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21/10/2014

KR'TNT ! ¤ 206. LEFT LANE CRUISER / TONY MARLOW / SCANDALE ROCK / GARI 1974

 

KR'TNT ! ¤ 206

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

23 / 10 / 2014

 

 

Z'ATTENTION !

Nous mettons z'en lignes cette 206 ° livraison avec deux jours d'avance. Que cette précipitation ne vous empêche pas de jeter un coup d'oeil à la précédente 205 °... si ce n'est déjà fait. Pour La 207 ° rdv le 30/ 10 / 14 !

Keep rockin' til next time !

 

 

LEFT LANE CRUISER / TONY MARLOW /

SCANDALE ROCK / GARI ! 1974

 

 

ROUEN / 31 – 07 – 14

 

LES TERRASSES DU JEUDI

 

 

LEFT LANE CRUISER

 

 

CRUISIN' WITH THE CRUISERS

 

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Quoi ? Encore l’un de ces groupes minimalistes qui jouent à deux, comme les Black Keys, les White Stripes, les Winnebago Deals, les Flat Duo Jets, les Magnetix, les Kills et les Trucmuches ? Encore l’un de ces groupes qui frisent le numéro de cirque avec un guitariste qui ne craint pas la mort du haut de sa virtuosité ? Comme on a pu s’ennuyer à voir tous ces duos jouer sur scène ! Les Magnetix, ça allait encore, ils avaient quelque chose de fascinant et une belle animalité, mais les White Stripes, les Kills et les Black Keys, quelle épouvantable corvée !

 

Par conséquent, il était hors de question d’aller bâiller d’ennui au pied d’une scène où s’exhibaient les Left Lane Cruiser, un duo sorti du Middle West américain - de l’Indiana pour être plus précis - et qui allait ramener sa fraise avec tout le folklore habituel, les chemises à carreaux, les casquettes et le patois américain.

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Pire encore, il s’agissait d’un concert gratuit, exactement le genre d’occasion qui se rate, car rien n’est pire qu’un public de concert gratuit. Ça baguenaude, ça vient voir, ça lorgne, ça chouffe, ça mate, ça examine, ça inspecte, ça juge, ça ricane et ça s’en va. Rien à voir avec un public de fans. Et pour comprendre quelque chose à un duo comme Left Lane Cruiser, il vaut mieux avoir quelques éléments d’information sur le trash-blues, car sinon, le profane y perd son latin. C’est pas du blues ? C’est pas du rock ? C’est de l’hébreu ? Ou tout simplement du bruit. D’ailleurs, on voit des gens grimacer ostensiblement et boucher les oreilles des enfants, dès que ça joue un peu fort.

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Le problème, c’est qu’on était au cœur de l’été, fin juillet, qu’il faisait beau et qu’une rumeur montait de la ville. Alors, pourquoi pas ? Après tout, les disques du duo ne sont pas si mauvais...

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Le début du concert était prévu en début de soirée. La petite scène était installée au pied d’une espèce de cathédrale. On voyait les pigeons se promener dans les dentelles de pierre et se soulager sur les têtes des saints installés dans les hauteurs. La petite place était noire de monde. Les culs terreux de l’Indiana montèrent sur scène à l’heure dite. Mais ils étaient trois au lieu des deux Cruisers habituels, Freddy J IV et Brenn Beck. Ils ramenaient avec eux un copain batteur en marcel noir et aux bras couverts de tatouages. Pour compléter son look d’Ostrogoth du Midwest, il portait une énorme barbe noire en éventail de mountain man et une casquette de base-ball noire. Brenn Beck lui avait cédé son tabouret de batteur pour jouer de la basse. Il portait une casquette noire et un pantacourt noir. Ah la dégaine des musiciens américains ! Il faudra bien que quelqu’un se dévoue un jour pour en faire l’apologie.

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Comme à son habitude, Freddy J IV jouait assis. Il s’était fait un look de biker, avec un foulard blanc noué sur le crâne et des lunettes noires à la Ray Charles posées sur le nez. Il aurait très bien pu conduire une Harley dans The Sons Of Anarchy. Il s’assit, brancha sa National et wham bam ! C’était parti pour deux heures de boogie-blues infernal. C’était un vrai bonheur que de voir Freddy J IV jouer et chanter. Il semblait réellement possédé par les démons du boogie, il marquait en permanence le tempo des deux jambes et il allait tout chercher au guttural, histoire d’envoyer ses morceaux rôtir en enfer. Ces trois mecs réussissaient l’exploit d’embarquer un public de bric et de broc. On sentait chez eux une maîtrise des situations compliquées. Ils dégageaient une énergie considérable. Les groupes garage devraient en prendre de la graine. Freddy J IV jouait tout en accords ouverts et grattait ses cordes du bout des doigts de la main droite. Tout son corps était en mouvement, comme celui d’un batteur. Et comme Mike Bloomfield, il enveloppait sa guitare avec son corps. Il se penchait et jouait la plupart du temps la tête baissée et dodelinante. Freddy J IV reprenait les choses là où John Lee Hooker les avait laissées en 1962, juste après «Boom Boom». Il shootait dans le cul de la vielle capitale normande une énorme dose de boogie torride. À un moment, il annonça de la «Detroit Music» et il envoya gicler dans le crépuscule normand une puissante reprise du «Strangehold» de Ted Nugent. Eh oui, c’est à la qualité des reprises qu’on reconnaît les grands groupes. Entre deux morceaux, il sifflait ses verres de bière - «the juice to get loose», titre du morceau qu’il attaquait - et saluait «Louen» ou «la fleiiche», comme il disait.

 

Ce mec est particulièrement bon, mais ça on le savait depuis un certain temps, car les disques ne trompent pas. D’autant qu’ils sont quasiment tous sortis sur Alive, un label qui reste un sacré gage de qualité. Le boss Boissel est parfaitement incapable de sortir un mauvais disque sur Alive. N’oublions pas que Patrick Boissel et Suzy Shaw étaient des intimes de Mick Farren, du temps où il vivait encore à Los Angeles.

 

En gros, Left Lane Cruiser a sorti un album par an pendant six ans. Cinq sur Alive et deux sur Hillgrass Bluebilly Records. Ce sont des gens qui ne chôment pas, et qu’on se rassure, cette prolixité ne nuit en rien à la qualité de leur production.

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Leur premier album est sorti en 2008. «Bring Yo Ass To The Table» est un titre d’album on ne peut plus raffiné. En français, ça donnerait : Ramène ton cul à table. Sur la pochette, on les voit jouer dans la rue. Si on apprécie bien l’esprit boogie boogah, cet album est un pur régal. Avec «Set Me Down», Freddy J IV et son copain Brenn s’en donnent à cœur joie. Ils dégagent un charme roostsy indéniable. On retrouve dans ce morceau l’infinie profondeur de la bourrée auvergnate de l’Indiana. «Pork And Beans» est un plat d’hiver. Freddy J IV chante avec un bon guttural à la Johnny Winter et lamine quasiment tous ses accords au bottleneck. Belle descente de boogie avec «KFD». C’est une pièce adroite et fine, malgré des apparences mal dégrossies. Freddy J IV est tellement bon qu’on se sent en sécurité. En face B, ils chantent «Bog Moma» à deux voix et ça devient étonnant - oh yeah yeah - et ils éclatent de rire et de fureur apache. Voilà une belle énormité chantée à la revoyure - ah ah ah - et coulée dans un bronze fumant de distorse et d’âpre guttural. «Amy’s In The Kitchen» démarre sur un bon tatapoum et Freddy J IV chante comme un prêcheur fou égaré dans la Vallée de la Mort. Leur truc se met à sonner comme du heavy rock belliqueux - hey come on here - et Freddy J IV ramone tout ça à sec à coups de bottleneck. Wow ! Un vrai hussard en rut ! «Mr Johnson» est encore plus substantiel. Ils font carrément du gros heavy rock classique à deux. Black Sabbath ? Ah ah ah quelle rigolade, en comparaison ! Et ils en resservent une louche avec «Heavy», une vraie purée blanche, l’aligot de rêve des fermes du Cantal, avec un son fouillé à gogo. Le son qui leste comme du plomb. C’est là qu’on commence à prendre Freddy J IV très au sérieux. Mais d’où sort ce dingue ?

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«All You Can Eat» sort l’année suivante, avec une pochette ornée d’un coq. Nouveau gage de sérieux : Jim Diamond produit ce très gros disque. Rappelons que Jim Diamond est avec Tim Kerr le producteur garage le plus renommé d’Amérique. Il faut attendre «Hard Workin’ Man» pour retrouver la veine heavy du premier album. On sent chez eux une véritable appétence pour le mal suprême, c’est-à-dire le heavy-rock des cavernes du diable. Ce «Hard Workin’ Man» est magnifique, inspiré et admirablement tendu. Ils restent dans la heavyness des enfers de Dante avec «Black Lung». Freddy J IV y va franco de port. On sent que le heavy très heavy est leur véritable spécialité. On en retrouve de gros spécimens en face B, et notamment «Hard Luck» qui rôde aux frontières du heavy blues. Inutile de dire que ça fume de partout. Leur truc vaut tous les grands classiques de heavy rock des seventies. Encore du heavy blues avec «Broke Ass Blues». On retrouve l’animalité des bois profonds de Bornéo et même quelque chose d’hendrixien. Et ils poursuivent le festival avec «Putain !» qui sonne comme un classique du North Mississipi Hill Country Blues, mais en très musclé. Freddy J IV est un puissant sorcier des collines. Il joue lourd et bien, et il sait secouer le cocotier du blues rock. Attention à «Waynedale» ! C’est une vraie cochonnerie pulsée à la voix. Ils envoient leur heavy blues se rouler dans la fosse du garage. On sent nettement la patte de Jim Diamond, âme sonique des Dirtbombs.

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Pas mal de grosses décarcasseries sur «Junkyard Speed Ball». Freddy J IV et Brenn jouent sur le toit d’un vieux pick-up et Jim Diamond produit à nouveau l’album. Ça démarre en trombe avec une excellente pièce de slab, «Lost My Mind». Ils vont assez loin dans l’énervement et Freddy J IV arrose tout ça de grosses rasades de bottleneck. Ils font du fife & drums de névropathes. Avec «Giving Tree», on découvre une autre spécialité du duo : les balladifs somptueux à la Stonesy. Freddy J IV chante ça merveilleusement et enrichit son fourbi de descentes de manche. Un hit ? Allez savoir. Il fait aussi le talking jive sur «Hip Hop» et il risque d’en édifier plus d’un. Il balance en prime un très beau solo liquide. Voilà sans doute le cut inspiré de l’album. Énorme et sec. Ça sonne comme un hit groovy saturé à l’extrême. La face B est un véritable hellfest, mais bon esprit. Freddy J IV chante «Weed Vodka» avec des accents à la Ian Anderson, époque du premier album de Jethro Tull. C’est puissant et fameux. «Cracker Barrel» est encore plus heavy. C’est même plombé et diaboliquement bon. Il joue toute cette heavyness au bottleneck. Jim Diamond joue de la basse sur «Repentant». On l’avait vu jouer de la basse dans les Dirtbombs au Gibus et on peut affirmer que monsieur ne chôme pas. Avec une basse dans les pattes, Jim Diamond devient une sorte de bombardier. Freddy J IV, Jim et Brenn sortent là l’une des plus grosses pièces de heavyness du monde. Freddy J IV chante avec une voix de brute immonde. Il réussit à faire revivre l’esprit des très grands disques de heavy rock des seventies, de type Atomic Rooster, Taste ou Dust.

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«Painkillers» est probablement leur meilleur album. C’est un album de reprises et pour corser l’affaire, James Leg et Jim Diamond jouent avec eux. Ce sont essentiellement des reprises de classiques du blues et quels classiques ! Ils démarrent avec «Sad Days And Lonely Nights» de Junior Kimbrough. Ils l’expédient directement au firmament des grosses reprises. Ils en font une sorte de boogie des catacombes qu’ils pulsent avec une énergie digne des orgies du comte d’Orgel. Ils explosent un peu plus tard le «Shake It» de John Lee Hooker en lui donnant une grosse impulsion boogie boogah, une sorte de beat souterrain de la révolution industrielle. Ils jouent ça avec une puissance sourde et extrêmement convaincante. (Attention, sur le vinyle, «Shake It» et «Red Rooster» sont inversés). Puis ils tapent dans l’un des gros classiques de Jimi Hendrix, «If Six Was Nine». Freddy J IV le traite heavy et retrouve le secret alchimique de la fabrication du limon des origines du monde. La face B explose dès «Red Rooster», une version qui plairait beaucoup à Wolf. C’est la reprise la plus heavy de l’histoire du blues. C’est à la fois superbe et démesuré. Freddy J IV et ses compères sont les rois du heavy heavy blues. Ils savent chauffer un classique à blanc. C’est la version ultime de Red Rooster. Rien que pour ça, l’album vaut l’emplette. Et ça continue avec «Ramblin’ On My Mind», un vieux classique de Robert Johnson que Freddy J IV chante à l’extrême possibilité du guttural. Personne n’avait jamais osé chanter comme ça avant lui. Il chante avec une voix de cancéreux atteint de la maladie de Parkinson et de la tuberculose, qu’une vipère apsic viendrait de mordre à la joue et dont la jambe aurait été emportée par un boulet de canon juste avant. En un mot comme en cent, c’est un très gros disque. D’autant qu’ils finissent avec une reprise magistrale du «Sway» des Stones. C’est dire s’ils savent choisir.

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«Rock Them Back To Hell» rend hommage aux morts vivants. La pochette nous renvoie à ce bel univers Fuzztones/Cramps/Romero. On s’attend donc au pire, et c’est exactement ce que Freddy J IV nous propose. Dès «Zombie Blocked», on est fixé. Vous vous attendiez à du petit blues joué délicatement au bottleneck au bord du fleuve ? Oh no no no ! Ce sera du heavy doom de zombie bird-dance de guttural ultraïque stompé aux gros oignons gras de l’Indiana. Freddy J IV pulse somme un démon d’acier noir de la SNCF et une fois de plus on se retrouve avec un très gros disque sur les bras. Une vraie malédiction ! Ce n’est pas compliqué : tout l’album patauge dans l’ultra-gadouille de la heavyness. Ils n’arrêtent pas. Ces mecs-là, il faudrait les faire piquer. «Electrify» est bien secoué de gélatine et de ramdam, c’est vraiment dégueulasse. «Neighborhood» sonne comme une extraction de pus de heavyness paranormale portée par un guttural accentué. C’est extrêmement consistant, à condition de savoir apprécier le trash qui pue. Pour écouter ce genre de disque il faut de l’estomac. Quand on les voyait jouer sur la petite place remplie de touristes, on voyait bien que beaucoup de gens faisaient des grimaces de désapprobation. Le son de Left Lane Cruiser pourrait passer pour amical, car on aurait tendance à vouloir les prendre pour un gentil groupe de blues, du type de ceux qu’admirent les vieux pépères collectionneurs. Mais en fait, ils sortent un son extrêmement agressif. C’est tout simplement leur version de la tripe, rien d’autre que l’héritage de cette culture du blues de l’Amérique profonde qui plongeait ses racines dans l’histoire d’un épouvantable cauchemar, celui de l’esclavage. On connaît essentiellement le blues de la plainte et de la douleur, mais le blues de la colère et de la révolte existe aussi. Quand des mecs comme Wolf et Hound Dog Taylor piquaient une crise, on avait intérêt à tendre l’oreille pour ne pas en perdre une miette, car ils devenaient les égaux des dieux. Il semble que Left Lane Cruiser se situe dans la veine de cet héritage, Wolf et Muddy d’un côté, RL Burside de l’autre et au milieu Johnny Winter. Voilà, comme ça au moins les choses sont claires. Retour à «Rock Them Back To Hell» avec le fameux «Juice To Get Loose». Freddy J IV embarque ça au combiné de bottleneck et de tatapoum endiablé. Et le festival des énormités se poursuit en face B avec «Be So Fine», un jus de grosse énormité qui coule comme la lave du volcan. «Jukebox» est fantastique d’à-propos et on revient aux super-balladifs avec «Coley», encore un truc digne des Stones, franchement. Freddy J IV leste son balladif de grosse heavyness harmonique. Encore un hit ? Allons allons, ne nous emballons pas. En tous les cas, on sent à l’écoute de ce balladif une fabuleuse inspiration. Freddy J IV est très impressionnant. Il gratte ses accords avec un son graillon qui édifiera tous les amateurs éclairés. C’est d’ailleurs un son qui éveille de vieux souvenirs de bon temps et il place un solo admirable. Il boucle sa petite affaire sans prévenir avec un «Righteous» stompé et embarqué au guttural.

 

Le dernier album paru s’intitule «Slingshot». Nos deux amis proposent des vieux enregistrements - Early and raw recordings. Si on apprécie les disques qui sautent à la gorge, alors, il faut se procurer celui-là. Ils attaquent avec «Don’t Need Nothing From Me», une grosse bouillie de boogie blues énervé. Ils ont raison de prévenir leurs clients, car ça chauffe terriblement. On retrouve le fucked-up blues des Immortal Lee County Killers avec «Slingshot», purée infâme et capiteuse puis on entend «Sleep Will Mend» rissoler au dessus des flammes de l’enfer. Les coups de slide ravivent les rousseurs sur la peau des couplets suppliciés. Ces deux mecs sont incapables de faire autre chose que de la fournaise. Il faut que ça fulmine, sinon ça ne sert à rien. Le «Right By My Side» qui ouvre le bal des vampires de la face B renverrait plus à une imagerie de labourage moyen-âgeux, quand la terre était épaisse, noire et collante, et les outils rudimentaires. Freddy J IV travaille son blues à l’ancienne, il chante dans sa barbe et gratte ses poux sauvagement. Avec tout ce ramdam, on a beaucoup de mal à croire qu’ils ne sont que deux. «That Ass» est un véritable festival de dynamiques internes, un numéro de trapèze atomique. Ces deux mecs savent tout jouer, le trash-blues, le punk-blues, le fucked-up blues, le bouse-blues, enfin tous les blues.

 

Catzengler : en pleine cruise.

 

Left Lane Cruiser. Les Terrasses du jeudi. Rouen. 31 juillet 2014

 

Left Lane Cruiser. Bring Yo Ass To The Table. Alive Records 2008

 

Left Lane Cruiser. All You Can Eat. Alive Records 2009

 

Left Lane Cruiser. Junkyard Speed Ball. Alive Records 2011

 

Left Lane Cruiser & James Leg. Painkillers. Alive Records 2012

 

Left Lane Cruiser. Rock Them Back To Hell. Alive Records 2013

 

Left Lane Cruiser. Slingshot. Hillgrass Bluebilly Records 2014

 

De gauche à droite sur l’illustration : Brenn Beck et Freddy J IV

 

 

17 / 10 / 14LAGNY SUR MARNE

 

LOCAL DES LONERS

 

TONY MARLOW

 

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Champion of the world. C'est bien de moi dont je parle. En toute modestie. Sans une hésitation droit au but. Je vous l'accorde jusqu'à Lagny, ce n'est pas difficile. Tot dreit et la direction marquée en gros à chaque rond-point et carrefour. C'est à Lagny que ça se complique. Surtout que ce soir je n'ai pas Mumu qui connaît le moindre patelin de la Seine & Marne comme le fond de sa poche. Sans plan ou GPS, la zone industrielle de Lagny c'est un labyrinthe, mais guidé par l'infaillible sixième sens du rocker en quête d'un concert, je suis tombé pile sur l'aiguille perdue au milieu de la meule de foin. Du coup la teuf-teuf me dit qu'elle est mon Ariane. Se vante un peu trop. Thésée vous, malheureuse quatre roulettes. Si vous continuez à avoir la grosse culasse, je vous abandonne à la première casse-tacot.

 

Pas trop de monde, ce soir chez les Loners, l'est vrai que le week end est chargé. Ne serait-ce qu'à Couloumiers, pas très loin, c'est Nelson Carrera and the Scoundrels, exactly à la même heure, qui exhibent leurs talents de fripouilles. J'ai opté pour Tony Marlow que je n'ai pas vu sur scène depuis deux ans et l'accueil des Loners toujours aussi sympathique et chaleureux.

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PREMIER SET

 

Trio de choc. Tony sur notre droite, Gilles à bâbord, et Stéphane au centre. Pour une fois que le batteur n'est pas caché par ses camarades, faut le noter. Surtout que ce soir l'on a affaire à trois véritables musiciens. Veux dire par là des gars qui ne sont pas tributaires de leurs instruments, ce sont eux qui mènent le jeu et qui dominent. J'ai maudit ma mère. La sainte femme ne m'a mis au monde qu'avec deux oreilles, et ce soir il m'en manque une. Je ne sais plus où donner de l'esgourde. Je peux bien suivre deux musicos en délatéralisant mon écoute, mais selon les lois d'airain de la mathématique acoustique, il reste un des trois forcenés en dehors de mon champ auditif. M'en faudrait même une quatrième car s'ils fonctionnent chacun dans leur coin en autarcie, le produit final est d'une qualité sans égale. Jouent ensemble, sans jamais se marcher sur les pieds. N'empiètent pas sur le pré carré du voisin, ne s'amusent pas à brouter l'herbe soit-disant plus verte ailleurs que chez soi. Ne s'entraident même pas, n'en ont aucun besoin, les pièces séparées s'ajustent à la perfection. Le local des Loners ce n'est pas l'auditorium de la Cité des Musiques, mais avec un combo mille fois au point, le son est d'une netteté exemplaire.

 

STEPHANE

 

L'est des batteurs de rockabilly qui ne touchent jamais leurs cymbales. Me demandent même pourquoi ils en achètent. Sont obnubilés par la caisse claire. Stéphane est plutôt partisan de l'extension du domaine de la lutte. L'a une batterie devant lui, et une idée simple mais lumineuse lui a traversé l'esprit. Celle de s'en servir. Entendez par là de tous ses éléments. S'il était peintre ne serait pas le rapin à utiliser seulement un unique tube de blanc. Palette sonore, tape dans tous les toms. Du coup il dispose d'un étonnant registre d'interventions. Inventif et créatif. Ne vous propose pas le fromage ou le dessert, vous fournit les deux plus la mousse au chocolat et les langues de cat qui vont avec. Vous estourbit par son adresse. Z'avez z'envie de le filmer pour lui piquer tous ses plans. Mais ça ne servirait pas à grand-chose car ce n'est pas un cogneur fou qui ne se fie qu'à l'impulsion de ses bras. Fait aussi marcher son cerveau. Ne sert pas mécaniquement la sauce à ses compagnons, réfléchit avant. Il n'accompagne pas, il joue. Section rythmique, mon oeil ! Refuse le rôle du second couteau qui passe en numéro deux. L'est une entité à part entière. Un orchestre à lui tout seul.

 

GILLES

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Encore un partisan des fractions autonomes. Lui et sa contrebasse. Le monde autour en fond de décor si vous voulez. Mais au premier plan c'est big mama and Gilles. Nous tourne un peu le dos. C'est qu'il la regarde dans les yeux. Sans la lâcher du regard. Parfois à la manière dont il tire sur les cordes l'on croit qu'il va les lui arracher mais la plupart du temps se contente de slaper comme un forcené. Encore un qui ne se considère pas comme un simple accompagnateur. Soliste à part entière. Vous détache ses notes comme un obusier ses shrapnels. Arrivent par flots. Ne poussez pas il y en aura pour tout le monde. Crache des pruneaux qui font mal. Sème à tout vent. Agit par grappes. Quarante notes à la suite qui déboulent d'on ne sait où. Pour un contrebassiste c'est le moment de gloire, l'instant fatidique du solo, regardez comme je suis beau, applaudissez-moi et je m'en retourne pépère sur ma rythmique patapi-patapon ron-ron. Pour Gilles c'est juste un commencement. Une entrée en matière. De ces petites éruptions volcaniques il vous en délivre quarante à la suite, une seconde d'arrêt entre chaque et c'est reparti. Festival et feux d'artifices.

 

TONY

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Avant de l'écouter, faudrait que vous bûchiez un peu. Tous ses articles parus dans la revue Jukebox et consacrés aux grands guitaristes rock. Vous démonte un solo de Chuck Berry avec tant de précision que cela vous en paraît risible de facilité. C'est quand vous essayez d'appliquer la recette que vous vous apercevez que vous avez du mal à suivre la notice. Ce qui est râlant avec Tony c'est qu'il est encore plus fort en pratique qu'en théorie. Commence doucement, trois légères caresses sur les cordes, un peu comme quand vous tapez affectueusement sur le croupion de madame, tout doux comme un battement d'ailes de papillon, mais nous faisons confiance ce n'est qu'un prélude avant la mise en application des Cent vingt jours de Sodome et les reptations du Kamasutra. Idem pour Tony, fait ce qu'il veut de sa guitare, chanter, miauler, vrombir, au choix. Mais toujours cette musicalité dansante qui est la marque de fabrique de ce son qui n'appartient qu'à lui, qui vous enchante l'âme et vous l'aiguise aussi tranchante que la lame d'un couteau.

 

MUSIC, MAESTROSOS !

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Ce premier set fut un délice. Un dessert de gourmets gourmands. Tony est au chant. En anglais et en français. Faut d'ailleurs un petit moment pour que le cerveau réalise qu'il s'exprime en notre idiome natal, tant cela passe bien sans hiatus. Preuve que la stérile polémique de l'anglo-américain en tant que langue naturelle du rock est un faux problème : suffit de le sentir. Tony s'affranchit de toutes les barrières. Dans elle Revient, s'amuse à pousser la voix vers des inflexions méditerranéenne, l'on décèle comme un arrière fond de trémolo flamenco qui se marie très bien avec les clin-d'oeil très sixties du morceau. Impression confirmée par l'instrumental suivant que Tony présentera comme du pasobilly. Ne criez pas au scandale, réfléchissez plutôt aux origines espagnoles du Tex-Mex et toutes les traces que l'on en retrouve chez les plus grands de Buddy Holly à Mink De Ville. L'enchaîne sur un Swing Tennessee davantage orthodoxe, mais s'amuse à flirter avec les genres, le Come On de Chuck Berry même si l'on se souvient surtout de l'interprétation des Stones, tout de suite suivi d'un Runaway Boy parfumé au Born To Be Wild de Steppenwolf, mélange explosif de neorockabilly avec un des titres fondateurs du hard rock. N'oublions pas que Tony Marlow est un biker inconditionnel ( reportez-vous à son 25 centimètres See You At The Race ) et que nous sommes chez les Loners dont quelques belles montures s'alignent devant l'entrée. Le set finit sur un Train Kept A Rollin de Johnny Burnette apocalyptique.

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Tony et ses boys nous laissent sur les rotules. Toute l'énergie du rockab alliée aux fièvres rock and roll qui ont suivi.

 

DEUXIEME SET

 

Tony a changé de guitare et Gilles débute avec une basse électrique mais très vite il reviendra à sa big Mama favorite. Stéphane reste fidèle à sa batterie, se contente de modifier son style de frappe. C'est que le band ne nous refait pas le coup des Dents de la Mer II. Les crocs toujours aussi acérés mais le son est changé, davantage ramassé, plus anglais en quelque sorte. Ce n'est pas un hasard s'ils nous livrent une version fulgurante de Doctor Feelgood, le vieux morceau de Piano Red brandi comme un drapeau par le groupe éponyme du pub rock qui marqua en Angleterre le retour à l'énergie brute – blanche et noire – du rock and roll. De Doctor Feelgood à Johnny Kidd le pas est allègrement franchi, suffit de passer par son groupe accompagnateur les Pirates dans lequel sévit – pour notre plus grand bien – le guitariste Mick Green. Vont nous remettre Johnny Kidd sans se lasser, Please D'ont Touch, Growl, Please Don't Bring Me Down, Linda Lu par exemple. Marlow expliquera qu'il est en train de préparer un album hommagial au plus célèbre des pirates électriques britanniques, un peu trop oublié ces temps-ci. Le set plonge aussi au plus près des racines bleues du rock and roll avec le I Just Wanna Make Love To You de Willie Dixon popularisé par Chuck Berry, sans se défendre d'explorer le répertoire pure Ted comme le My Little Sister Got A Motorbike de Crazy Cavan. Final démentiel avec un Shakin'All Over époustouflant et un Bip Bop Boom du pianiste Mickey Hawks un pur hit rockabilly aussi percutant et rapide qu'un direct du gauche que vous ne voyez pas venir mais dont vous sentez les effets. Rock Out !

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Le trio d'enfer de Tony Marlow nous a sonnés. Tous envoyés au tapis, en deux sets. Ont tout donné et on a tout pris. Exceptionnel. Du rock comme on n'entend plus assez souvent. Du rock ? Non de la musique jouée par des musiciens émérites. Et diaboliques. Un très grand moment de rock and roll.

 

Damie Chad.

 

( Les photos ne correspondent pas au concert )

 

Futurs concerts chez Les Loners :

 

07 / 11 / 2014 : THE RINGSTONES

 

23 / 01 / 2015 : FURIOUS ZOO ( avec Renaud Hantson )

 

( 5 rue Freycinet / Lagny sur Marne / 77 )

 

 

LA SCANDALEUSE HISTOIRE DU ROCK

 

 

GILLES VERLANT & JEAN - ERIC PERRIN

 

 

( GRÜND / Octobre 2012 / 596 pp )

 

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Un truc qui nous faisait salement râler la teuf-teuf et moi. Impossible de faire un long trajet sans que l'auto-radio ne nous déverse, au hasard de nos changements de stations, à peu près tous les cent cinquante kilomètres un épisode de La Scandaleuse Histoire Du Rock. Comme nous adorons le rock et que nous sommes friands de tous les scandales, nous avions dès que retentissait le générique de l'émission ce que l'on pourrait appeler un a-priori favorable. Vite déçu. Vous parlerai de la raison de nos déception tout à l'heure. Je m'attarde d'abord sur l'adverbe, six minutes pour traiter d'un sujet relatif au rock, c'est un peu court. Faut en plus, plutôt en moins, encore décompter le timing des illustrations sonores. Chouette, You Really Got Me des Kinks ! zut z'ont z'enlevé le son au bout de zrente zecondes, idem pour toutes les autres illustrations musicales. Je sais bien que le rock est né des frustrations adolescentes, mais ce n'est tout de même la peine d'en rajouter quatre toutes les six minutes papillons. Aux ailes coupées. Gilles Verlant possède peut-être un bel organe – l'a été chargé durant plus de dix ans des bandes annonces sur Canal + - mais j'avoue qu'il ne m'a jamais fait mouiller le slip – une voix sonore et joyeusement professionnelle, mais un tantinet trop racoleuse pour mes tympans. Question contenu, c'est un peu décevant, exemple : la play-list de l'Ipod du Président Obama, je m'en moque un peu, et vous aussi. Un simple gadget de communication électorale. Un attrape-gogos. Un amuse-peuple. Faut bien jeter un peu de monnaie de singe dans la bouche grand ouverte des manants du roi prêt à gober les restes les plus abjects des poubelles princières. Là est le scandale, mais de celui-là Gilles Verlant se garde bien d'en parler. Les émissions sont diffusées sur les ondes de France Bleu. Retenez bien l'azur démocratique, ne la confondez pas avec le noir anarchie.

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Je n'aurais jamais dépensé les 24 euros quatre-vingt quinze centimes nécessaires à l'achat du bouquin, mais c'était mon jour de chance pour moins de cinq euros j'ai ramené tout un lot de bouquins tout neufs dont certains très intéressants encore sertis de leur coque plastique protectrice. C'est ce qu'on appelle un circuit de distribution et d'écoulement parallèle de la production culturelle nationale. Réflexe pavlovien, j'ai été incapable de résister au mot rock'n'roll aussi efficace et meurtrier que la muleta du torero. Idéal pour les temps morts, vous avez cinq minutes à perdre pendant que madame se pomponne dans la salle de bain, et vous vous envoyez tranquille trois ou quatre chroniques, vite fait bien fait, car il ne faut jamais rater l'occasion de s'instruire. Bref, en deux jours, me suis tapé les deux cents quarante items. Question connaissances pures, je n'ai pas appris grand chose. Rien, à part cette information que je m'empresse de vous livrer afin de perfectibiliser vos neurones : avant de sortir avec Mick Jagger, le célèbre mannequin Jerry Hall faisait des galipettes avec Brian Ferry. Preuve indiscutable que la demoiselle avait de la jugeote, délaisser Roxy Music pour les Rolling Stones, est une preuve irrécusable de bon goût. J'avoue que c'est humiliant, moi qui me croyais incollable comme le riz ( celui qui se bouffe tout cru ), suis forcé d'avouer qu'à l'époque j'étais passé à côté du scoop. Je me demande même comment j'ai pu survivre. Un miracle. Que le Vatican ne manquera d'authentifier. Tout de même une chose me console, c'est que parmi les lecteurs de KR'TNT ! doit se trouver deux ou trois malheureux - de stupides irréfléchis en vérité, indignes de venir s'abreuver à foison en nos doctorales pages - à qui avait échappé cette indiscutable réalité : il existe plusieurs morceaux de rock and roll qui affichent le mot « stop » dans leur titre.

 

Vous en conviendrez le niveau n'est pas de très haut étiage. Le rock étudié à la loupe mais par le petit bout de la lorgnette. Beaucoup d'articles sur les Beatles et quand il n'y a plus rien à dire l'on se penche sur les cas particuliers John, George, Paul et Ringo. Le quatuor d'or du consensus mou du grand public. N'a quand même pas oublié les pionniers, ont pratiquement tous leurs deux pages. Puisque l'on est en train de charger le plateau positif de la balance du jugement de l'âme, précisons que le livre est plus agréable à lire qu'à écouter à la radio. Pour les acharnés du son, un petit encadré vous indique les morceaux que vous pouvez auditionner en parallèle à votre lecture. Mais étrangement le texte dénudé de toute illustration musicale passe mieux. Paraît plus dense et moins primesautier que lu sur les ondes hertziennes. L'est relativement bien écrit et les traits d'humour paraissent plus acérés que lorsqu'ils sont surchargés de la gouaille du présentateur. Certains sont très courts, preuve que Gilles Verlant et ses nègres – aucune allusion aux chanteurs de blues mais aux stagiaires qui ont dû se charger des fastidieuses recherches et de l'écriture de premier jet, ce sont là suppositions totalement gratuites et médisantes de ma part – étaient en panne d'inspiration, à moins que l'inanité de certains sujets fût très vite épuisée... Un citron pressé ne peut donner que le jus qu'il contient comme le roucoule si bien le grand masturbateur Robert Plant in The Lemon Song sur le Led Zeppelin 2. Excusez-moi demoiselles et tourterelles mais le rock est une musique de phacochères en ruts et en manque. Ce qui est totalement scandaleux – je parle du manque, pas du rut - je vous l'accorde.

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Sur la jaquette l'on nous promet un second tome. Aux dernières informations, il y aurait eu six cent soixante livraisons radiophoniques sur France Bleu et France Info. Ce qui augure mal du sérieux de cette chaîne d'information quant à la qualité de ses sources. Mais entre temps s'est passé un événement grave. Surtout pour Gilles Verlant. L'a eu la mauvaise idée de mourir. Le vingt septembre 2013. A cinquante six ans. L'est tombé dans un escalier et ne s'en est jamais relevé. Ce qui est triste. Tout compte fait il ne faisait pas grand mal à personne en racontant son sirop rock and roll. A donné l'illusion à tout un large public de se vautrer dans un océan de stupre. Abysses marins rassurants tout de même car pas très profond. L'on n'y risque pas la noyade. Un peu de sexe, un peu de drogue, un peu de rock and roll. Mini doses à chaque fois. Tant pis si ça ne fait pas le maximum. Plus un ton sympathique, un peu critique gauche caviar qui n'engage pas à grand chose mais qui vous donne un vernis de rebelle écorniflant à moindre prix. Le rock and roll en a vu d'autres et n'en est pas mort pour autant. Enfin pas encore.

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Reste le cas de Jean-Eric Perrin, son nom est écrit en tout petit sur la couverture. Polygraphe rock bien connu, auteur d'une trentaine d'ouvrages de Léo Ferré à Indochine en passant par Le Guide de la Chanson Française. Peut-être s'est-il contenté de souffler des idées. Dans tous les cas, tous les deux ont ratissé large. Très large. Trop large. Pour tout dire l'ensemble n'est pas très scandaleux !

 

Damie Chad.

 

 

GARI ! 1974

 

Film de NICOLAS REGLAT

 

( sortie nationale : 15 octobre 2014 )

 

( http://a-paris-distribution.com/gari/ )

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N' y avait pas que des entrées en force dans les concerts à Toulouse dans les années 70. Je vous laisse dix minutes pour que vous alliez illico presto vous replonger sur Riot In Toulouse de Little Bob Story, ça remplacera le coton tige pour nettoyer vos oreilles. Dans Toulouse la Noire, Toulouse la Rouge, se passaient aussi des évènements moins anecdotiques. Le titre du film est suivi d'une citation qui donne le ton :

 

«  Ceux que l'on traite de desperados durant leur vie

 

deviennent des héros quand tout danger

 

de s'engager avec eux est écarté »

 

Nous traitons ici de la face sombre du rock des années soixante-dix. L'on n'en parle généralement qu'à mots couverts. Quelques phrases et hop, l'on revient très vite aux paillettes des supergroupes, tout ce que vous voulez savoir sur les Pink Floyd, ou sur les Rolling Stones, ou sur Led Zeppelin. Ne bousculez pas, il y en a pour tous les goûts. Pour sûr les seventies marquèrent l'apogée du rock dans le grand public. A atteint en cette fabuleuse décennie son étiage le plus haut. Une position hégémonique dans la jeunesse. Du moins dans sa minorité agissante et signifiante. Car les plus gros bataillons de la majorité silencieuse, les rangs dociles de cette chair à patron vouée à l'exploitation libérale, écoutaient la variété la plus moche. Le rock est apparu en ces années mouvementées comme l'expression privilégiée de la révolte juvénile. Face à l'étroitesse de la morale sexuelle héritée de l'idéologie chrétienne, face à la toute puissance des tutelles parentales, face à l'organisation d'une société éminemment castratrice quant à l'effulgence des désirs inassouvis.

 

« L'expression de la colère », le terme est beau comme le reflet du soleil sur un miroir. Vous éblouit tout en permettant de ne pas voir. Plein les mirettes pour un rond de frite molle dégoulinante de compréhensive attitude. Permet d'évoquer sans s'appesantir. Une fois dit, l'on passe à autre chose. C'est que l'on appelle l'objectivité démocratique. Tout le monde a droit à sa petite phrase récapitulative. Mais en ces générations du baby boom, si certains se sont complus à accentuer le côté «  Oooh ! Baby I Need You » d'autres ont préféré explorer le côté «  boum ». Ne vous méprenez pas, ce n'est pas la boum acnéique autour du teppaz, mais le boum explosif des bombes qui éclatent un peu partout.

 

La guerre du Vietnam a mis le feu aux poudres sur les campus universitaires américains. Mais très vite les hippies sans verser du tabac dans leur herbe ont mis un peu trop de fleurs dans le canon de leurs fusils. En France, pour une fois on a dépassé les ricains, l'on s'est offert un petit Mai 68 pas piqué des hannetons, regorgeant de pavés et de gaz lacrymogène. Ca s'est mal fini. La bourgeoisie main dans la main avec les organisations ouvrières réformistes ont enterré les espoirs fous de tout un peuple dans l'urne funéraire des renoncements démocratiques au do it yourself anarchiste. Y a eu des soubresauts, des répliques, qui se sont traduits par l'émergence de groupuscules politiques contestataires.

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La bonne ville de Toulouse fut un abcès de fixation de ces rebellions ouvertes qui ne voulaient pas abdiquer. Le mouvement gauchiste y fut très fort et pourvu d'un deuxième pôle anarchiste tout aussi pléthorique et efficace. Simple question géographique, c'est à Toulouse que se replièrent moult des partisans de la révolution espagnole après son écrasement par les troupes franquistes en 1939. Très logiquement la ville soit-disant rose devint la base arrière ( et avancée ) des mouvements qui continuaient la lutte en Espagne même.

 

Le GARI, anagramme de Groupes d'Action Révolutionnaire Internationale, prit forme en 1973 lorsque des membres du MIL ( Movimiento Iberico de Liberacion ) espagnol furent arrêtés à Barcelone. L'un d'entre eux Puig Antich fut condamné à mort et garroté le deux mars 1974, malgré de multiples manifestations de soutien dans toute l'Europe. Le film relate l'enlèvement à Paris du banquier Baltazar Suarez durant presque trois semaines, sa libération et toutes les actions qui s'ensuivirent. L'est monté à base de quelques images d'archives et donne avant tout la parole à certains des protagonistes de cette action qui monopolisa les médias nationaux durant plusieurs mois. Des gens âgés – l'un d'entre eux est même décédé dans les semaines qui suivirent son témoignage – mais qui n'ont rien renié de leurs engagements. Ce qui est rassurant quand on voit nos hommes politiques prêt à se dédire de la moindre de leurs affirmations politiques dans les minutes qui suivent leurs déclarations dès que la mayonnaise médiatique éclaire d'un peu trop près le sens de leurs paroles.

 

Je doute que ce film ait droit à une large diffusion. Trop dangereux. Son message est d'une transparence absolue : l'action vaut mieux que l'inaction. Paye toujours mieux. Et pourtant le GARI n'était constitué ni de supermen ni de superwomen. Plusieurs groupes de militants plus ou moins cloisonnés, infiltrés par un agent franquiste en étroite collusion avec la police française, un peu amateurs, mais déterminés et décidés. Assez malins pour prendre la hiérarchie policière à son propre piège et qui échapperont malgré les arrestations et les perquisitions aux lourdes années de prison décidées à titre d'exemple par l'Etat. C'est sûr qu'entre temps ils n'ont ménagé ni la poudre ni la penthrite, mais l'Etat Espagnol devra libérer plus de deux cents militants détenus dans ses geôles. De l'action directe musclée et radicale mais qui reste très loin de la lutte armée.

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Un mauvais exemple. A donner des sueurs froides dans le dos de nos dirigeants. L'existe manifestement plusieurs manières de s'indigner. Après l'échec des manifestations pacifiques sur les places publiques, faudrait pas que se constitue un abécédaire des autres manières de lutter. Avec la colère sourde qui s'ancre de plus en plus profondément dans de larges couches de la population excédées de précarité et de misère, il serait très malséant que ce film qui relate des évènements vieux de quarante ans n'engendre une forme aigüe de réflexion sur le déploiement de nouvelles militances, un plus ollé ! ollé ! que la morne résignation de façade d'aujourd'hui.

 

Un film très rebel rock, en quelque sorte.

 

Damie Chad.

 



 

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