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02/10/2014

KR'TNT ! ¤ 203. ROBERT JOHNSON / JESSE HECTOR / DRUNKER KEUPON / MADE IN ROCK / SWIMGUM / OL'BRY / TRONCHES DE BRIE / LAURA COX

 

KR'TNT ! ¤ 203

 

KEEP ROCKIN' TIL NEXT TIME

 

A ROCK LIT PRODUCTION

 

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

 

03 / 10 / 2014

 

 

ROBERT JOHNSON / JESSE HECTOR

DRUNKER KEUPON / MADE IN ROCK / SWINGUM

OL'BRY / TRONCHES DE BRIE / LAURA COX

 

 

LOVE IN VAIN

 

ROBERT JOHNSON – 1911 - 1938

 

MEZZO – j.M. DUPONT

 

( Glénat / Septembre 2014 )

 

 

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On ne l'attendait plus. Soul Bag nous avait mis l'eau à la bouche en nous dévoilant quelques planches, et puis après plus rien. Disparu. On n'y croyait plus. Robert Johnson s'était de nouveau évanoui, reparti sans laisser d'adresse dans l'anonymat des causes perdues, devait être ailleurs en vadrouille, quelque part en train de tirer le diable par la queue. Et ce matin, enfin, après de deux ans d'impatience, le livre chez le libraire.

 

Chez Glénat, se sont tout de même aperçus qu'ils ne pouvaient pas faire pour Robert Johnson, comme pour tous les autres super héros de la bande dessinée. Fallait donner à l'album, avant même qu'on l'ait ouvert, l'apparence d'un objet culte, et ils ont plutôt réussi. Un format différent des nouveautés habituelles, 32 sur 16 centimètres ; un peu plus large et un peu moins long qu'un manche de guitare, couverture noire – car la vie de Johnson ne se délaie pas à l'eau de rose – et un dos de couverture rouge, avec le lettrage en argent – z'auraient dû le rehausser d'or – comme pour les livres de prix. Agréable au toucher, imitation des vieilles reliures toilées. De même à l'intérieur, très belles pages de gardes au motif classieux et suranné, comme un petit rappel qu'en ces années où vécut Robert Johnson, la production capitaliste des objets culturels, pas encore tout à fait de masse, était encore attachée à certains critères de beauté classique.

 

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J'en connais beaucoup qui vont acheter le bouquin, et de retour chez eux s'installer à l'aise dans un fauteuil des plus confortables, se verser une douce rasade d'alcool de blé et s'allumer un bon cigare. Et en voiture Simone, c'est parti pour une bonne heure de lecture. Les malheureux, trois heures après, ils n'en auront pas lu une ligne. Non, ce ne sont pas des analphabètes ! Sont simplement subjugués par la splendeur des images. C'est un livre qui d'abord se regarde. Dès la première image, vous ne savez savez plus où donner de la tête, le regard droit sur Robert, mais déjà les yeux concupiscents qui louchent à droite sur ces culs coruscants de gonzesses qui nous roulent leurs belles mécaniques sous le nez. Enfer et damnation ! vous n'aviez pas encore aperçu la diabolique courbe de cette hanche sur votre gauche ! Et vous vous n'avez encore rien vu. C'est dans les détails que se glisse le diable, tenez rien que le bootleneck sur l'annulaire de Johnson et cette bouteille – l'on devine que ce n'est pas de l'eau de source - derrière son oreille, et plus dans la profondeur du champ ces couples qui dansent qui maintenant vous sautent aux yeux. Un univers apparaît, et pourtant c'est la noirceur du monde qui domine. Mezzo n'est pas un adepte du contre-jour, lui ce serait plutôt la contre-nuit. Doit commencer par vider un flacon d'encre de chine sur sa feuille, doit passer au four pour sécher, et ensuite travailler avec la plume au grattage. Un satané numéro cet artiste, il gagne à tous les coups le gros lot. Chaque image conçue comme une oeuvre d'art. Un tableau, une gravure sur bois, ça se rapproche au niveau technique de ce qu'avait réalisé Raoul Dufy pour le Bestiaire d'Apollinaire. Le rapprochement n'est pas hasardeux, Robert Johnson est bien l'Orphée du blues.

 

Ah ! les pleines pages ! De quoi y perdre votre âme, et je ne parle même pas des illustrations qui accompagnent les traductions des lyrics de Johnson par J. M. Dupont. De sublimes crayonnés, des espèces de fusain qui vous trouent la cervelle comme autant de coups de fusil. Vous avez envie de les découper et de les punaiser au-dessus de votre lit. Essayez, vous m'en direz des nouvelles. Rien qu'à les voir, vos copines cèderont à vos plus sombres folies.

 

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Z'ont pris du beau papier, avec l'encre que les rotatives ont dû cracher l'était impossible de se servir de pelures transparentes. Cela a épaissi le volume. Soixante treize pages – pour que ça vous porte malheur soixante-dix fois – pas une de plus. C'est que la vie de Robert Johnson nous n'en connaissons que des bribes. Peu de documents, peu de témoignages. Un exemple frappant : le livre de Guralnick paru en 1998 chez Castor Astral, pas bien gros, vous le fourrerez facilement dans la poche arrière de votre jean, l'insiste beaucoup pour nous décrire ses efforts, ne l'a pas d'ailleurs intitulé Robert Johnson, sa vie son oeuvre mais A la Recherche de Robert Johnson, n'a pas trouvé grand chose et y a perdu beaucoup de temps. Notre bluesman ne nous aide pas, a inauguré la fameuse secte des 27, ceux qui sont si pressés de vivre qu'ils se dépêchent de mourir. Mais beaucoup plus intriguant : le silence des témoins. De première main. Qui ont partagé ses pérégrinations, qui l'ont suivi et aidé. Pas très diserts. Ont lâché le minimum. Comme s'ils faisaient une déposition en garde à vue, moins j'en dirai, mieux ça vaudra. Le pourquoi de cette discrétion m'a toujours étonné. La peur que l'on s'intéresse moins à eux alors qu'ils touchaient enfin en fin de vie à un peu de reconnaissance ? Ou alors la force du mythe qui nous pousse à demander toujours plus. Que l'on nous donnerait l'éphéméride de ses jours heure par heure, qu'il nous manquerait encore quelque chose. Comme si nous ne pourrions jamais obtenir satisfaction, comme si notre amour pour le guitariste évanescent était en vain.

 

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Bref je n'aurais pas aimé être à la place de Mezzo lorsqu'il s'est mis pour la première fois en face de la feuille blanche. L'a dû connaître les affres mallarméennes de l'angoisse de la page noire. L'est parti de rien. De trois photos. Une clope longue comme un jour sans pain, mais avec si peu de nourriture l'on ne va pas bien loin. Deux ou trois plans par ci, par là. Sans exagération. Un truc à se faire blacklister par le cucu-clan de la prohibition du tabac qui sévit en notre pays. L'on a déjà supprimé la cigarette sur les photos de Camus quod corrumpet notre saine jeunesse estudiantine, l'on n'allait pas se gêner avec un pouilleux de noir du siècle dernier. Comme emblème Mezzo a préféré le costume à rayures de son portrait le plus connu. Le lui colle à la peau. Ca le grandit et lui file une allure de girafe dégingandée, ce qui n'est pas mal pour un zèbre célèbre. L'avantage aussi de rappeler par la bande ( blanche ) les pyjamas rayés des prisonniers des pénitenciers dont on affublait les nègres que l'on emmenait travailler les digues du Mississipi. Une fois que vous avez cela sur le dos personne ne vous oublie et tout le monde vous remarque.

 

Mais c'est comme pour une jolie fille, vous lui refilez les hardes de l'épouvantail à moineaux de votre jardin et elle en reste toute belle. Robert Johnson possédait ce qui ne s'apprend pas. La classe innée. A qui pourriez vous faire croire le contraire ? Pas aux nanas, en tout cas. Sont toutes à son service. N'y a pas que le rock qui se résume en sex and drug. Le blues aussi. Red rooster. Le coq de la basse cour. Poursuit les poulettes. Les grosses et les minces. Ne choisit pas, goûte à toutes. Pressez-vous car il y en aura pour tout le monde.

 

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Mais l'histoire de Robert Johnson ne se résume pas à une suite de culs dodus. Commence mal, mais c'est de famille, le père – pas le vrai – poursuivi par les dogues du patron, une manière courante de régler les litiges de l'exploitation ouvrière, à l'époque – qui se fond dans la communauté noire de la ville d'Hazlehurst, laissant le maître de la plantation gros jean comme devant. Tout un symbole, pratiquement le seul blanc entrevu dans la suite du livre, Robert Johnson est le fils du peuple noir maintenu à l'écart de tout progrès social. Le blues comme une expression séparée, une sous-culture prolétarienne qui se développe en un milieu fermé peuplé d'ilotes méprisés.

 

 

 

Il y aurait de quoi se lamenter toute sa vie. Mais dans le vase clos de la ségrégation, il fait aussi bon vivre. Suffit de choisir la bonne église. Pas celle du bon dieu qui promet beaucoup mais qui ne donne pas grand chose, mais celle de Satan qui donne accès au gay sçavoir des sexualités débridées et des lampées d'eau de feu à profusion. Faut du carburant pour chevaucher le tigre de l'insoumission. Diable merci, le pays est parsemé de juke joints et de barrel houses à gogo. L'on y donne chaque soir d'étranges fêtes païennes dont les officiants vous psalmodient de peu pieux cantiques au bleu poisseux de méthylène. C'est là que Robert Johnson croise son destin, Son House in person.

 

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La suite est connue, elle est le coeur de la légende johnsonnienne, l'entrevue avec le grand cornu, le pacte faustien conclu, l'âme contre tous les plans de guitare possibles et inimaginables. Mezzo nous en propose d'abord une version moins légendifiée, la rencontre avec Ike Zinnerman – il s'agirait plutôt de Zimmerman, originaire d'Alabama qui vivait pas très loin d'Hazelhurst à côté du cimetière de Beauregard dans un hameau sis à un croisement, musicien extrêmement doué pour l'enseignement, qui transmit à Robert tout ce qu'il savait. Ike Zinnerman n'enregistra jamais. Le diable lui joua un mauvais tour. L'abandonna aux mains de Dieu, et le pauvre Ike finit très mal troquant l'ambiance enfumée des juke joints pour les assemblées de l'Eglise. A terminé pasteur, son blues pasteurisé transformé en musique spirituelle. Sa famille affirme qu'il est le créateur de Dust My Broom que Robert s'attribua. L'a eu raison, car un prêtre qui se fait astiquer le manche à balai délivre un message très peu en communion avec les chastes enseignements de la morale chrétienne. L'est mort en odeur de sainteté -very bad trip - en 1974.

 

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Johnson ne suivra pas le même chemin. Il prend la route qui le mènera jusqu'à Héléna. C'est là qu'il s'affirme auprès de ses pairs, Howlin' Wolf, Memphis Slim, Elmore James mais c'est avec Johnny Shines qu'il noue l'amitié la plus durable. Resteront deux ans ensemble de 1935 à 1937. On the road. Se partagent les rôles. Musicalement Robert sera le leader, Johnny le seconde, mais fait aussi office de protecteur. Robert très entreprenant à l'égard des dames, la quéquette aussi incisive que ses doigts sur la guitare s'attire parfois les foudres de maris récalcitrants. C'est son époque dorée. Parvient à enregistrer. Terraplane Blues se vend à 5000 exemplaires. L'on ne peut pas parler d'une pluie d'or, mais les engagements sont plus faciles, goûte aux joies d'une petite notoriété. Dépense tout ce qu'il gagne en alcool, femmes et jeu... Pour un pauvre noir comme lui, c'est une vie de nabab.

 

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Quitte le sud, de Memphis à Saint Louis, de Chicago à New York, Son personnage est un héros de la communauté noire. Lorsque son nom arrive aux oreilles blanches, ce sera trop tard. Sera déjà mort. L'est retourné dans le Sud. Retour au pays natal ? Histoire de fesse ? Une simple étape de ressourcement avant de remonter dans le Nord ? Nous ne le saurons jamais. L'histoire s'arrête à Greenwood, dans un jook house. Selon les dires de Sonny Boy Willialmson, le deuxième, Rice Miller, il accepte une bouteille de whisky ouverte diligentée par un patron du bar qu'il vient de cocufier... L'aurait survécu au poison si sa carcasse n'avait pas été minée par l'alcool, la syphilis et la pneumonie. N'y a pas eu de médecin pour établir un diagnostic. Né le huit mai 1911, décédé le 16 août 1938.

 

Mais l'histoire ne s'arrête pas là. L'aurait pu demeurer dans la mémoire collective comme un vague nom qu'il convient d'honorer sans savoir de qui on parle au juste. A u début des années soixante il va devenir pour une génération de musiciens anglais – la deuxième, celle qui se détourne des pionniers blancs du rock et qui remonte aux noires roots du blues - un patronyme mythique dont il convient de retrouver les disques et d'interpréter les morceaux. Certes nos jeunes gens cèdent à l'attrait incomparable du génie du guitariste mais sont aussi attirés comme un aimant par cette existence flamboyante. La vie de Robert Johnson est une flamme qui s'élève. Pas trop haut. Pas assez en son temps pour s'échapper des murs du ghetto mais suffisamment brillante pour attirer l'attention et signaler le lieu illusoire de tous les possibles.

 

Le livre s'achève par quelques textes des morceaux de Johnson notamment le Me And The Devil Blues, et le Come On In My Kitchen, revendiqués aussi comme la création d'Ike Zinnerman par ses descendants actuels. Très belles traduction de J. M. Dupont. L'a su éviter la transcription littérale qui sonne comme trop enfantine en notre langue, et se tenir éloigné d'un corset par trop littéraire qui survient dès que l'on cherche à améliorer tant soit peu un texte étranger dans notre bon vieux françois.

 

Très bel hommage à Robert Johnson, vous faudra sortir un billet de vingt euros, mais vous ne vous acquitterez pas de cet achat en vain. L'on vous rendra même cinquante centimes. Que voulez vous, votre âme ne coûte pas plus cher.

 

Damie Chad

 

 

19-07-14 / LES TONTONS BRINGUEURS / XX°

 

HECTOR L'ACTOR

 

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Avec Jesse Hector, c’est tout l’un ou tout l’autre. Tout l’un parce qu’il continue de faire l’actualité. Tout l’autre parce qu’avec lui, on est tranquille côté discographie. Un seul album en quarante ans, on ne risque pas l’indigestion, comme c’est hélas le cas avec Johnny Cash, James Brown ou Jackie DeShannon.

 

Jesse Hector a donc réussi à bâtir une légende sur la foi d’un seul album et d’une poignée de singles. Comme les Sex Pistols.

 

Cet album unique que vient de rééditer Damaged Goods sur vinyle rouge s’appelle «Message To The World». C’est aussi le titre du docu que signe une certaine Caroline Catz. Du coup, Jesse Hector qu’on croyait jeté aux oubliettes refait surface. Monte-Christo ? Pas si loin. L’histoire de Jesse Hector pue l’injustice. On a même essayé de le faire entrer dans le clan des losers. Raté.

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Pour une petite poignée de gens, la sortie du docu et la réédition de l’album constituent un événement de taille. Ce n’est pas grand chose, à l’échelle de l’univers, bien sûr, mais à une autre échelle, ça compte beaucoup. Jesse est en vie, et pour ceux et celles qui l’admirent, c’est tout ce qui compte. Riche ou pauvre, ça n’a plus guère d’importance. Tout le monde n’est pas Cézanne, disait Aragon, et c’est aussi vrai pour Jesse Hector. Il reste intouchable. Son parcours est ce qu’on appelle un sans-faute, comme le sont les parcours de Lux Interior, de Jeffrey Lee Pierce, d’Ike Turner, de Steve Marriott, de Johnny Thunders ou de Johnny Rotten. Jesse Hector naviguait exactement au même niveau que tous ces gens-là, mais la nouvelle ne s’est pas répandue. Et c’est pour ça qu’il est devenu une énigme.

 

Accompagné de Caroline Catz et de Philip King, Jesse Hector était à Paris le 19 juillet dernier pour la projection en avant-première de «Message To The World». Son ami et manager Philippe avait réussi à organiser cette soirée dans un petit bar situé à l’entrée de la rue Boyer, les Tontons Bringueurs, un endroit jadis bien connu des amateurs de théâtre à la bonne franquette. Il faisait comme on dit une chaleur à crever, mais il régnait à l’intérieur du bar une atmosphère particulière. On sentait que les gens présents étaient tous ravis de participer à un mini non-événement.

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Jesse vint serrer la main aux gens - aux people, comme il disait - et on était tout simplement frappé par sa classe de petit bonhomme bien conservé. Il dégageait une énergie hors du commun et il sentait bon la rock-star. Il avait encore en lui ce côté racé qui distingue les vrais artistes des autres. On sentait le glamster anglais sur son trente-et-un, avec un franc sourire d’yeux mi-clos et une façon de transmettre des choses dans une simple poignée de mains. On était loin de la froideur aristocratique que cultivaient les musiciens britanniques à une autre époque, ceux qui se fermaient comme des huîtres dès qu’ils comprenaient qu’on était français. Jesse Hector impressionnait par sa prestance. Il avait le crâne rasé autour d’une houppette blonde plaquée au sommet. Il portait un polo rouge vif très moulant et une paire de jeans. Alors qu’il passait parmi nous, on l’observait. Steve Marriott ne nous aurait guère plus impressionné. Certains personnages dégagent des choses qui relèvent du charisme pur. Approchez Mark Lanegan ou Phil May et vous sentirez exactement la même chose. Après bien des années, on finit par comprendre que la légende ne sort pas la cuisse de Jupiter.

 

Dans l’étuve du bar, les verres de blanc bien frais étaient accueillis comme des messies. Puis la projection commença. On ressentit rapidement une sorte de malaise, car il n’y avait pas de sous-titres, et donc les gens qui ne comprenaient pas l’Anglais allaient en baver. Car Jesse parle beaucoup dans le docu et ce n’est pas de l’Anglais scolaire, celui qu’on apprend en sixième.

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Le docu devait donc se débrouiller tout seul, pour ceux qui ne comprenaient pas l’Anglais. Or, il n’y a rien dans ce docu. Caroline Catz a réussi le prodige de faire un film avec RIEN : quelques photos, les singles en bande son et tout le reste, ce sont des plans tournés dans les rues et des fragments d’interviews récents. Quasiment pas de footage, comme disent les Anglais (à part une scène miraculeuse montrant les Gorillas en studio avec Ted Carroll, mais ça ne dure que deux ou trois minutes, c’est-à-dire rien). Caroline Catz n’a pas lesté son docu de footage comme le font les autres quand ils montent un film rétrospectif, parce que le footage des Gorillas n’existe pas. Personne n’a eu l’idée de filmer les Gorillas sur scène à leur apogée. Et pourtant, ils étaient l’un des groupes les plus spectaculaires qui se soient produits sur scène. Jesse Hector n’était pas avare de calipettes et de coups de Trafalgar. Et donc à part l’album, les singles, quelques photos et des coupures de presse, il ne reste absolument RIEN des Gorillas. La pauvre Caroline s’est donc bagarrée avec le RIEN pour essayer de monter un docu qui soit digne de la légende, car évidemment, on parle ici de légende. Et elle y est parvenue, car elle restitue la grandeur de Jesse, non pas au plan musical - pour ça on a le DVD de reformation de Crushed Butler - mais au plan humain. Caroline Catz brosse tout simplement le portrait d’un petit bonhomme basé à Londres, qui va faire ses courses, qui doit travailler pour vivre et qui a consacré toute sa vie au rock’n’roll. Elle raconte l’histoire de Jesse comme elle aurait raconté l’histoire de Greg Shaw, de Joe Meek ou de Joe Foster, avec quelques images et des morceaux de musique. Elle a réussi à ancrer son docu à la fois dans l’histoire du rock à Londres et dans l’humain. Elle montre les différentes phases de la «carrière» de Jesse, et on est sidéré à chaque fois de constater que ce n’est pas grand chose, un single obscur et une guitare marquée Elvis pour rappeler les racines rock, qui sont les mêmes que celles de Jeff Beck, de Mick Farren et de tous les autres acteurs majeurs de l’histoire du rock anglais. Pour illustrer les débuts de Jesse, elle filme longuement une antique méthode de guitare et prend bien soin de nous montrer le dessin des accords un par un. Jesse rappelle qu’il skifflait dès l’âge de 9 ans - «I saw Lonnie Donegan and it started me» - Puis on saute à l’arrivée des Beatles, du British beat et donc à la révolution qui a balayé l’Angleterre puis le monde entier, et là Jesse redevient épique - «It was revolution, it was freedom ! Well that’s rock’n’roll ? That’s what I want to do !» - Comme beaucoup d’Anglais de sa génération, il n’était pas question de faire autre chose que d’apprendre à jouer de la guitare et de monter un groupe. Il était arrivé exactement la même chose dix ans auparavant à Johnny Carroll et à Bob Luman quand ils virent Elvis se produire dans leurs patelins texans. Pour Johnny et Bob, il n’était pas non plus question d’apprendre un autre métier ! Le rock ou rien ! En gros, ça s’appelle une vocation. Dans les siècles précédents, ce genre de phénomène se produisait dans les églises. Heureusement, les choses ont bien évolué.

 

Mais à part Ted Carroll et Mark Lamarr, les témoins ne se bousculent pas au portillon. Qui saura dire à quel point Jesse a su marquer son époque ? On croise juste le batteur de Slade Don Powell chez un disquaire, mais il ne fait pas vraiment de déclaration.

 

L’humain, c’est half past three in the morning, bus 24, then another bus. Pour illustrer ça, Caroline Catz a monté le générique sur l’image de la guitare marquée Elvis posée à côté d’un balai. Puis c’est l’avalanche des photos de la grande époque. On voit Jesse participer à une interview téléphonique pour une émission de radio. Plus loin, elle filme Jesse en polo rouge vif et avec des lunettes noires en train de poser pour des photographes devant un mur peint en bleu.

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Gros plan sur une photo de Larry Page, producteur des deux versions de «You Really Got Me», celle des Kinks et celle de Jesse Hector - «Larry was a genius» - puis déclaration d’intention - «We wanted the Mods with a step forward» - S’ensuivent des séquences frustrantes de répète où on voit Jesse jouer avec des mocassins blancs aux pieds. Pour revenir sur l’épisode Crushed Butler, Caroline Catz filme la vielle BD promotionnelle du groupe image par image - «Crushed Butler, so ahead of its time» - puis évocation bizarre de la disparition d’Alan Butler - «he bought a horse». Elle fait aussi des gros plans insistants sur une photo de scène pour nous montrer la cymbale cassée du batteur. On croise Gail Higgins dans une boutique de fringues et Jesse nous fait un couplet éclair sur le vent - «the wind is a spirit... That’s power !» Et on termine la tournée des popotes par une visite chez un marchand de sono des années cinquante - «Original stuff !» s’exclame Jesse.

 

Jesse indique que the Geographical Society où il bosse se trouve à deux pas - «I’ve been doing that for ten years and I like it. That’s the work I like doin’, I do it for a living» - précise-t-il, (il fait ça depuis dix ans, il aime bien ce métier et il en vit). Puis il salue la compagnie - «I’m on my way to work now so I’m going to wish you a good luck !»

 

Des amis que nous avions invités et qui ne parlent pas l’Anglais couramment eurent la décence de ne pas se plaindre qu’on leur ait montré le film en version originale et ils ovationnèrent Jesse à la fin de la projection. Pour Jesse Hector, ce fut certainement un moment extraordinaire que de se voir salué par une petite assemblée, d’autant qu’il n’avait pas joué une seule note. Il vint se planter devant l’écran et lança un émouvant Thank you people !

 

C’était plutôt à nous de le remercier.

 

Cazengler le loser

 

 

Jesse Hector. Les Tontons Bringueurs. Paris XXe. 19 juillet 2014

 

Jesse Hector. Running Wild/A Message To The World (Film de Caroline Catz). Sortie officielle le 27 octobre 2014 sur RPM.

 

( Les photos sont dues à PHILIPPE )

 

LES Ô' TONALES

 

NANGIS / 27 – 09 – 14

 

Drunker Keupon / Made In Rock

 

Swingum / Ol' Bry

 

Tronches de Brie / Laura Cox

 

 

Vingt kilomètres de la maison. Parfait pour y faire un saut. Des groupes du coin. Mélange de genres, sur trois jours, pas mal de musique classique, piano, violon, et chorales. Je laisse cela à d'autres. Se déroule à la Bergerie, l'espace culturel de la ville, salles d'expositions, cinéma, médiathèque, ludothèque, un lieu sympa, entouré de hauts murs mais assez d'espace pour que l'on ne s'y sente pas prisonnier.

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Deux scènes, pratiquement côte à côte, la principale et la secondaire sous le préau, le public n'a qu'à opérer opérer une rotation de quatre-vingt dix degrés pour assister au spectacle suivant. Réglé comme sur du papier à musique, pendant qu'un groupe joue, l'autre monte son matos. Pas de temps perdu. Parfois entre deux prestations l'on a droit à l'Elan Brass Band qui est aussi chargé d'animer les rues de la cité. Deux sax, trois trompettes, trois trombones à coulisse, une grosse caisse, une caisse claire et éléphant blanc de la réunion un énorme soubassophone qui attire les regards. Font leur boulot honnêtement, sont bien en place, mais leur formation en cercle immobile est un peu terne. Depuis une quinzaine d'années l'on assiste à une révolution dans le monde de la fanfare qui donne lieu à des actions de rue beaucoup plus dynamiques. C'est un art qui s'est beaucoup renouvelé comme celui concomitant du cirque et l'Elan Brass Band devrait s'inspirer de toutes les imaginatives chorégraphies mises au point par des orphéons du même gabarit.

 

DRUNKER KEUPON

 

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Des punks déjà croisés à la fête de la musique de Provins au mois de juin dernier. Cette fois ils n'ont pas le mur d'en face qui renvoie le son en causant un boucan de tous les diables. Sont sur la grande scène. Rock primaire qui ne s'attarde pas dans les fioritures. Foncent droit devant sans regarder sur les côtés. Esthétique keupon clairement revendiquée. Musique au pas de charge qui se descend comme un litron de gros rouge qui tâche ou d'alcool frelaté qui vous troue la paroi stomacale. Le groupe repose sur le chanteur. Fort en gueule, mais pas méchant. Pas bête non plus quand on écoute les paroles. Critique sociétale radicale. Ne font pas dans la langue de bois. Ou alors c'est du bois vert celui dont on fait les volées qui vous massent le creux des reins, pas très délicatement. Un groupe qui navigue vent debout, envers et contre tout. Le plus étonnant c'est que le public principalement familial, à part une poignée de punks amis et supporters, adhère à cette énergie brute servie sans précaution. Des morceaux qui cassent la baraque comme Moumoute et Iroquois, et un hommage à Papa Shultz, l'icône punk française qui vient de casser sa pipe, pas très vieux car il ne sert à rien de s'attarder en ce bas monde de pourriture. Pour finir un morceau sur les handicapés que nous sommes tous. Car si nous sommes valides notre cerveau se déplace quand même en fauteuil roulant. Nous avons tendance à l'oublier, alors Drunker Keupon nous le rappelle brutalement, façon de ne pas cacher la réalité sous des mots et des musiques trop douces.

 

MADE IN ROCK

 

Sont tout jeunes. Mais comparés au groupe précédent ce sont des orfèvres. Se définissent comme un groupe de hard et de métal. Plutôt de hard, du tout début. Cinq sur la petite scène. L'on focalise d'abord sur Natacha, toute seule au milieu des garçons mais au centre de la formation, au chant. Cheveux mi-longs roux, gant noir à la main droite, gilet écossais à dominante rouge, se débrouille pas mal, bouge bien, mais sera desservie par le volume micro qui ne passe pas le mur du son élevé par les garçons. C'est que les boys ont la main lourde. La manette à fond et les guitares tout devant. Trois personnalités, Anthony le look de l'étudiant sage, ceux dont il faut se méfier en premier, Léo, le beau ténébreux, l'on devine un esprit aussi tranchant que les angles de sa guitare, à la rythmique, et Damien, visage volontaire qui manie le riff comme un sabre de cavalerie, toujours impatient de charger.

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Débute par You Shook Me d'AC / DC, tout un programme, n'ont pas envie de vous faire le coup du charme. Rock à haut voltage. Si vous n'aimez pas, rentrez chez vous. Dans le public l'on doit aimer car aucune défection ne sera à signaler durant tout le set. C'est que Damien vous jette les riffs comme s'il en pleuvait et les amplis Marshall rendent à merveilleuse cette musique rageuse pressée d'en découdre. Immédiatement suivie d'une compo dont on ignore le nom qui tient le rail si on la met en regard au Crazy Train d'Ozzy Osbourne qui fonce sur nous dès le morceau suivant.

 

N'ont pas peur, s'attaquent au classique des classiques, Smoke On The Water, dont le public reprend les paroles. S'en sortent plus que bien, mais ratent un peu la sortie qu'ils prennent un peu trop vite. Z'auraient pu nous refiler le riff une dizaine de fois de plus, rien que pour le plaisir, surtout que le groupe filoche à toute allure comme un poisson profondément empourpré qui fait le tour de son bocal en s'imaginant qu'il est poursuivi par un requin aux dents longues. Puisque le titre suivant frappe at the Heaven Door, jetons un coup d'oeil à Rémy qui s'active à la batterie. N'a pas l'air de s'ennuyer et nous non plus. L'est le ciment à prise rapide qui consolide le mur du son des guitaristes.

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S'en donnent à coeur joie sur l'Anastasia de Slash et la cloche de fer de Métallica qui résonne agréablement à nos oreilles. Certes c'est pour nous avertir d'un danger imminent mais à les voir se comporter en guitar hero qui croisent leurs guitares comme pour mêler leur sang l'on courrait sans réfléchir avec eux, même jusqu'au paradis. Hélas, il faut redescendre sur terre car le sablier du temps imparti s'est totalement écoulé. S'en vont sous les acclamations. Foi de rocker, voici un petit combo rock prometteur. Nous ont donné le grand frisson.

 

NAUFRAGE

 

L'heure et demie qui a suivi a été très dure. J'aurais pu me suicider au moins trois fois. C'est Mafé qui a mal fait son travail. Certes ce ne sont pas des rockers. Je ne le leur reproche pas. Nul n'est parfait mais ils pourraient au moins s'abstenir de vivre. Pardon je voulais écrire de nuire. Du moins dans les espaces où ma présence est signalée. Trois filles qui chantent et trois mecs qui instrumentent. Il y en a une qui joue d'un semblant de guitare, mais ça ne s'entend pas. Sans doute vaut-il mieux. C'est de la chanson française. Qui se veut spirituelle. Mais qui n'y réussit pas. Je résume, un gars qui gratouille un truc insipide à la brésilienne. J'ai tout de suite annulé par SMS mes vacances sur la plage de Copa Cabana. Là-dessus les trois nénettes essaient de chanter. C'est ici que survient l'Innommable, une catastrophe encore plus terrible que la couleur tombée du ciel de Lovecraft. Ne sont pas tout à fait idiots puisqu'ils se sont aperçus de l'ineptie des paroles. Alors ils enveloppent le tout de commentaires oiseux. N'y en a pas une qui puisse ouvrir la bouche sans que les autres n'y ajoutent leur grain de sel. Surtout l'aspirant brésilien qui joue le macho de service avec ses trois soubrettes. Du Molière sans humour. Du Courteline très court sur toute la ligne. Nous ont proclamé une de leurs oeuvrettes révolutionnaire sous prétexte qu'ils établissaient une comparaison entre notre vie et le goût déprimant d'une tisane. Moi j'avais l'impression de boire la cigüe de Socrate. Je ne cause même pas de la lèche du public : levez un doigt si vous voulez qu'on garde cette chanson au répertoire et deux si vous volez que ce soit la dernière fois qu'on l'ait chantée. Le présentateur jusque là à cheval à la demi-minute près sur l'horaire les a laissés doubler le temps imparti. Devait être en manque de mauvaise poésie. Pas grave il se rattrapera sur le groupe suivant.

 

SWINGUM

 

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Mini set. Passage éclair. C'est qu'avant il y a encore eu l'Elan Brass Band qui est venu récurer les cuivres. Cool ! Vous exclamerez-vous en jetant un oeil sur le programme, ce n'est que du jazz. Oui mais faites gaffe, il y a du beau monde dans le combo. Tenez le Jérôme et sa trompette, vous le connaissez, c'est lui qui vient donner un petit coup de trompinette sur deux ou trois titres des Jallies. Et la toute blonde, toute belle, toute charmante – j'arrête mais je pourrais en rajouter trois pages sans effort – c'est Vaness, des Jallies, en chair et en os, rien que pour nous. Je reconnais qu'il y en a deux qui se tiennent mal, Fabrice qui se cache derrière sa contrebasse et Eric qui se fait tout petit derrière sa caisse claire, accompagnent en sourdine l'Elan Bass Band pendant sa démonstration. Ca n'a l'air de rien deux petits coups de balai, et un frôlement de corde mais tout de suite ça étoffe. Un peu comme la bague de diamant au doigt qui habille la robe de tulle pompier de la mariée. Les deux plus sérieux sont de chaque côté de la scène, Cyrille, guitare plaquée au coeur et anneau d'or dans le lobe de l'oreille qui arbore un air plus gitan impénétrable que moi vous ne trouverez pas, et Alain assis à la Django avec sa grosse guitare prête à démarrer.

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Je ne sais quelle manouche les a piqués mais cet après midi, ils ne nous la font pas à la Hugues Panassié, donnent dans le standard jazz, du tout cuit pour la Vaness, faut l'entendre, tantôt elle fredonne toute rêveuse comme la bergère qui garde ses moutons, et vlan elle mugit comme un taureau furieux en train de se fâcher tout rouge. Tout miel et puis tout poivre. Elle vous susurre les plus douces paroles à votre oreille pour mieux rugir sur vos tympans l'instant d'après. Les autres ça les fait rire, l'accompagnent dans ses sautes d'humeur et en rajoutent, un coup de trompette rageuse par ici, une explosion de contrebasse par là, Alain qui caresse ses cordes comme l'on calme un cheval rétif et Cyrille qui mélodise sous la fenêtre de la belle pour ne pas la réveiller trop brutalement.

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Mais la princesse est bonne fille. Pas du tout enfant gâtée qui ne prête pas ses jouets. Jéjé est obligé de chanter, s'en sortira comme un chef, la voix en sandwich entre deux chorus énergique. Et Cyril s'y collera à plusieurs reprises, l'on voit qu'il aime ça. Standard swing, ai-je oublié de préciser, car à part Vanessa qui est venue les mains dans les poches, tous les autres bricolent dur sur leur instrument. Des larrons en foire, aucun ne monopolise l'attention à lui tout seul, descend son bout de partition et cède la place au copain qui n'en profite pas pour planter la tente. Même Eric qui joue à l'élève indiscipliné qui écrase les hannetons à coups de baguettes sur sa caisse claire. Ne tient pas en place, frappe un peu partout, fait le diable et le cancre. Mais celui à qui vous ne dites rien car mine de rien ses pitreries sont toujours signifiantes. Récolte plusieurs salves d'applaudissements mérités.

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Les voix sont chauffées, l'orchestre respire comme une horloge, z'ont à peine joué All Of Me, Sweet Sue, Take The A Train qu'il faut rentrer en gare. Faut rattraper l'horaire défoncé par le groupe précédent. Trop bon, trop court.

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INTERMEDE

 

Me suis absenté pour aller nourrir le chien à la maison. Quand je reviens je retrouve Mister B dans le public et Cover Session sur scène. Une fille et deux guitares. N'entend que deux chansons, un peu folk, un peu gentillet, mais je m'abstiendrai de tout jugement définitif. Sont sympathiquement applaudis parle public.

 

OL'BRY

 

Eddie se présente à la lacédémonienne. Bonjour, nous sommes les Ol' Bry et nous jouons du vrai rock and roll. Question brièveté il n'y a que Johnny Cash qui fasse plus court. Après une telle déclaration de guerre, vous avez intérêt à tenir vos promesses. Démarre sur les chapeaux de roue. Quelques ennuis de retour trop fort et la cellule de la basse de qui mange les morceaux, Mister B court à la sono pour les indispensables réglages, mais le combo n'en a cure, fonce tout droit sur l'horizon proclamé. Ca boppe de tous les côtés. Dirigez une oreille sur la basse de Thierry qui précipite le mouvement. Et le public commence à onduler. Un Unchain My Heart descendus au galop 3743 pulsations minutes au chrono, suivi d'un tonitruant My Girl, désolé petite fille mais le temps de la romance est terminée, et un She Don't Care que Marcello mène tambour battant depuis sa batterie.

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Faites ouf. Terminé, c'est reparti. Un petit Willie Dixon pour réchauffer l'atmosphère, la nuit est tombée et Diego s'amuse sur My Babe. Peut pas jouer le riff sans y ajouter quelques petites broderies de son invention. Du cousu d'or. Et hop un splendide I'm Goin'Home de Gene Vincent sur lequel Rémy pousse de son saxo une intervention à la dynamite. Deux ou trois bops supplémentaires. Stop dodo, tout le monde à la maison. Z'avaient encore dans le ventre de quoi jouer plus d'une heure. Décidément l'orga a décidé de couper les pattes à tous les bons groupes. Nous quittent donc sur ce début de concert brûlant comme des chardons ardents. Un coup d'épée dans l'eau en quelque sorte, oui mais de l'acier trempé de qualité incomparable.

 

TRONCHES DE BRIE

 

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Trois mecs et une nana sculpturale. Ne se prennent pas au sérieux. Trop vieux pour devenir des rock stars, certes mais le rock est une affaire trop sérieuse pour être parfois laissé aux seules mains de ceux qui le font. Christelle a du bagout, l'aime communiquer et rire. Mais le rock est avant tout une musique d'urgence. Groupe local dans l'acceptation la moins glorieuse du terme. Surpris dès les premières mesures, le vieil hymne des anges de l'enfer, le Born To Be Wild de Stepenwolf. Le balancent pas mal mais la fin s'avère aussi désastreuse que dans le film. La moto finit sur le talus, traîtreusement poussée par derrière. L'on comprend vite cet arrêt si brutal. L'électricité a tilté. Plus de jus dans le pays de la betterave. Du côté de la cabine son, ça s'affole, l'on court de tous les côtés, ça s'agite mais sans aucun résultat concret.

 

C'est là que Christelle sauve la situation. Ses réparties, son humour et son rire ont déminé les trente premières secondes mais dans un concert les temps morts sont... mortels. Plus de micro, alors elle entonne a capella le premier couplet d' Hôtel California. Sa voix porte sans problème. Pourra toujours se reconvertir dans l'opéra. Mais c'est là que se passe le miracle, une voix s'élève dans la foule, puis deux puis trois puis tout le monde s'y met et chante à l'unisson. Dans le nombre, il y en a qui trichent et qui baragouinent un infâme yaourt mais il est indéniable que la majorité des jeunes connaissent les paroles par coeur. Chapeau bas devant Christelle.

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On lui pardonne même, une fois l'électricité revenue, son annonce suivante - qui me laisse sans son - sur un morceau de rock français et paf ! elle sort Comme Je L'Imagine de Véronique. Pour le final ils nous passeront un coup de Téléphone. Pas le meilleur émis par les soi-disant Rolling Stones français. On fermera les oreilles. Et les yeux sur la batterie électronique de José. Surtout que leur interprétation de Pat Bénatar est loin d'être dégueux. Une fois partis, le public se désagrège, preuve qu'une bonne partie était venue pour eux.

 

LAURA COX

 

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Sans concession. Sur la scène centrale. Pendant près de deux heures. Laura Cox, un groupe et une fille. Un peu le look de Lara Croft, grande, sûre d'elle, cheveux long et air décidé. Au chant et au micro. N'a pas de temps à perdre. A peine trois secondes entre deux morceaux. L'a décidé de battre le fer tant qu'il est chaud. Des amis me l'avaient décrie comme une chanteuse country. Je veux bien, mais alors un country électrifié à mort. Pas la moindre odeur de bouse de vache. Du country à la ZZ Top, du rock géographiquement sudiste si vous voulez mais du rock tout court directement envoyé à la figure. Vous imaginez que c'est Mohamed Ali en personne qui se charge de vous refaire le portrait et vous aurez une idée de l'impact. Inutile de vous plaindre, si vous êtes resté c'est parce que vous aimez cela.

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Quatre sur scène. Pascal aux drums, pas de chance pour les caisses et les cymbales, répartit les coups à part égales pour chacune, Ludovic est à la guitare basse, Mathieu à la rythmique et Laura au solo. Ca c'est de la théorie. Car les trois guitares tirent sacrément leurs billes du feu. Laura assène le riff mais Mathieu l'entrelarde si bien que l'on ne sait plus qui fait qui et qui fait quoi. Un gang de voyous. D'autant plus dangereux qu'ils sont propres sur eux. Laura, toute l'apparence d'une demoiselle bien élevée dans un magasin de porcelaine, mais une volonté de fer, qui ne plie ni ne rompt jamais. Expéditive. Mathieu le jeune homme en retrait, le visage aux aguets comme s'il doutait de la bonté naturelle de l'homme. Vous le sentiriez prêt à développer une discussion philosophique, mais manifestement il préfère filer des atemi meurtriers sur le cordage de sa guitare. Quant à Ludovic, paraît plus indépendant, une erreur d'appréciation de notre part. Les deux autres peuvent quadriller à l'envi soli et contre soli, lui il a tiré toutes les lignes au millimètre près. Jamais d'espace vide, ni de trou, ni de manque, qui vous rendraient ad vitam aeternam une ligne de guitare bancale jusqu'à la fin du morceau.

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Beaucoup de compos et des reprises, ZZ Top, Lynyrd Skynyrd, Sheryl Crow, et tous les autres soudards du rock qui fâche et offusque les esprits tièdes, tant pis pour ceux qui baissent le pavillon de leurs oreilles aux premiers boulets qui commencent à pleuvoir. D'ailleurs, n'y a plus grand monde. Ne restent plus que les amateurs. Une cinquantaine d'impétrants qui ne sont pas prêt à laisser le bonheur leur filer entre les mains. Z'ont dû donner tout ce qu'ils avaient de prêt, car pour le dernier rappel se concerteront bien sept secondes avant de nous offrir un dernier éclat métallique resplendissant.

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Fut un moment où je me suis dit. Trop parfait. Ca risque de devenir ennuyeux. Le mieux est l'ennemi du bien. Et paf ils sont sortis de l'impasse tout seuls. Ont simplement passé la vitesse supérieure. Vous croyiez que vous étiez au top, accrochez-vous l'on accélère. Le jeu de scène est devenu plus démonstratif et nous avons crié de plaisir. L'on touche au nirvana rock. Nous quittent sur un sans faute.

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L'on a envie de leur demander leurs papiers. Vous êtes sûrs que vous êtes français. Ah, oui, circulez, pour une fois qu'il y a quelque chose à voir. Et à entendre, chef. Oui, brigadier, marquez au stylo rouge : à suivre et à surveiller. Faut pas les laisser échapper. Sont trop bons. On les gardera pour nous. Seraient capables de s'envoler pour les USA.

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Damie Chad.