après lui.

 

Yann se rattrape dans Le Show du Shah. L'est vraisemblablement boosté par par Bodart qui travailla à L'Echo des Savanes. Puis par l'histoire elle-même. Johnny Hallyday qui s'envole pour un concert en Iran. N'aura pas droit à la prosternation des foules. Simplement un petit concert privé, pour un grand fan, le petit shaton, l'héritier du souverain de Perse. La suite de l'Histoire ne se passera pas pour celui-ci comme il l'avait espéré. Mais il est vrai que la chute est d'autant plus rude que vous êtes davantage placé en hauteur. C'était une parenthèse. L'histoire se termine en queue de poisson, le retour de Johnny à Paris. Tout s'est bien déroulé mais la gratitude des rois est aussi peu gratifiante que leur ingratitude. Entre les mains d'un puissant, vous n'êtes qu'un jouet. A méditer. Les happy end ne font rien à l'affaire.

 

Jean-Luc Abiven. La Tracée des Lourds. Un johnny un peu moins jeune. Déjà un homme. Un adulte qui a pris pleinement conscience de son importance. Pas la grosse tête. Pas le genre à croire qu'il est porteur d'un message pour sauver l'humanité. Ses préoccupations sont bien plus terre à terre. Un hédoniste qui ne pense qu'à s'amuser. Les copains, les boîtes, les bars ultra-chicos. Un excellent contraste avec l'histoire précédente. C'est bien Johnny, le roi de la fête. Le fric et la célébrité lui montent à la tête. Rien ne le retient longtemps. Trop de cloportes autour de lui. Ne se gêne pas pour insulter gratuitement. N'hésite pas non plus à distribuer les coups de poing. Insouciant et protégé par sa notoriété. Se sent au-dessus des autres. En devient puant. Peu sympathique. Récupéré par la haute. Un peu rat pack à la Sinatra, mais avec moins de moyen et de crédibilité. Et surtout de classe.

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Tout Casser de Thierry Cailleteau et Olivier Vatine. La même histoire que la précédente mais du côté des gentils. Johnny qui renvoie l'ascenseur pour aider financièrement un ami. Un beau geste. Qui se terminera en catastrophe. Mais on le lui pardonnera. A l'impossible nul n'est tenu. Soyez francs seriez-vous le dernier à refuser l'invitation d'une jolie fille. Surtout quand elles sont plusieurs et que l'alcool coule à flot ? Et si l'on vous attend chez vous, vous ne serez jamais à l'heure. Mais entre nous, tout le monde s'en fout. Pour Johnny, c'est autre chose, plusieurs milliers de fans qui trépignent d'impatience, ça ne se calme pas avec des promesses à l'eau claire. Justement Johnny, l'en a pas mis beaucoup dans son apéro sauvage. S'évanouit sur scène, tombe raide mort ( l'a survécu ) comme un hareng en caque. Bonjour les dégâts. On lui pardonne c'était sa meilleure époque, habillé tout de noir, avec le chapeau à médaille et un orchestre monstrueux derrière lui... A peine a-t-il entonné Rivière Ouvre Ton Lit qu'il s'est couché sans tergiverser.

 

L'aura bien d'autres aventures mais dans les décennies suivantes. Cet album est un collector. Dommage que vous ne l'ayez pas. Comment vous n'aimez pas Johnny ? Alors je ne peux rien pour vous. A chacun ses suffisances. Ou ses insuffisances. Cochez la bonne case.

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Damie Chad.